Accueil > La CIA savait que l’Irak ne possédait plus d’ADM
de ZeDrX
Un article du Monde ce matin finit par confirmer ce que l’on savait déjà : les
armes de destruction massives (ADM), qui ont justifié le déclenchement de la
guerre en Irak il y a plus d’un an, n’existaient pas. Et la CIA était au courant.
Qui a même déformé des rapports de renseignements pour faire passer sa thèse.
C’est le Sénat américain qui a mis tout cela au grand jour, après plusieurs mois
d’enquêtes et d’interrogatoires menés par des commissions spéciales.
Ce que l’on ne connaît pas (encore), c’est le commanditaire de tels bidonnages : on imagine mal les responsables de la CIA prendre unilatéralement la décision de faire passer en force l’idée d’une guerre contre l’Irak. Faut-il y voir la main du Pentagone, de la Maison Blanche ou encore de tel ou tel think-tank néoconservateur ?
Ce qui serait intéressant dans la révélation de cette sombre magouille - qui n’a finalement abusé que le peuple américain trahi par des médias aveugles et soumis - , ce serait de savoir si cette manipulation politico-militaire n’est que le fruit pourri du travail souterrain d’une poignée d’hommes, placés à des postes clés à la faveur d’un accident électoral, ou plus largement la résultante systémique d’un capitalisme guerrier qui aurait besoin de purger régulièrement ses stocks et ses finances afin de redynamiser et relancer son économie. Et par la même occasion conquérir de nouveaux marchés et zones géographiques stratégiques.
Autrement dit, la guerre et l’agression militaire illégale sont-elles uniquement le fait de Georges W. Bush et de son administration fascistoïde ou sont-elles des conséquences du système économique des Etats-Unis ?
Si on regarde l’histoire moderne de ce pays, on constate qu’il a mené entre la fin du XIXème siècle et la seconde guerre mondiale de multiples guerres d’agression typiquement impérialistes, notament envers les pays de la zone caraïbe et latino-américaine. Pour être honnête, il faut noter qu’à l’époque les pays européens faisaient de même entre eux et avec les pays qui sont devenus leurs colonies.
La spécificité américaine est que si l’Europe était une mosaïque de nations aux nationalismes exacerbés se menaçant les unes les autres depuis des siècles, les Etats-Unis ont toujours été relativement tranquilles de ce côté-là, disposant d’un territoire immense et de voisins trop peu puissants pour représenter une menace, une fois le Mexique battu et amputé de larges territoires après la guerre de 1846-1848. Les guerres menées tout au long du XIXème et du XXème siècles, quelque soit la couleur politique des administrations qui se sont succédées, ont toutes été au service d’un expansionisme assumé qui visait à construire un pays suffisament puissant pour établir de fait un empire - qui ne dit généralement pas son nom. Comme l’écrivait la Démocratic Review en 1845 : "c’est la destinée manifeste du peuple américain de se répandre sur le continent".
Si après 1945, les nations européennes ont commencé à tourner le dos au capitalisme nationaliste et guerrier primitif - qui consistait à soumettre les pays les plus faibles afin d’exploiter leur ressources et à combattre par les armes les rivaux potentiels - qui les caractérisait depuis le début du XIXème siècle, les Etats-Unis ont opté pour le choix inverse : ils ont militarisé leur économie à partir du début de la seconde guerre mondiale, d’abord pour fournir les armées anglaises et françaises puis pour leur propre compte après leur entrée en guerre en 1941, et devant les résultats obtenus - cohésion nationale renforcée, société en état d’urgence et mobilisée, productivité décuplée - ont décidé de poursuivre dans la même voie. Selon le président de General Motors de l’époque, le peuple américain n’avait jamais aussi bien travaillé et il était donc plus que profitable de faire perdurer le système.
