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LES CARACOLES DANS L’ORGANISATION DE L’EZLN

Publie le mardi 9 septembre 2003 par Open-Publishing


I. La structure de l’EZLN

1. Les zapatistes, ce sont :

- les insurgés (insurgentes) : volontaires femmes et hommes,
permanents ; c’est entre elles et eux que sont choisis les
cadres militaires de l’Armée zapatiste de libération nationale
(EZLN) ;
- les miliciens (milicianos) : réservistes envoyés et sélectionnés
par les villages, donc seulement en services temporels ou
ponctuels ;
- les bases d’appui des villages (comunidades bases de apoyo),
non armées, chargées des grandes actions politiques de l’EZLN
et, en cas de conflit armé, de la logistique.

Par exemple :

- insurgés et miliciens ont été les combattants du 1er au
12 janvier 1994.
- les miliciens ont été ceux qui ont résisté à l’armée à Chavajeval
en mai 1998, avec une victime, lors du démantèlement par le
gouverneur Albores de la commune autonome San Juan de la Libertad,
ex-El Bosque.
- Avec le support arrière d’insurgés et de miliciens, les
bases d’appui (vieillards, femmes, hommes et enfants) furent
celles qui repoussèrent l’armée d’Oventik et obligèrent une
grande patrouille blindée à rebrousser chemin le 1er janvier
1996 au lendemain de la construction de l’Aguascalientes,
et une nouvelle fois le 31 décembre 2000 à Jolnachój parce
que ce campement militaire résistait au retrait convenu entre
Fox et l’EZLN (actions comparables dans la Selva à Amador
Hernández en 1999 et 2000).
- Seules (sans l’appui des insurgés ou miliciens), ces mêmes
bases furent, avec la société civile, les agents de la Première
Consultation nationale et internationale (août 1995, pour
savoir si l’opinion acceptait la transformation de l’EZLN
en "force politique" - non parti - autonome, avec 1 300 000
réponses), de la marche à Mexico des 1 111 en septembre 1997,
de la Seconde Consultation nationale pour le respect des droits
des peuples indigènes et pour la fin de la guerre d’extermination,
convoquée le 20 novembre 1998 et réalisée en mars 1999 par
5 000 membres des bases d’appui, 2 par commune de la République
(2 500 hommes et 2 500 femmes) pour faire ratifier les Accords
de San Andrés par la population du pays (3 millions de réponses
positives dans tout le pays).

2. Ces trois niveaux d’appartenance sont dirigés par l’EZLN :


- le CCRI (Comité clandestin révolutionnaire indigène, formé
par cinq représentations des langues indigènes parlées dans
chacun des cinq Caracoles qui leur correspondent), qui est
l’instance politique des comandantes et comandantas, un terme
non exclusivement militaire puisque le Président de la République,
par exemple, est le commandant en chef des Forces armées).
Son rôle a été par exemple : les dialogues avec le gouvernement
(Cathédrale février 1994, Selva janvier 1995, dans ces deux
cas avec la présence de Marcos), les négociations de San Andrés
avril 1995-février 1996, ou avec les Chambres le 28 mars 2001
(conversations auxquelles Marcos n’a pas participé) ; l’organisation
de la Marche de la couleur de la terre en février-mars 2001 ;
des Consultations et marches déjà signalées, celles des Aguascalientes
et de la Convention nationale démocratique d’août 1994 à Guadalupe
Tepeyac, et la conversion des Aguascalientes en Caracoles.

- la Comandancia General CG-CCRI de l’EZLN, l’instance militaire
que dirige le "sous"-commandant (à cause de sa subordination
à l’instance politique antérieure) insurgé Marcos, qui est,
par exemple, le dirigeant des insurgés et miliciens mais chargé
en outre de la communication interculturelle (les communiqués
 : une tradition au Mexique qui remonte aux rébellions et insurrections
du XVIIIe au XXe siècle, y compris à Zapata).

La création des Caracoles n’a rien changé à cette organisation
de l’EZLN.

II. Comment s’organisent les autonomies ?


1. L’autonomie est l’une des principales demandes de l’EZLN
et ce, depuis le dialogue de la Cathédrale en 1994. Après
son échec, 38 communes autonomes furent proclamées dans la
clandestinité en décembre 1994. Selon les Accords de San Andrés,
signés par l’EZLN et le gouvernement avec l’aval de la COCOPA
et de la CONAI le 16 février 1996, cette autonomie se définit
 :
- comme "l’exercice du droit des peuples [les Indigènes sont
les "peuples premiers" du pays selon la Convention 169 de
l’OIT] à disposer d’eux-mêmes" (derecho de libre determinación)
sur les "territoires" qui ont été leur "habitat traditionnel" ;

- comme une "autonomie différenciée" (selon les "niveaux"
de gouvernement et les compétences - ámbitos - souhaitées)
qui, sur le plan local, peut prendre la forme de comunidades
(villages ou hameaux) ou de municipios (communes) mais avec
un droit d’"association" entre les unes et/ou les autres qui,
dans la pratique, convertit le territoire autonome de local
en régional. Ce regroupement régional est ce qui a été décidé
et promulgué les 8, 9 et 10 août 2003 à Oventik avec la création
des Caracoles qui concernent une bonne trentaine de communes
autonomes.

2. Ce changement laisse cependant intacte la structure de
base, celle des communes autonomes. Leur siège, qui est en
général celui de l’ancienne commune mais avec un autre nom
(par exemple, pour San Andrés Larráinzar ce n’est pas Oventik,
mais le même village avec son nouveau nom de San Andrés Sakamch’en
de los Pobres). Pour l’instant, il en existe une trentaine.
Leur travail est celui de la gestion municipale.

