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L’ultime mue des communistes italiens

Publie le vendredi 4 mai 2007 par Open-Publishing
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de Jean-Jacques Bozonnet

Le marteau et la faucille prenaient depuis longtemps la poussière dans le magasin aux accessoires de l’ancien Parti communiste italien (PCI). Lors du congrès des Démocrates de gauche (DS), du 19 au 21 avril à Florence, les héritiers d’Antonio Gramsci et d’Enrico Berlinguer ont également rangé le drapeau rouge et L’Internationale sur le rayon des souvenirs. Le décor du palais des sports où ont siégé les 1.500 délégués DS tirait sur l’orange, la couleur des révolutions d’aujourd’hui. Une chansonnette italienne censée ouvrir de nouveaux horizons, Le ciel est toujours plus bleu, clôturait le rendez-vous.

Plus aucune trace, ni dans les symboles ni dans les paroles, du passé communiste au moment de l’ultime mue. En votant leur dissolution et leur fusion avec les centristes de gauche de La Marguerite, un mouvement d’inspiration démocrate chrétienne, en vue de fonder une formation réformiste modérée, les Démocrates de gauche ont, de l’avis unanime de la presse italienne, "signé la clôture définitive de l’expérience historique ouverte en 1921 à Livourne". C’est là qu’était né le PCI, d’une scission du Parti socialiste italien (PSI).

Dirigé par Amadeo Bordiga, puis Antonio Gramsci, le nouveau parti est interdit en 1926 par le régime fasciste. Il renaîtra le 15 mai 1943, et Palmiro Togliatti, son chef clandestin depuis 1927, restera à sa tête jusqu’à sa mort, le 21 août 1964. Dès 1956, avec les événements de Hongrie, le PCI ouvre "une voie italienne vers le socialisme". Une prise de distance à l’égard du grand frère soviétique qui s’affirmera avec Enrico Berlinguer. Elu secrétaire en 1972, cet élégant gentilhomme sarde adopte la ligne "eurocommuniste", qui conduira à la rupture avec Moscou en 1981.

Cette époque marquera l’apogée de l’influence du PCI : aux élections législatives de 1976, il réunit 34,4 % des suffrages. La plupart des dirigeants de gauche, et même de droite, ainsi que nombre d’intellectuels de cette génération, ont été proches de cette culture, sinon membres du parti. L’Italie était partagée - plutôt que divisée - entre ce poids lourd et son pendant au centre droit, la Démocratie chrétienne (DC).

Pour nombre d’observateurs, les postcommunistes de 2007 et les héritiers de la DC sont en train de réaliser, sur un mode mineur, le fameux "compromis historique" entre les deux cultures politiques du pays dont avaient rêvé Enrico Berlinguer et Aldo Moro, et que ce dernier paya de sa vie en 1978, assassiné par les Brigades rouges.

"Ce fut une tragédie, maintenant nous sommes dans une farce qui s’annonce pire qu’une tragédie", a écrit, après le congrès de dissolution des DS, Il Manifesto, un journal de gauche qui continue d’accoler à son titre la mention "Quotidien communiste". Son fondateur, Valentino Parlato, exclu du PCI en 1969 pour avoir critiqué l’URSS et notamment l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1967, estime que "c’est la dernière des retraites commencées par celle d’Achille Occhetto". Alors secrétaire du parti, ce dernier a annoncé, le 12 novembre 1989 devant la section de Bologne, quelques jours après la chute du Mur de Berlin, le début de la fin du PCI, bientôt dissous et transformé en 1991 en Parti des démocrates de gauche (PDS). Le chêne est son symbole, mais, dans un coin du logo, le drapeau rouge marqué de l’étoile, de la faucille et du marteau résiste encore.

Malgré le succès de la gauche aux législatives de 1996, le PDS de Massimo D’Alema, premier parti de la coalition de L’Olivier (21,1 % des voix), ne survit pas à la crise du gouvernement Prodi. Les DS naissent en novembre 1998 sous la conduite de Walter Veltroni, aujourd’hui maire de Rome et favori pour la direction du futur Parti démocrate. Mais, en 2007, les "reliques" communistes cèdent la place, sous le chêne, à l’oeillet socialiste et aux étoiles de l’Union européenne. "Ces retraites successives n’ont rien eu de stratégique, insiste Valentino Parlato à la "une" de son journal. Celle de Florence est une retraite politique et culturelle sans principe et sans issue, sauf celle de laisser la voie ouverte à une non improbable vague de droite."

Invité au congrès des DS, Silvio Berlusconi a applaudi le discours du secrétaire Piero Fassino : "Si c’est cela le Parti démocrate, à 95 % je suis prêt à m’y inscrire aussi, s’est exclamé "Il Cavaliere". J’ai entendu un positionnement social-démocrate qui, sur certains points, est carrément libéral ; je suis d’accord avec la politique sociale dont a parlé le secrétaire des DS." Ce dernier a évoqué "la nécessité historique" d’une évolution "pour ceux de nos enfants qui n’ont connu que la paie en euros et qui n’étaient peut-être pas nés à la chute du Mur".

Ce recentrage a été refusé par l’aile gauche des DS. Il y a eu des pleurs et des embrassades, comme à chaque rupture dans la famille communiste, quand Fabio Mussi, leader d’un courant qui représente environ 15 % des militants, a pris acte de "la faillite politique du défi né avec la fin du PCI".

Quelques jours avant le congrès de Florence, Gavino Angius, l’un des "historiques" du mouvement postcommuniste (vice-président du Sénat, il fut chef de groupe des DS), comparait "l’expérience ratée" des DS à une mission spatiale : "Nous étions partis pour une grande entreprise, mais nous avons échoué, et notre problème est de rentrer vivants à la base, expliquait-il au Monde. Si on ne trouve pas le bon angle de rentrée, on est condamnés à se désintégrer. Or le Parti démocrate n’est pas la bonne trajectoire, c’est la dispersion des forces socialistes."

Après quelques jours de réflexion, ce Sarde tendance Berlinguer a décidé lui aussi de s’éjecter dans "le grand vide à gauche". Rejoindra-t-il l’autre dissident, Fabio Mussi, qui annonce pour le mois de mai la création d’une nouvelle force à gauche ? En 1991, la minorité du PCI avait fait sécession pour créer le Parti de la refondation communiste (PRC), dit "Rifondazione".

Avec le Parti des communistes italiens (PDCI), né d’une scission ultérieure, le vote communiste a encore pesé plus de 10 % aux législatives de 2006. Rifondazione a déjà proposé un "regroupement familial" sur la base de l’antilibéralisme, du pacifisme et de la laïcité.

Dans le centre de Rome, sur la façade de la section historique des Démocrates de gauche, via dei Giubbonari, il y a deux plaques. On s’apprête à troquer celle des DS contre celle du PD. Mais l’autre, celle qui indique "PCI, section Regola Campitella", avec la faucille et le marteau gravés dans la pierre, pas question de la déboulonner. "C’est exclu, gare à celui qui essaiera", avertissent les dirigeants locaux. C’est un souvenir.

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