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La danse dans l’intermittence des conflits

Publie le mardi 22 juillet 2003 par Open-Publishing

La danse dans l’intermittence des conflits
LE MONDE | 19.07.03 | 14h41
 analyse L’été 2003 incarne déjà un rite d’initiation pour toute une
génération

Après l’annulation de Danse à Aix se pose la question de savoir quel rôle
tiennent danseurs et chorégraphes en ce moment même dans le conflit des
intermittents. Il ne s’agit pas ici de séparer une discipline des autres. On
a bien compris qu’elles étaient solidaires.

Il n’y a pourtant pas de hasard : la première annulation est venue de
Montpellier-Danse, où Jean-Paul Montanari, directeur de la manifestation, et
Georges Frêche, maire de la ville, n’ont rien pu faire devant la tactique de
la grève reconductible chaque jour, mise au point dans l’urgence de se faire
entendre.

C’est à Montpellier-Danse, où elles étaient programmées, que Mathilde
Monnier et Régine Chopinot n’ont pas hésité à entraîner dans leur sillage,
et sur leur nom, d’autres artistes afin que les techniciens intermittents, à
l’origine du mouvement, ne soient pas montrés du doigt, isolés. C’est Régine
Chopinot, en revanche, qui a été pointée par les adversaires de la grève,
"les solidaires en paroles et non en actes", comme elle le dit. On a tout
entendu, notamment qu’elle était une "nantie", qu’elle était la "protégée"
de Jean-Pierre Raffarin dans son fief de Poitou-Charentes. Un bouc émissaire
est enfin trouvé, qui cristallise d’autant mieux l’amertume que le bouc est
belle, blonde et grande gueule. Qu’elle porte la lutte à Avignon en même
temps qu’à La Rochelle, ville où elle vit et travaille avec son Ballet
Atlantique.

NOUVEAUX MILITANTS

A Avignon, on la retrouve entourée de François Verret et de Maguy Marin,
deux artistes mobilisés depuis des années sur des positions radicales de
création et de luttes (Bosnie, quartiers défavorisés, précarité), mais aussi
d’Héla Fattoumi, de Sylvain Prunenec, de Farid Berki qui, à l’instar de
Chopinot, se découvrent eux-mêmes dans cette bagarre, apprennent à se situer
et à se faire confiance, quitte à dire des "conneries", comme le reconnaît
Farid Berki, chorégraphe issu du hip-hop et des cités du nord de la France,
incroyablement vif à tout saisir. De la création. De la politique.

L’été 2003 incarne déjà un rite d’initiation pour toute une génération,
presque deux. Une épreuve individuelle et collective, constituante. Car
s’ils se sont sacrifiés en ne jouant pas et pas "tiré une balle dans le
pied", comme l’a dit Patrice Chéreau (quel danseur accepterait de
s’automutiler, même métaphoriquement ?), encore moins "suicidés", ils
savent ce qu’ils perdent aujourd’hui, et l’acceptent, parce qu’ils veulent
"non plus des aménagements ni des amendements, mais un renouveau complet.
Parce que c’est le moment ou jamais après vingt-deux ans de silence".
François Verret, évoquant aussi cette loi passée le 3 juillet, dans
l’indifférence générale, "qui aggrave le "délit" de ceux qui aident des
sans-papiers", revendique "d’être du côté de l’humain, du vivant".

"Annuler, ce n’est ni une mise au tombeau ni un deuil, dit Héla Fattoumi,
mais une ouverture qui contient en elle-même ses promesses. Déjà nous avons
des contacts avec des directeurs de théâtre pour remobiliser en septembre
afin que cet élan constructif de prise de conscience ne soit pas, à son
tour, annulé à la rentrée." Par leur refus d’accepter une sorte de marché
qui aurait consisté à jouer, au prétexte que les festivals étaient leurs
meilleures plates-formes, les intermittents, techniciens et artistes
confondus, expriment leur méfiance d’une parole qui étoufferait, avec l’été,
leur volonté de changer en profondeur la réalité. On n’est plus du tout en
1968, quand la parole était reine.

Face à "une stratégie sournoise qui met en place un système où l’argent, qui
va encore à "la culture", parvient entre les mains de "non-artistes", passés
maîtres dans la pratique du pouvoir culturel", comme l’expose non sans
douleur Karine Saporta, face à ce vide vertigineux, provoqué par les
annulations des festivals de l’été, il y a matière à développement durable.

Chorégraphes et danseurs ont été les premiers à se mobiliser

Dominique Frétard