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LA PEDAGOGIE d’ETAT, INSTRUMENT DE DEMANTELEMENT DU SERVICE PUBLIC d’EDUCATION

Publie le jeudi 1er mars 2007 par Open-Publishing
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LA PEDAGOGIE D’ETAT, INSTRUMENT DE DEMANTELEMENT DU SERVICE PUBLIC D’EDUCATION

Ces derniers mois, l’offensive gouvernementale n’a épargné aucun domaine des luttes des salariés de l’Education Nationale. En ce qui concerne les personnels enseignants, l’emploi est en baisse régulière dans le second degré, une large partie des professeurs doit désormais envisager une perte nette de rémunération à partir de la rentrée prochaine, la dégradation des conditions d’enseignement en classe se généralise à un rythme effarant, et le statut vient de faire l’objet d’une redéfinition, sous le prétexte de l’efficacité, gestionnaire et pédagogique. Il importe de préciser les deux conséquences principales de ce dernier point, traité avec désinvolture par les grands médias.

En premier lieu, les professeurs pourront, comme précédemment, se voir affectés sur plusieurs établissements, mais désormais sans limitation de distance entre les établissements ! Cette situation nouvelle permet donc à l’Administration de se doter d’un outil de flexibilité géographique, éventuellement instrumentalisé comme mode de sanction -arbitraire mais toujours motivé par l’intérêt du service. Effectifs, ou anticipés face à la menace de ce type d’affectation, les effets sur la vie personnelle et professionnelle des salariés se révèleront considérables.

La finalité antisyndicale des mutations d’office a été éclairée, d’une lumière crue, par la répression d’une violence inouïe que subit, depuis quatre ans, notre camarade Roland Veuillet ; un préfet n’a pas craint d’ordonner l’internement en hôpital psychiatrique d’un homme que le gouvernement considère désormais comme un opposant politique à éliminer.

En second lieu réside l’enjeu central de cette redéfinition des missions d’enseignement : le nouveau décret impose aux enseignants la flexibilité qualitative. Sous un prétexte pédagogique, c’est l’Administration qui décide désormais des compétences des professeurs, au mépris de leur qualification reconnue par la réussite de concours sélectifs. Le professeur de lettres classiques, anciennement spécialiste de sa discipline mais soudainement devenu "polyvalent", devra faire face à une injonction paradoxale : enseigner l’histoire-géographie … ou les mathématiques si les besoins locaux l’exigent !

Par quels moyens "pédagogiques" l’Administration compte-t-elle parvenir à atteindre ces objectifs absurdes, aux conséquences dramatiques en termes de transmission des connaissances auprès des élèves ?
Le gouvernement, réalisant que le métier d’enseignant était fondé sur une liberté pédagogique jugée excessive et un statut trop protecteur, a décidé, sur le modèle militaire, de produire une création de hiérarchies intermédiaires.

Les chefs d’établissement, dénués de rôle pédagogique et ne pouvant arguer d’une qualification disciplinaire, ne disposaient d’aucune légitimité pour imposer des décisions purement gestionnaires aux professeurs dans chaque discipline. La solution "pédagogique" a donc été de faire exploser le cadre protecteur des disciplines, au mépris de la qualification des professeurs et du droit à un enseignement de qualité pour tous les élèves, dans le cadre d’un "Conseil Pédagogique" au sein duquel siègent des professeurs-en-chef ayant autorité sur leurs collègues, et présidé par …le chef d’établissement !

Pour appuyer cette autorité, conçue comme autonome, il est prévu que les Conseillers Principaux d’Education soient intégrés dans l’équipe de direction. Ils pourraient ainsi remplir le rôle qui manquait dans l’édifice : devenir des auxiliaires du chef d’établissement dans le contrôle des personnels, et délaisser une mission éducative devenue obsolète.
Comment analyser de telles régressions sociales, et l’insuffisance de la riposte des enseignants ?

Dans un contexte "européen" ou le service public doit se transmuer en service d’Intérêt Economique Général une intense propagande patronale vise à déstabiliser le salariat statutaire, jugé trop coûteux et trop protégé. Le modèle de la fonction publique non-répressive de l’Etat en est devenu depuis les années 80 la cible privilégiée, et le travail médiatique mené avec constance commence à produire ses fruits : opposer les usagers et les personnels du service public d’éducation.

Relais officieux du patronat pour "adapter l’école aux besoins des entreprises", les appareils bureaucratiques de la Pédagogie d’Etat (Ministères de droite comme de gauche, Inspection Générale, Rectorats, IUFM, mais aussi les syndicats enseignants (CFDT, UNSA) accordant une priorité absolue aux débats pédagogistes sur les luttes de défense du service public) ont joué un rôle-clef dans la mise en cause de l’école publique, particulièrement préjudiciable aux enfants des classes populaires.

Le 15 novembre 2006, l’union sacrée des trois associations de "parents d’élèves" (la FCPE de gauche, la PEEP de droite, et l’UNAPEL de l’école des curés) permet que les masques tombent enfin : la bivalence est promue "occasion d’ouverture" pour les enseignants. Derrière la revendication obsessionnelle de l’intérêt de l’élève, ce sont surtout les intérêts du Ministre que servent ici les trois officines. Le rapport de forces entre les enseignants et le gouvernement n’est guère en faveur des premiers depuis l’éviction du sinistre Allègre. Désignés à la vindicte populaire, ces paresseux se verront imposer un authentique doublement de leur durée de travail si la candidate "socialiste" à l’élection présidentielle est élue.

La passivité des principales bureaucraties syndicales contribue au déclassement symbolique des enseignants et à l’affaiblissement du service public. Le conflit pour la défense du statut n’a donné lieu qu’à un seul jour de grève, le 18 décembre 2006. Bien que ce fût un succès considérable, il n’y a eu aucun autre appel de l’intersyndicale, malgré les préavis renouvelés de grève reconductible des syndicats SUD et CNT. En ce qui concerne l’incapacité des enseignants à se mobiliser, la responsabilité du SNES, syndicat majoritaire, apparaît accablante : même le syndicat de droite, le SNALC, avait pour la première fois de son existence, estimé que la grève reconductible était la seule arme des enseignants !

Les intérêts fondamentaux des enseignants et de l’immense majorité de la population sont aujourd’hui convergents. A défaut de cette prise de conscience, nous assisterons, simultanément à la mort sociale des enseignants, et au deuil de toute perspective émancipatrice de l’école publique.

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