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LUCIEN SÈVE : Le communisme a t-il été essayé ? [extrait]

Publie le dimanche 25 mai 2008 par Open-Publishing
4 commentaires

Notre vie publique est dominée par un dogme, dont le poids est écrasant. Ce dogme c’est que le communisme a été essayé, comme on dit, et qu’il a échoué d’une manière incontestable et écrasante. C’est donc terminé.

C’est le grand dogme dans lequel nous vivons, dans lequel nous pensons, dans lequel nous échangeons, dans lequel nous essayons d’inventer. Le communisme est mort.

À cela j’objecte que le communisme n’a pas pu échouer pour l’excellente et simple raison qu’il n’a jamais été « essayé », nulle part. Ni dans des pays qui ont voulu construire au-delà du capitalisme, ni de la part de partis, qui sans être jamais parvenus vraiment au pouvoir, ont censément fait de la politique avec le communisme.

Je dis qu’ils n’en ont jamais fait vraiment avec le communisme, y compris le parti dont je suis membre depuis maintenant pas loin de 60 ans.

Pour tirer au clair cet étrange constat, le communisme a été essayé et il a échoué, réponse : pas du tout, il n’a été essayé nulle part, il faut se demander : de quoi parle-t-on ? Que veut-on dire ?

Pour moi cette question a commencé à prendre corps au tout début des années 80. Ayant été beaucoup mis en mouvement -comme nombre de communistes, membres du Parti ou pas, mais appartenant à cette mouvance politique- par le fameux abandon de la dictature du prolétariat en 1976, qui posait des problèmes stratégiques fondamentaux -ou, plus exactement, qui devait poser ces problèmes beaucoup plus qu’il ne l’a fait réellement- ma réflexion a été particulièrement sollicitée à ce moment-là.
D’autant plus que j’étais en bisbille avec Althusser sur ce point.
Lui était pour qu’on garde la dictature du prolétariat, moi j’étais absolument d’accord avec la décision du Parti, mais pas du tout d’accord avec le manque de pensée théorique qui accompagnait cette décision.

C’est ce qui m’a mis en mouvement. Ce mouvement a abouti à ce qui a été pour moi une véritable découverte et que chacun peut refaire aujourd’hui encore.

J’ai longuement enseigné que Marx, dans un texte fameux de 1875 qui s’appelle "La critique du programme de Gotha", explique qu’au-delà du capitalisme, il y a deux moments historiques fondamentaux. Le premier, qui est une phase inférieure, c’est le socialisme. Le deuxième, plus tard, phase ultérieure, sera le communisme.

Or, j’ai commencé à découvrir à ce moment-là, il y a de cela pas loin de 30 ans, qu’en réalité ce n’est pas du tout cela le vocabulaire de Marx. La fameuse première phase, jamais nulle part, en aucune circonstance, il ne l’a appelé socialisme. Il l’a toujours appelé communisme.

Mieux même, le choix du mot communisme par Marx et Engels, qui est une longue histoire -dans laquelle il est hors de question d’entrer en quelques minutes- est un choix fondamental, théorique, qu’Engels éclaire notamment dans la préface à l’édition anglaise du manifeste de 1877, lorsqu’il dit nous avions le choix entre socialisme et communisme en 1848, mais socialisme c’était un terme bourgeois, salonnard alors que communisme était prolétarien.

Et de plus, quand on s’intéresse au contenu, le socialisme renvoyait à toute sorte de choses dont l’étatisme, alors que le communisme, de ce point de vue, était beaucoup plus proche de l’anarchisme, malgré une divergence radicale quant à la manière et au moment de la suppression de l’Etat.

Mais en tout cas le communisme c’est le dépassement, l’abolition de l’Etat.
Donc entre socialisme et communisme il n’y a non pas successivité historique : d’abord le socialisme puis, tout naturellement, comme son aboutissement, le communisme.

Question : et alors pourquoi l’Union soviétique n’a-t-elle jamais transité vers le communisme, contrairement à la croyance, à l’espoir de Khrouchtchev qui annonçait que le socialisme bien « beurré » serait meilleur que celui « sans beurre », et que ça allait se produire dans peu d’années ?

A ce moment-là, on vivait encore dans l’idée qu’on était dans la phase socialiste, puis qu’on allait passer enfin (en tout cas commencer à passer) au communisme, avec la gratuité du métro, tout ça, qui allait s’étendre petit à petit.

Puis, sous Brejnev, le communisme disparaît. Ou plutôt il existe, mais très « en haut ». Au sommet des immeubles comme dans des slogans que plus personne ne regarde.

Ceux qui sont allés à Moscou dans ces périodes là ont certainement encore cette extraordinaire image des grands slogans en lettres éclairées la nuit : « En avant vers le communisme », ce qui n’avait rigoureusement plus aucun sens, qui n’en avait jamais vraiment eu, mais qui alors là, officiellement, n’en avait plus aucun.

