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LES TRAVAILLEURS DU PAPIER LANCENT LA DEUXIÈME PHASE DE LEUR MOBILISATION

Publie le lundi 13 octobre 2008 par Open-Publishing

LES TRAVAILLEURS DU PAPIER LANCENT LA DEUXIÈME PHASE DE LEUR MOBILISATION

Venus de toute la France à l’appel de la Fédération des travailleurs des Industries du Livre, du Papier et de la Communication de la CGT (FILPAC-CGT), ils étaient près de 300 salariés représentant une vingtaine d’entreprises de la filière papetière à manifester devant le siège national de la COPACEL (branche des industries papiers, cartons et celluloses du MEDEF) à Paris, mardi 07 octobre au matin.

OCCASION de nombreuses prises de paroles (dont celles, en particulier, de représentants d’entreprises papetières du Pas-de-Calais : Papeteries Cascades de Blendecques, International Paper de Maresquel, Stora-Enso de Corbehem), ce rassemblement entendait marquer le lancement de la “deuxième phase de mobilisation”des travailleurs du secteur. Après qu’une délégation ait été reçue au siège de la COPACEL, les syndicalistes de la FILPAC-CGT ont rejoint dans l’après-midi les manifestants du cortège parisien de la première“journée mondiale sur le travail décent”. Présent à Paris aux côtés des papetiers mobilisés, Liberté 62 s’est entretenu avec JeanGersin, secrétaire à la communication de la FILPAC-CGT.

―Liberté 62 : “ Pourquoi évoquezvous le début d’une deuxième phase de mobilisation des salariés de votre secteur à l’occasion de ce rassemblement ?”

 JeanGersin : “Lorsque s’est engagé, il y a deux ans maintenant, le premier temps de notre mobilisation, nous sommes partis du constat que l’industrie papetière, soumise jusqu’alors aux aléas du marché, avec des années“maigres” et des années “grasses”, était entrée dans un cycle tout à fait différent. Ce nouveau cycle qui se caractérise, en France et en Europe, par la baisse des capacités de production et la recherche, soit en Inde, soit en Chine, soit encore en Europe orientale, de coûts de production plus faibles est lié à une transformation de fond du secteur avec la mise en place, par les grands groupes, d’une politique de mondialisation basée sur des critères de pure rentabilité. A partir de ce constat, nous nous sommes mobilisés pour avoir des réponses sur l’avenir de notre secteur. Nous avons interpellé le gouvernement et les représentants politiques.

Nous avons établi une charte papetière qui comprend de nombreuses propositions industrielles pour maintenir un secteur qui, depuis longtemps, est articulé à de très hautes normes écologiques qui donc possède des atouts importants pour l’avenir. Aujourd’hui, sur cette base, face à l’arrêt de machines, aux absoptions, à la fermeture de PME et d’usines, nous entrons dans une deuxième phase de mobilisation. Parce que le cycle économique dans lequel nous sommes entrés n’épargnera personne, il nous faut transformer l’essai pour que nos propositions débouchent sur des actes solidaires concrets de façon que chaque papetier de chaque entreprise de la filière se trouve mobilisé quand une autre entreprise est fermée. Il y avait l’idée classique, dans la papeterie, qu’une papeterie isolée géographiquement et liée à une petite agglomération pouvait résister avec un appui simplement local. Il n’est plus possible de s’arrêter à cette idée.Maintenant, resister localement, même de façon très combative, ne suffit plus pour faire plier le donneur d’ordre qui a décidé de la fermeture de l’entreprise. Il nous faut globaliser l’action de resistance à la destruction des capacités de la production et de l’emploi. Il faut globaliser notre action y compris à l’échelle internationale. ”

―L. 62 : “On oppose souvent des arguments “écologiques” à la filière papier et certains défendent l’exteriorisation de la production papetière hors d’Europe comme un fait positif. Qu’en pensez-vous ? ”

 J. G. : “Derrière cela, il y a une idée reçue : par exemple, l’idée qu’un catalogue commercial ou qu’un bottin téléphonique “coûte” en forêt. En fait, ceux qui connaissent la production du papier savent que l’on fait du papier à partir des déchets de la scierie et que le coeur du bois part à la menuiserie. Ils savent que la production du papier aide à déblayer les déchets de la production de bois. Ils savent également que la plupart de la production correspond à du papier recyclé et que nous avons aussi la possibilité de recycler des emballages avec la séparation des produits chimiques et de la pâte à papier recyclable. Cela, nous savons le faire depuis des dizaines d’années. Matussière et Forest par exemple, le groupe qui vient d’être fermé, c’est lui qui a inventé le procédé de recyclage du papier.