Dès avant la fin de la seconde guerre mondiale, la menace soviétique a ainsi été délibérément amplifiée et la psychose anticommuniste qui a secoué les Etats-Unis pendant plus de dix ans a permis tous les excès, toutes les manipulations et tous les mensonges : bombardement atomique à Hiroshima et Nagasaki, maccarthysme, guerre de Corée, guerre du Vietnam, soutien inconditionnel des dictatures militaires en Amérique Latine et en Europe, débarquement à Cuba, toutes ces actions ont été guidées à la fois par le souci de contrer le communisme en tant qu’idéologie et par la volonté de développer l’économie par l’intégration de l’armée dans l’industrie nationale américaine. Les responsables américains savaient qu’il était peu probable que l’URSS elle-même attaque leur territoire mais cette doctrine politique remettait en cause les fondements mêmes de la société américaine et devenait de plus en plus populaire dans les milieux ouvriers américains qui contrairement à une idée reçue étaient trés impliqués dans l’activisme politique radical depuis la fin du XIXème siècle. Ce sont la mise en place d’une économie de guerre ainsi que le vote de lois dites patriotiques qui ont détourné les masses laborieuses de la tentation révolutionnaire et rendu illégale toute contestation de l’activité militaire des Etats-Unis en période de conflit, anéantissant de fait la gauche radicale américaine qui ne subsiste plus aujourd’hui qu’à l’état de groupuscules.
Après 1989 et l’effondrement du système communiste, la menace est devenue islamiste : les anciens pions mis en place et financés par les Etats-Unis pour alimenter des guérillas locales contre le pouvoir soviétique de l’époque se sont alors retournés contre leurs anciens maîtres - vus à raison comme de simples bailleurs de fonds dont il aurait été imbécile de ne pas profiter - qui font dès lors face à une nouvelle menace planétaire qui n’a fait que s’amplifier depuis le début des années 1990 jusqu’au choc du 11 septembre 2001.
Le drame est que la menace, d’abord fantasmée et amplifiée dans les années 1940, est devenue de plus en plus réelle par un curieux effet boule-de-neige : l’absolutisme militaire terrifiant des Etats-Unis - dont on sait qu’ils ont déclenché le feu nucléaire par calcul politique sur un Japon qui proposait déjà sa rédition - a changé les règles, a suscité la haine la plus profonde et libéré les pulsions meurtrières les plus folles. La violence engendre la violence, le cycle est connu depuis longtemps.
La guerre du Viet-Nam, la plus terrible jamais vécue par les Etats-Unis, a été perdue contre un ennemi incroyablement dur et motivé : le Viet-Minh, implanté au début des années 1940 dans l’Indochine française et financé par l’administration Roosevelt qui voulait se débarrasser de la présence de la France de Vichy en Asie. L’attentat le plus spectaculaire et le plus meurtrier de tous les temps, contre les tours du World Trade Center de Manhattan, a été le fait d’une organisation terroriste islamiste internationale dirigée par un dénommé Ben Laden bien connu des Américains lors de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, guerre financée par les Etats-Unis et qui a permis à des dizaines de milliers de combattants islamistes de se forger une expérience et une légitimité avant de se diffuser dans le reste du monde musulman et de devenir les cadres de la nébuleuse Al-Qaeda.
De tout cela, le peuple américain n’est guère au courant - ou semble totalement dépassé. Le fait est que cette folle machine de guerre et de destruction qu’est devenue l’industrie militaire américaine est à la fois parfaitement visible dans sa dimension guerrière internationale et à peu près invisible au plan national tant son intégration dans le reste de l’économie est subtile.
Aujourd’hui, on ne sait pas si ce sont les commandes et la recherche militaires qui tirent l’économie américaine et qui bénéficient au reste de l’économie civile ou si le secteur militaro-industriel ne représente qu’un pan particulièrement dynamique et puissant - levier de tous les pouvoirs politiques - de cette économie.
En résumé, la guerre et l’agression militaire américaines sont-elles inhérentes au système économique des Etats-Unis, à la manière de ce que déclarait un Jaurès en son temps, ou ne sont-elles que la survivance d’un vieil esprit primitif de conquête qu’il serait possible de faire disparaître ?
Dans le premier cas, le monde est condamné aux manoeuvres et aux mensonges tels qu’on les a vécu pour l’Irak et à la guerre perpétuelle, et ce pour longtemps. Dans le second cas, il subsiste un espoir de changer les choses et de faire évoluer le capitalisme militaire des Etats-Unis, technologiquement hyper-évolué mais politiquement arriéré, vers une forme civile plus sophistiquée et plus pacifique - mais il faudrait pour cela que les Etats-Unis décident de suivre les règles qu’ils ont eux-mêmes édicté et acceptent de temps à autre la défaite.
http://zedrx.blogspot.com/2004/07/la-cia-savait-que-lirak-ne-possdait.html
06.07.2004
Collectif Bellaciao