Accueil > L’invasion redoutée qui n’aura pas lieu

Frontières mobiles. Bulgares et Roumains enfin hors des Centres de rétention. Sobre prévision de la Caritas : en 2007, 60.000 personnes arriveront en Italie de la Roumanie et de la Bulgarie, qui viennent d’entrer dans l’Union européenne. Vittorio Feltri [directeur du quotidien milanais de droite "Libero", NdT], au contraire, abonde et a la vision de "30.000 gitans" marchant sur Milan
de Manuela Cartosio traduit de l’italien par karl&rosa
"Mais quelle invasion ?", demande un peu impatienté Maurizio Crippa, du guichet étrangers de la Bourse du Travail de Milan. Hier le guichet a rouvert après la pause de Noël.
Et "l’invasion habituelle" commencée à la mi-décembre avec l’entrée en vigueur des nouvelles procédures pour renouveler le permis de séjour a recommencé : des migrants de toutes les nationalités et de toutes les couleurs à la recherche désespérée des formulaires, épuisés dans tous les bureaux de poste.
A la Bourse du Travail il n’y a aucune trace de l’invasion des Roumains qui sont devenus, avec les Bulgares, des citoyens européens à tous les effets depuis le 1er janvier. Les Roumains qui se sont présentés hier au guichet – 20% du total, selon l’estimation de Crippa – n’ont pas attendu l’heure H pour entrer en Italie. Ils y étaient depuis belle lurette. Hier ils voulaient savoir exactement "ce qui change pour eux".
Il n’y a aucune trace d’invasion aux postes de frontière. Seul Libero joue avec les chiffres et avec le feu et ouvre sa première page avec « 30 000 gitans arrivent ». En Italie ? Non, tous à Milan. C’est l’adjoint au maire De Corato (Alleanza nazionale), une autorité en la matière, qui le dit.
Nous faisons davantage confiance à la fiabilité de la Caritas, qui évalue à 60 000 les entrées de travailleurs roumains et bulgares tout au long de 2007. S’il en est ainsi, beaucoup de bruit pour rien. Ou pour pas grand chose. Le chiffre ne s’éloigne pas beaucoup des entrées des années passées, quand la Roumanie était hors de l’Union européenne. Ce ne serait pas la première fois qu’une invasion redoutée se dégonfle en cours de route. Après le premier élargissement à l’Est, l’Italie craignait la vague de Polonais et de Slovaques. Le décret flux de 2005 octroyait presque 80 000 entrées aux pays néo-communautaires. Seuls 44 000 furent utilisés. Ce précédent devrait servir de leçon. Mais la Roumanie a un défaut grave : 2,5% des Roumains sont des « gitans ». Et crier à l’invasion arrange bien les entrepreneurs politiques du racisme. Les Rom aussi, comme les Roumains, n’ont pas attendu le timbre de l’Union européenne pour venir en Italie. Pour le faire, d’ailleurs, le visa touristique suffisait. Ensuite ils attendaient la régularisation.
On s’est risqué à faire des prévisions sur combien de Roumains viendront à l’avenir en Italie, sûrement pour ceux qui y sont déjà cela ira mieux. A la fin de 2005, 271 000 étaient en règle (après avoir doublé les Albanais et les Marocains, les Roumains sont la communauté étrangère la plus nombreuse en Italie).
En ajoutant ceux qui sont en liste d’attente avec les deux décrets flux de cette année, leur nombre augmente jusqu’à 400.000. Il y avait 17.500 Bulgares séjournant régulièrement en Italie, toujours en 2005. On ne sait pas combien de Bulgares étaient « clandestins ». Depuis avant-hier, le terme est dépassé pour les Roumains et les Bulgares. Les « libérations » des Centres de rétention sont la première conséquence, petite en quantité mais symboliquement puissante, du fait qu’ils sont devenus des citoyens européens. La deuxième est que les 150.000 Roumains et Bulgares dans les listes des décrets flux auront automatiquement la carte de séjour, si un employeur les embauche.
Troisième conséquence : aucun Bulgare ou Roumain ne pourra être expulsé sauf pour des raisons d’ordre public, sécurité et santé publiques. En outre, les expulsions précédentes sont annulées : les Romains et les Bulgares expulsés par le passé peuvent revenir officiellement en Italie. Les regroupements familiaux seront plus faciles et rapides. Depuis avant-hier, les Roumains et les Bulgares n’ont plus besoin ni du visa d’entrée ni du permis de séjour. Pour eux, après trois mois de séjour en Italie, il y aura la carte de séjour, avec une durée de 5 ans, pour des raisons de travail ou d’étude. Ne pas l’avoir ne comportera aucune sanction administrative. En somme, les Roumains et les Bulgares sont « libérés » de la loi Bossi-Fini. Les autres migrants non communautaires restent en attente que le gouvernement de centre gauche tienne la promesse de « dépasser » l’odieuse loi.
Le marché du travail est le point sensible de tout élargissement de l’Union européenne. Le gouvernement Prodi, cette fois, a choisi la voie moyenne : ni ouverture indiscriminée ni fermeture totale. Le régime transitoire, pour l’année en cours, ouvre les portes aux travailleurs autonomes et à différentes catégories de travailleurs subordonnés. Ceux, et ce n’est pas un hasard, qui sont indispensables (pour nous) : aides à domicile et personnel de ménage, ouvriers du bâtiment, saisonniers dans l’agriculture et dans les hôtels, métallurgistes. Les dirigeants et les travailleurs avec une haute qualification (jamais vus jusqu’ici) complètent la liste.
La « libre circulation » de ces travailleurs et travailleuses, le fait de ne pas devoir se soumettre à des chantages « en échange » d’un toit et d’un permis de séjour, se traduira-t-il automatiquement en un pouvoir contractuel plus élevé ? Cela n’est pas dit. Les doutes les plus forts pèsent surtout sur le travail de soin et sur l’agriculture. Face à la « prétention » de l’aide à domicile roumaine de ne pas travailler au noir, d’un jour de repos supplémentaire, la famille italienne pourra opter pour une migrante moldave ou ukrainienne. Quant à l’agriculture, les faits divers récents concernant les migrants, extracommunautaires aussi, réduits en semi - esclavage, ne laissent rien présager de bon.
La Coldiretti [qui correspond en France à la FNSEA, NdT] souhaite que l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie renforce les entreprises qui jouent la transparence et le respect des droits. Mais elle ne peut pas omettre de rappeler que dans la profession « des phénomènes inquiétants de criminalité et d’exploitation grossière de la main d’œuvre » persistent. Avec 18 000 présences, correspondant à 14% des travailleurs étrangers en règle, les Roumains sont la nationalité la plus nombreuse en agriculture. Ils sont beaucoup plus nombreux en chiffres absolus, et peut-être en pourcentage aussi, dans le bâtiment.
Ceux qui s’inquiètent de l’invasion hypothétique de l’Italie par les Roumains tendent à oublier que les Italiens ont déjà envahi la Roumanie. Des milliers de petits et moyens entrepreneurs de chez nous, qui se sont enfuis à l’Est, vivent depuis une décennie sur les bas salaires qu’ils payent aux salariés roumains. Pour les retenir dans leur patrie ils seront obligés de les augmenter. Voulez-vous parier que même l’Union européenne arrive à faire quelque chose de bon ?