Dans notre domaine, l’innovation, la recherche et le développement sont spontanément orientés vers les questions d’environnement. En outre, si vous avez à aller chercher du papier recyclé par exemple, par camions entiers, à l’autre bout de l’Europe, alors que vous l’avez dans le cadre régional, vous augmentez la pollution. Vous déplacez le problème en augmentant la pollution et, du point de vue forestier, dans la mesure où la demande nationale vous pousse à organiser l’entretien des forêts, vous favorisez, globalement, la destruction dumillieu forestier. En France, c’est le contraire, la forêt landaise bénéficie de l’industrie du bois et de l’industrie papetière.

Même chose du point de vue de l’eau. En France et en Europe, l’analyse du rejet de l’eau nécessaire aux papeteries montre que l’eau est de meilleure qualité au sortir des usines que l’eau prélevée sur le cours d’eau. Les préoccupations écologiques, cela fait des années que nous les prenons en compte et cela est même, pour nous, un argument industriel en notre faveur. A la place d’embalages non biodégradables, il y a pour le papier de nombreuses possibilités de développement. Cela demande des investissements pour arriver aux plus hautes qualités. Cela est contradictoire avec la pensée industrielle de la rentabilité immédiate.

Par exemple, nous avons porté un “projet chanvre” dans le Pas-de- Calais, chez Maresquel. Ce projet donnait aux paysans locaux une possibilité de cultiver du chanvre en lien avec le secteur papetier local. Pourquoi ce projet n’a-t-il pas abouti ? Parce qu’il y a une pensée industrielle qui est obérée par la recherche du profit immédiat. Le projet “chanvre” était rentable mais sur un ou deux ans. Pour un patronat fixé sur l’idée d’un profit maximum sur six mois, c’était trop attendre.”

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L. 62 : “ Comment le patronat papetier se justifie-t-il ?”

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J. G. : “La paronat nous objecte la mondialisation. Mais quelle mondialisation ? La “mondialisation” cela ne veut rien dire en soi, cela dépend des critèresmis en oeuvre. Lamondialisation peut tout à fait s’envisager dans une perspective de coopération internationale et de co-développement et non pas seulement de profit maximum. Dans le secteur du papier, nous nous heurtons de plus en plus à un patronat qui a changé de nature.C’est toujours le patronat,mais ce n’est plus un patronat local ou régional, ce sont des commis de grands groupes qui n’ont plus de pensée industrielle. Ils ont des compte à rendre à leur état major. Ce ne sont plus des papetiers. ”

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L. 62 : “ Comment envisagezvous l’avenir de votre mobilisation ? ”

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J. G. : “Nous avons un plan de travail à mettre au point sur un mois ou deux. Qu’est-ce qu’on constate ? Comme je l’ai déjà évoqué, depuis deux ans règne dans notre secteur un climat de peur. Lorsque l’usine d’un groupe reçoit la foudre, les autres usines font le “dos rond” et les salariés se disent : “C’est tombé là, la foudre ne tombera pas chez moi”. Cette situation a duré un temps mais maintenant on s’aperçoit que la foudre non seulement peut tomber aumême endroit mais peut tomber à plusieurs endroits à la fois. La politique du“dos rond” n’est plus possible. En plus, il y a un blocage général de la société dans son ensemble. Il n’y a plus de projets industriels.

Pour nous, cette situation est l’occasion d’une reconstruction. L’imagerie de la télévision, c’est l’ouvrier abattu parce qu’il vient d’apprendre que son usine ferme.Aumieux, on lemontre à la porte de son entreprise. Mais l’image de l’équipe syndicale portant un projet et des propositions de développement, et de développement durable est complètement absente. Pourtant, c’est la réalité actuelle de notre lutte. Le rassemblement devant le siège de la COPACEL, avec des ouvriers venus de nombreuses entreprises, montre que le climat est en train de changer chez nous. La globalisation syndicale qui a pris du retard par rapport à la mondialisation est en train de se recomposer. Dans notre secteur, une pensée syndicale à la fois revendicative et porteuse de projets industriels durables semet résolument en marche.”

Propos recueillis par Jérôme Skalski

liberté 62