3. Outre les niveaux de gouvernement (par exemple municipal),
l’autonomie des Accords de San Andrés spécifie des compétences
(exécutives, législatives ou judiciaires) qui l’habilitent,
par exemple, à se charger de programmes alternatifs en matière
d’éducation, de santé, de justice (appelés dans les textes
sistemas normativos internos), etc. A ce qui est explicitement
mentionné dans les Accords, l’EZLN ajoute des programmes de
production agro-écologique (sans OGM, respectant la biodiversité
et combattant la biopiraterie), et de commercialisation alternative
en général de forme coopérative. Il y avait déjà dans les
Aguascalientes des écoles et des cliniques alternatives mais
pas toujours bien structurées. Le CCRI a décidé la coordination
de l’ensemble de ces activités dans les Caracoles pour les
rendre plus efficaces.

4. Cette coordination est le travail du siège des Conseils
de bonne gouvernance (Casa de la Junta de buen gobierno),
inauguré symboliquement à Oventik par environ 70 commandants
du CCRI (donc provenant des cinq Caracoles existants) qui
ont confirmé en ces nouvelles fonctions les 14 conseillers
d’Oventik (deux pour chacune des communes autonomes représentées
actuellement dans ce Caracol, preuve que l’institution de
base reste la commune autonome) ainsi que ceux des quatre
autres Juntas de buen gobierno.

5. Lors de la construction (d’essai-erreur-réussite) des communes
autonomes, il y eut beaucoup de ratés qui ont mécontenté des
alliés de l’EZLN (comme l’ARIC indépendante, par exemple),
ou des organisations de solidarité mexicaines ou internationales
malmenées, dans leurs membres ou dans la destination des fonds
qu’elles apportaient, ou même par des entorses aux droits
de l’homme. Donc, en plus de coordonner un développement endogène
et autogéré, les Conseils de bonne gouvernance fonctionnent
aussi comme des assemblées d’arbitrage et de conciliation,
de répartition des finances extérieures, non selon les critères
des donateurs sinon selon ceux des zapatistes eux-mêmes en
l’exercice de leur autogouvernement, en se réservant une retenue
locale de 10% destinée, par exemple, à soutenir le collectif
d’un village dont les nécessités n’avaient pas encore été
prises en compte.

III. Qu’est-ce qui a changé depuis la création des
Caracoles


1. Les communes autonomes (municipios autónomos), loin d’être
relativisées, jouissent de l’appui et des services régionaux
des Caracoles qui leur épargnent les bavures de leurs débuts
difficiles.

2. Les autonomies sont considérablement renforcées et respectées,
des communes autonomes aux Caracoles en passant par les Conseils
de bonne gouvernance parce que :

- la CG militaire de l’EZLN se chargera - et elle seule -
de répondre militairement aux manoeuvres hostiles des paramilitaires
qui menacent encore les organismes autonomes ;
- le CCRI et la CG de l’EZLN ont terminé leur rôle de suppléance
et n’interviendront plus dans la marche interne des autonomies.


3. En effet, les Comandantes du CCRI ont clairement exprimé
que si l’un d’eux a des aspirations aux gouvernements autonomes,
il doit renoncer aux charges d’organisation qu’il occupe au
sein de la Comandancia de l’EZLN parce qu’il ne peut y avoir
d’interférence entre les niveaux de gouvernement (il y aurait
donc une espèce de séparation respectueuse des pouvoirs, un
peu à l’image du pacte fédéral, officiellement mal respecté
bien que consacré par la Constitution mexicaine).

4. Le sous-commandant insurgé Marcos est libéré de la rédaction
de communiqués parlant au nom des autonomies mais il en garde
la responsabilité pour son instance ; les autonomies n’ont
plus le droit de faire intervenir les miliciens pour faire
respecter leurs décisions parce que, dorénavant, ces dernières
devront être purement politiques et inspirées par la raison,
non par la force, compétence exclusive de la CG militaire.


5. Cependant trois comandantas et plusieurs comandantes du
CCRI, depuis leur compétence spécifique, ont proclamé le 9
août à Oventik les grandes lignes d’action de l’EZLN au niveau
global dans la conjoncture, auxquelles les autonomies devront
trouver des formes locales ou régionales d’application : le
problème de la marginalisation de la femme, celui des jeunes
sans travail ou des migrants contraints à chercher aux Etats-Unis
ce que le Mexique est incapable d’offrir, le point de vue
critique de l’EZLN sur la classe politique du moment, ses
choix au niveau de la solidarité internationale (Pays basque,
Palestine, Irak, Argentine, etc.) et la mobilisation pour
un grand programme de résistance aux principaux axes néolibéraux
officiellement annoncés : l’ALCA (Accord de libre commerce
américain) et le PPP (Plan Puebla-Panama) ; cet appel est ironiquement
dénommé "Plan Tijuana-La Realidad" (le territoire mexicain
de sa frontière nord à celle du sud) pour bien noter la vocation
nationale de l’EZLN.

La grande nouveauté est la rupture du silence. L’autonomie
se vit désormais hors de la clandestinité, la résistance devient
publique et ouverte. Tout se passe comme si l’EZLN suggérait
au gouvernement que si ces mesures l’offensent, la solution
la plus simple et la moins gênante pour lui serait, enfin,
l’application des Accords de San Andrés qui ferait tout rentrer
dans la légalité inclue dans leur signature commune.

André AUBRY et Eva
CSPCL
cspcl@altern.org

09.09.2003
Collectif Bellaciao