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La mystification democratique , Invariance PREMIERE Serie

Publie le mardi 31 mai 2011 par Open-Publishing

5.1. Le phénomène historique général. L’assaut du prolétariat aux citadelles du capital ne pourra se faire avec une quelconque chance de succès qu’à la condition que le mouvement révolutionnaire prolétarien en finisse, une fois pour toutes, avec la démocratie. Celle-ci est le dernier refuge de tous les reniements, de toutes les trahisons, parce qu’elle est le premier espoir de ceux qui croient assainir, revigorer le mouvement actuel pourri jusqu’en ses fondements. "La vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique." (Marx – 8° thèse sur Feuerbach)

5.1.1. D’une façon générale, nous pouvons définir la démocratie comme le comportement de l’homme, l’organisation de celui-ci lorsqu’il a perdu son unité organique originelle avec la communauté. Elle existe donc durant toute la période qui sépare le communisme primitif du communisme scientifique.

5.1.2. Elle naît à partir du moment où il y a division entre les hommes et partage de l’avoir. Cela veut dire qu’elle naît avec la propriété privée, les individus et la division de la société en classes, avec la formation de l’Etat. Il s’ensuit qu’elle devient de plus en plus pure au fur et à mesure que la propriété privée devient plus générale et que les classes apparaissent plus nettement dans la société.

5.1.3. Elle suppose un bien commun mis en partage. Dans la société antique, la démocratie limitée présupposait l’existence de l’ager publicus et les esclaves n’étaient pas des hommes. Dans la société moderne, ce bien est plus universel (touche un plus grand nombre d’hommes), plus abstrait, illusoire : la patrie.

5.1.4. La démocratie n’exclut en aucune façon l’autorité, la dictature et donc l’Etat. Au contraire, elle en a besoin comme fondement. Qui peut garantir le partage, qui veut régler le rapport entre les individus et entre ceux-ci et le bien commun, sinon l’État ? Dans la société capitaliste pleinement développée, l’État se présente aussi comme le gardien de la répartition à un double point de vue : empêcher que la plus-value ne soit grignotée par le prolétariat, garantir la répartition de celle-ci sous forme de profit industriel, profit commercial, intérêt, rente, etc. entre les différentes sphères capitalistes.

5.1.5. Elle implique donc l’existence des individus, de classes et de l’État ; ce qui fait qu’elle est à la fois mode de gouvernement, mode de domination d’une classe, ainsi que le mécanisme d’union et de conciliation. Les processus économiques, en effet, à l’origine, divisent les hommes (procès d’expropriation) unis dans la communauté primitive. Les antiques rapports sociaux sont détruits. L’or devient puissance réelle remplaçant l’autorité de la communauté. Les hommes sont opposés à cause d’antagonismes matériels tels qu’ils pourraient faire éclater la société, la rendre invivable. La démocratie apparaît comme un moyen de concilier les contraires, comme la forme politique la plus apte à unir ce qui a été divisé. Elle représente la conciliation entre la vieille communauté et la société nouvelle. La forme mystificatrice réside dans l’apparente reconstruction d’une unité perdue. La mystification était progressive. Au pôle opposé de l’histoire, de nos jours, le processus économique a abouti à la socialisation de la production et des hommes. La politique, au contraire, tend à les diviser, à les maintenir comme simples surfaces d’échange pour le capital. La forme communiste devient de plus en plus puissante au sein du vieux monde capitaliste. La démocratie apparaît comme une conciliation entre le passé encore agissant en notre présent actuel et le futur : la société communiste. La mystification est réactionnaire.

5.1.6. Il a été souvent affirmé qu’au commencement de la vie de notre espèce, dans le communisme primitif, il y avait des germes de démocratie, certains parlent même de formes. Or il y a incompréhension que dans la forme inférieure on peut trouver les germes de la forme supérieure se manifestant sporadiquement. Cette "démocratie" apparaissait dans des circonstances bien définies. Celles-ci une fois révolues, il y avait retour à l’ancien mode d’organisation. Exemple : la démocratie militaire à ses débuts. L’élection du chef se faisait à un moment précis et en vue de certaines opérations. Celles-ci accomplies, le chef était résorbé dans la communauté. La démocratie qui se manifestait temporairement était réabsorbée. Il en fut de même pour les formes du capital que Marx appelle antédiluviennes. L’usure est la forme archaïque du capital-argent qui pouvait se manifester dans les vieilles sociétés. Mais son existence était toujours précaire parce que la société se défendait contre son pouvoir dissolvant et la bannissait. Ce n’est que lorsque l’homme est devenu marchandise que le capital peut se développer sur une base sûre et qu’il ne peut plus être réabsorbé. La démocratie ne peut réellement se manifester qu’à partir du moment où les hommes ont été totalement divisés et que le cordon ombilical les unissant à la communauté a été coupé ; c’est-à-dire quand il y a des individus. Le communisme peut parfois se manifester dans cette société, mais il est toujours réabsorbé. Il ne pourra vraiment se développer qu’à partir du moment où la communauté matérielle aura été détruite.