Messages

  • Le communisme n’a jamais été essayé pas plus d’ailleurs que le socialisme.
    Ce qui a été mis en application c’est le stalinisme et non le capitalisme d’Etat.
    Ce qui est impossible c’est le communisme par autogestion des entreprises sans mouvement d’ensemble et en laissant l’Etat bourgeois tel quel.

  • le communisme, de ce point de vue, était beaucoup plus proche de l’anarchisme. ; ; ;

    1)les anars sont des cocos qui ne se sont pas senti le cul cul la praline (la jolie famille)

    2)Ils ont lus marx lénine and co

    3) mais ils ne sont ni bobo popu ni pseudo rockenroll ni stal ni troskar

    oh comme c’est beau !!!!!!!!!!!!!!!!

    salutation rockenrolesque

    • Le capitalisme d’Etat comme vieille grimace destinée à effrayer les niais

      Une réponse à un marxologue qui a posté plusieurs textes sur le communisme, le capitalisme d’Etat et l’inexistence du socialisme. Le même ne dit mot du stalinisme.

      1 - Lucien SEVE : Le communisme a-t-il été essayé ? dimanche 25 mai 2008 (01h23) :

      http://bellaciao.org/fr/spip.php?article66585

      Le même RB cite L SEVE - membre du vieux PCF et copain d’Althusser quoiqu’en désaccord théorique sur la dictature du prolétariat -s’en tient à Marx comme si Marx était le seul à avoir pensé le trajet vers le communisme .

       Définition en positif et en négatif : Le communisme de Marx c’est deux choses : d’une part c’est le mouvement réel de l’abolition de l’ordre existant vers autre chose de radicalement différent : la dictature du prolétariat ou démocratie socialiste ; d’autre part c’est la société sans classe. La fin communiste, ce n’est pas l’autogestion capitaliste, ce n’est pas la cogestion des entreprises toujours sous domination du capital et de sa logique du profit mais la société sans classe sans rapports sociaux de production capital/travail, rapports que l’on retrouvent hors travail dans la société civile marchande.

       Réalité du communisme comme mouvement historique : Le communisme n’a certes jamais été essayé mais pas plus d’ailleurs que le socialisme ou le capitalisme d’Etat. Ce qui a été mis en application c’est un socialisme de parti et de bureaucrates sous la commande de fer de Staline . Le modèle s’est exporté sous le nom de stalinisme

       Le non dit de l’ensemble des textes : Ce qui est impossible c’est le communisme par autogestion des entreprises une par une sans mouvement d’ensemble et en laissant l’Etat bourgeois tel quel.

      2 - Capitalisme + Capitalisme d’état = morts dimanche 25 mai 2008 (11h34) : *

      http://bellaciao.org/fr/spip.php?article66600

      a) Qu’est-ce que le capitalisme d’Etat ?

       Un "gros mot" ? Ici le terme "capitalisme d’Etat" fonctionne sans définition donc comme caractérisation sommaire et vulgaire visant à discréditer le socialisme et le communisme par assimilation au stalinisme . Il n’est qu’un "gros mot" ayant d’ailleurs explicitement pour fonction de ressortir les thèses contestables et contestées du Livre noir du communisme ici renommé capitalisme d’Etat .

       La notion de "capitalisme d’Etat" a certes eu des théoriciens comme d’ailleurs le "socialisme de marché" (mais ce n’est pas le cas ici). Citons David ROUSSET (repris par Bensaid) : « La bureaucratie comme classe est ancrée dans le capitalisme d’État, qui lui-même est le produit d’un contexte technologique historiquement défini et des rapports sociaux que l’armature matérielle supporte. Le renversement de la propriété bureaucratique ne peut résulter que d’une révolution sociale mondiale, qui, à son tour, ne peut surgir que du conflit aigu entre les composants technologiques et sociaux du procès de production. »

      A propos de l’inanité de la caractérisation de capitalisme d’Etat citons par exemple Cornélius CASTORIADIS : " Si la société bureaucratique est une société de classes, elle ne peut pourtant pas être assimilée à une société capitaliste, car elle n’en a aucun des traits principaux. La notion de "capitalisme d’Etat" appliquée à l’ensemble d’une société, est à la fois contradictoire et confusionniste. Dans le "capitalisme d’Etat" idéal il n’y a plus aucun trait du capitalisme connu, sinon l’exploitation commune à tous les régimes. Par conséquent ce terme, qui n’a aucune signification historique et aucune signification de fond, ne peut précisément être employé pour désigner une société qui n’est pas issue du capitalisme, mais qui a surgi de la dégénérescence d’une révolution prolétarienne. Il ne s’agit pas pour les besoins d’une propagande facile de mettre le stalinisme et le capitalisme dans le même sac".
      Court extrait de Sur la question de l’U.R.S.S. et du stalinisme mondial par Cornélius Castoriadis (Chaulieu) Août 1947

      http://www.marxists.org/francais/general/castoriadis/works/1947/chaulieu_194708.htm

       Un capitalisme social ? Un début de vérité serait de dire que le "capitalisme d’Etat" dépossède les vrais capitalistes et que l’appareil d’Etat peut certes reproduire une sorte de capitalisme sans capital pas nécessairement totalitaire d’ailleurs car cela s’est fait pendant les Trentes Glorieuses en France sous le nom d’Etat providence en présence donc de rapports sociaux capitalistes qui, faut-il le rappeler n’ont pas recouvert toute la société même s’ils ont "colonisé" la vie sociale bien au-delà de l’entreprise privée.