5.1.7. Le phénomène démocratique apparaît avec netteté au cours de deux périodes historiques : lors de la dissolution de la communauté primitive en Grèce ; lors de la dissolution de la société féodale en Europe occidentale. C’est incontestablement au cours de cette seconde période que le phénomène apparaît dans sa plus grande ampleur parce que les hommes ont été réellement réduits à l’état d’individus et que les antiques rapports sociaux ne peuvent plus les maintenir unis. La révolution bourgeoise apparaît toujours comme une mise en mouvement des masses. D’où la question bourgeoise : comment unifier celles-ci et les fixer dans de nouvelles formes sociales. De là, la maladie institutionnelle et le déchaînement du droit en société bourgeoise. La révolution bourgeoise est sociale à âme politique. Au cours de la révolution communiste, les masses ont déjà été organisées par la société capitaliste. Elles ne vont pas chercher de nouvelles formes d’organisation mais elles vont structurer un nouvel être collectif, la communauté humaine. Ceci apparaît nettement lorsque la classe agit en temps qu’être historique, lorsqu’elle se constitue en parti. Plusieurs fois dans le mouvement communiste, il a été affirmé que la révolution n’est pas un problème de formes d’organisation. Pour la société capitaliste, en revanche, tout est question organisationnelle. Au début de son développement, ceci apparaît dans la recherche des bonnes institutions ; à la fin dans celle des structures les plus aptes à enserrer les hommes dans les prisons du capital : le fascisme. Aux deux extrêmes, la démocratie est au coeur de ces recherches : la démocratie politique d’abord, sociale ensuite.

5.1.8. La mystification n’est pas un phénomène voulu par les hommes de la classe dominante, une supercherie inventée par eux. Il suffirait d’une simple propagande adéquate pour l’extirper des cerveaux des hommes. Elle agit en fait, dans les profondeurs de la structure sociale, dans les rapports sociaux. "Il faut qu’un rapport social de production se présente sous la forme d’un objet existant en dehors des individus et que les relations déterminées dans lesquelles ceux-ci entrent dans le procès de production de leur vie sociale, se présentent comme des propriétés spécifiques d’un objet. C’est ce renversement, cette mystification non pas imaginaire, mais d’une prosaïque réalité, qui caractérise toutes les formes sociales du travail créateur de valeur d’échange." (Marx - Contribution à la critique de l’économie politique) Il est donc nécessaire d’expliquer en quoi la réalité est mystificatrice et comment cette mystification simple, au début, devient de plus en plus grande et atteint son maximum avec le capitalisme.

5.1.9. A l’origine, la communauté humaine subit la dictature de la nature. Elle doit lutter contre elle pour survivre. La dictature est directe, et la communauté dans sa totalité, la subit. Avec le développement de la société de classes, l’État se pose en représentant de la communauté, prétend incarner la lutte de l’homme contre la nature. Or, étant donné la faiblesse du développement des forces productives, la dictature de cette dernière est toujours opérante. Elle est indirecte, médiatisée par l’État et pèse surtout sur les couches les plus défavorisées. Lorsque l’État définit l’Homme, il prend, en fait, comme substrat de sa définition, l’homme de la classe dominante. La mystification est totale.

5.1.10. Sous le capitalisme, on a une première période où, bien que la bourgeoisie ait pris le pouvoir, le capital n’a encore qu’une domination formelle. Beaucoup de restes de formations sociales antérieures persistent, faisant obstacle à sa domination sur l’ensemble de la société. C’est l’époque de la démocratie politique où s’effectue l’apologie de la liberté individuelle et la libre concurrence. La bourgeoisie présente cela comme moyens de libération des hommes. Or c’est une mystification parce que "la concurrence n’émancipe pas les individus, mais le capital" (Marx - Grundrisse). "On voit ainsi combien il est inepte de présenter la libre concurrence comme le développement ultime de la liberté humaine, et la négation de la libre concurrence comme la négation de la liberté individuelle et de la production sociale fondée sur la liberté individuelle, puisqu’il s’agit simplement du libre développement sur une base étroite -celle de la domination du capital-. De ce fait, cette sorte de liberté individuelle est à la fois l’abolition de toute liberté individuelle et l’assujettissement de l’individu aux conditions sociales qui revêtent la forme de puissances matérielles, et même d’objets supérieurs et indépendants des rapports des individus. Ce développement de la libre concurrence fournit la seule réponse rationnelle que l’on puisse faire aux prophètes de la classe bourgeoise qui la portent aux nues, ou aux socialistes qui la vouent aux gémonies." (Ibid. p. 168)

5.1.11. "La démocratie et le parlementarisme sont indispensables à la bourgeoisie après sa victoire par les armes et par la terreur parce que la bourgeoisie veut dominer une société divisée en classes." (Battaglia Communista - 1951) Il y avait nécessité d’une conciliation pour pouvoir dominer car il était impossible qu’une domination perdure uniquement par la terreur. Après la conquête du pouvoir, par la violence et la terreur, le prolétariat n’a pas besoin de la démocratie non pas parce que les classes disparaissent du jour au lendemain mais parce qu’il ne doit plus y avoir masquage, mystification. La dictature est nécessaire pour empêcher tout retour de la classe adverse. De plus, l’accession du prolétariat à l’État, est sa propre négation en tant que classe, ainsi que celle des autres classes. C’est le début de l’unification de l’espèce, de la formation de la communauté. Réclamer la démocratie impliquerait l’exigence d’une conciliation entre les classes et cela reviendrait à douter que le communisme est la solution de tous les antagonismes, qu’il est la réconciliation de l’homme avec lui-même.

5.1.12. Avec le capital, le mouvement économique n’est plus séparé du mouvement social. Avec l’achat et la vente de la force de travail, l’union s’est opérée, mais elle a abouti à la soumission des hommes au capital. Celui-ci se constitue en communauté matérielle et il n’y a plus de politique puisque c’est le capital lui-même qui organise les hommes en esclaves. Jusqu’à ce stade historique, il y avait une séparation plus ou moins nette entre production et distribution. La démocratie politique pouvait être envisagée comme un moyen de répartir plus équitablement les produits. Mais lorsque la communauté matérielle est réalisée, production et distribution sont indissolublement liées. Les impératifs de la circulation conditionnent, alors, la distribution. Or la première n’est plus quelque chose de totalement extérieur à la production, mais est, pour le capital, un moment essentiel de son procès total. C’est donc le capital lui-même qui conditionne la distribution. Tous les hommes accomplissent une fonction pour le capital qui, au fond, présuppose leur existence. En rapport avec l’exécution de cette fonction, les hommes reçoivent une certaine distribution de produits par l’intermédiaire d’un salaire. Nous avons une démocratie sociale. La politique des revenus est un moyen d’y parvenir.

5.1.13. Durant la période de domination formelle du capital (démocratie politique) la démocratie n’est pas une forme d’organisation qui s’oppose en tant que telle au capital, c’est un mécanisme utilisé par la classe capitaliste pour parvenir à la domination de la société. C’est la période où toutes les formes incluses dans cette dernière luttent pour parvenir à ce même résultat. C’est pourquoi, pendant une certaine période, le prolétariat peut lui aussi intervenir sur ce terrain. D’autre part, les oppositions se déroulent aussi au sein d’une même classe, entre bourgeoisie industrielle et bourgeoisie financière par exemple. Le parlement est alors une arène où s’affrontent les intérêts divers. Le prolétariat peut utiliser la tribune parlementaire pour dénoncer la mystification démocratique et utiliser le suffrage universel en tant que moyen d’organiser la classe. Lorsque le capital est parvenu à sa domination réelle, s’est constitué en communauté matérielle, la question est résolue : il s’est emparé de l’État. La conquête de l’État de l’intérieur ne se pose plus car il n’est plus "qu’une formalité, le haut goût de la vie populaire, une cérémonie. L’élément constituant est le mensonge sanctionné, légal des États constitutionnels, disant que État est l’intérêt du peuple ou que le peuple est l’intérêt de l’État" (Marx).