       Une diversion visant à renoncer au socialisme : Le terme capitalisme d’Etat employé de façon si idéologique ne sert qu’à créer un obstacle épistémologique et un obstacle à la mobilisation pour un autre monde radicalement différent de celui-ci, pour un éco-socialisme écologique combinant planification et conseillisme

      b ) Vive la démocratie socialiste.

      Pour y aller il faut conquérir l’Etat bourgeois par la révolution socialiste et entamer d’emblée le dépérissement du parlementarisme et le développement des conseils ou des soviets (si le mot d’écorche pas trop) le tout sans Kronstadt et sans dictature d’un parti ou d’une bureaucratie et donc sur la base de la démocratie des travailleurs salariés - surtout ceux qui épuisent leur salaire à l’entretien et la reproduction de la force de travail vendue - et des paysans non productivistes.

      Les principes du socialisme vu par Daniel BENSAID un « léniniste libertaire »… :
      * "pas d’arbitraire" ;
      * « pluralisme politique et syndical » ;
      * « révocabilité des élus » dans les organes des travailleurs et « limitation du cumul des mandats » ;
      * « décentralisation du pouvoir » ; * « démocratie des producteurs librement associés » et « planification autogestionnaire ».

      Christian DELARUE

  • Aucune théorie socio-politique n’est applicable, car les sciences sociales ne sont pas des sciences expérimentales au sens strict. La décision politique est le résultat d’une délibération collective ou personnelle. Toutes sortes de théories, d’idéologies, de croyances, de soi-disant évidences sont mises en jeu dans dans la multitude des choix politiques plus ou moins hiérarchisés qui constituent la vie de la société. Par conséquent, il y a les théories de Marx, le communisme ou le socialisme comme idéologie ou théorie, et à côté, non pas leur réalisation, mais une réalisation qu’on peut appeler le communisme réel ou le socialisme réalisé mais qui n’a tenu compte du communisme ou du socialisme ou des théories de Marx que comme des éléments parmi d’autres. Alors, avec Lucien Sève, on peut dire que le communisme n’a jamais été réalisé, mais on peut dire aussi que, à moins de simplifier le processus de décision, jamais le communisme comme corpus de projets, ni aucune autre vision idéale de la société, ne sera « réalisé ».

    Les adversaires du communisme, ceux qui considèrent que leur raison de vivre sur terre est d’amasser des biens et non de lutter pour plus d’égalité et de solidarité, en toute bonne conscience cherchent de bonnes raisons pour diaboliser le communisme, et entre autres fautes logiques, ils confondent le plan de la théorie et celui de la décision, schématisant cette dernière comme réalisation de la première. Il y a dans tout cela le mépris colonialiste ou impérialiste, un mépris qui se permet de caricaturer et de simplifier la réalité des pays dominés ou autrefois dominés et qui ont osé faire autre chose. Ce n’est pas parce qu’il y a eu les crimes du stalinisme qu’il faudrait jeter l’anathème sur les théories de Marx et de ses successeurs , les mettre à la poubelle.

    Si la théorie marxiste est à prendre sérieusement en considération, en relation avec tout ce qui est fait par ailleurs sur le plan théorique et dans la pratique politique, c’est qu’elle peut être un élément décisif dans les prises de décision politique, à condition que la délibération soit collective, large et démocratique. À un moment ou à un autre, elle peut être dans une existence individuelle un enthousiasme portant au militantisme, une ligne directrice, une vision du monde, organisant une partie de la complexité de l’existence quotidienne et donnant dans les délibérations politiques un éclairage original ou pertinent, en toute modestie.

    Si la politique concrète consiste à pénétrer pédagogiquement dans les foyers populaires, il faut tenir compte du contexte : d’une part 2 h 30 de télévision en moyenne par jour, avec des médias contrôlés par les actionnaires et les publicitaires, d’autre part une monarchie politique et des dictatures patronales qui nécessitent partout des lieux de parole et de délibération politiques. Une condition de la république, du point de vue de tout un chacun, est de décrédibiliser à chaque occasion des médias et des institutions politiques qui nous considèrent comme des sous citoyens. Alors, à cette condition, pourra-t-on faire enfin comprendre cette manipulation que dénonce Lucien Sève, une manipulation qui discrimine la théorie marxiste, une théorie qui donne un éclairage extrêmement important sur notre situation. une manipulation qui révise l’histoire et décrédibilise les mouvements politiques se réclamant du communisme