5.1.14. L’État démocratique représente l’illusion de la conduite de la société par l’homme (que celui-ci puisse diriger le phénomène économique). Il proclame l’homme souverain. L’État fasciste est la réalisation de la mystification (en ce sens il peut apparaître comme sa négation). L’homme n’est pas souverain. En même temps, il est, de ce fait, la forme réelle, avouée, de l’Etat capitaliste : domination absolue du capital. L’ensemble social ne pouvait pas vivre sur un divorce entre la théorie et la pratique. La théorie disait : l’homme est souverain ; la pratique affirmait : c’est le capital. Seulement, tant que ce dernier n’était pas parvenu à dominer, de façon absolue, la société, il y avait possibilité de distorsion. Dans l’État fasciste, la réalité s’assujettit l’idée pour en faire une idée réelle. Dans l’État démocratique l’idée s’assujettit la réalité pour en faire une réalité imaginaire. La démocratie des esclaves du capital supprime la mystification pour mieux la réaliser. Les démocrates veulent la remettre en évidence lorsqu’ils croient pouvoir concilier le prolétariat avec le capital. La société a trouvé l’être de son oppression (ce qui abolit la dualité, la distorsion réalité-pensée), il faut lui opposer l’être libérateur qui représente la communauté humaine : le parti communiste.

5.1.15. De là découle que la plupart des théoriciens du XIXème siècle étaient étatistes. Ils pensaient résoudre les données sociales au niveau de l’État. Ils étaient médiatistes. Seulement, ils ne comprenaient pas que le prolétariat devait non seulement détruire l’ancienne machine de l’Etat, mais en mettre une autre à la place. Beaucoup de socialistes crurent qu’il était possible de conquérir l’Etat de l’intérieur, les anarchistes de l’abolir du jour au lendemain. Les théoriciens du XXème siècle sont corporativistes parce qu’ils pensent qu’il s’agit seulement d’organiser la production, de l’humaniser pour résoudre tous les problèmes. Ils sont immédiatistes. C’est un aveu indirect de la validité de la théorie prolétarienne. Dire qu’il faille concilier le prolétariat avec le mouvement économique, c’est reconnaître que c’est uniquement sur ce terrain que peut surgir la solution. Cet immédiatisme vient du fait que la société communiste est de plus en plus puissante au sein même du capitalisme. Il ne s’agit pas de faire une conciliation entre les deux mais de détruire le pouvoir du capital, sa force organisée, l’Etat capitaliste, qui maintient le monopole privé alors que tous les mécanismes économiques tendent à le faire disparaître. La solution communiste est médiate. La réalité semble escamoter l’État, il faut le mettre en évidence et, en même temps, indiquer la nécessité d’un autre État transitoire ; la dictature du prolétariat.

5.1.16. Le devenir vers la démocratie sociale était escompté dès le début : "Tant que la puissance de l’argent n’est pas le lien des choses et des hommes, les rapports sociaux doivent être organisés politiquement et religieusement." (Marx) Marx a toujours dénoncé la supercherie politique et mis à nu les rapports réels : "C’est donc la nécessité naturelle, ce sont les propriétés essentielles de l’homme, toutes étrangères qu’elles puissent sembler, c’est l’intérêt, qui tiennent unis les hommes de la société bourgeoise dont le lien réel est donc constitué par la vie bourgeoise et non par la vie politique." (Marx - La Sainte Famille) "Mais l’esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, la plus grande liberté, parce que c’est, en apparence, l’indépendance achevée de l’individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et des limitations imposées à l’homme, des éléments vitaux dont on l’a dépouillé, la propriété par exemple, l’industrie, la religion, etc. est la manifestation de sa propre liberté, alors que ce n’est en réalité que l’expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit." (Marx - La Sainte Famille) La question de la démocratie ne fait que reposer, sous une autre forme, l’opposition fallacieuse entre concurrence et monopole. La communauté matérielle intègre les deux. Avec le fascisme (= démocratie sociale), démocratie et dictature sont elles aussi intégrées. Par-là même, c’est un moyen de surmonter l’anarchie. "L’anarchie est la loi de la société bourgeoise émancipée des privilèges classificateurs, et l’anarchie de la société bourgeoise est la base de l’organisation publique moderne, de même que cette organisation est à son tour la garantie de cette anarchie. Malgré toute leur opposition, elles sont conditions l’une de l’autre." (Marx - La Sainte Famille)

5.1.17. Maintenant que la classe bourgeoise, celle qui dirigea la révolution, qui permit le développement du capital, a disparu, remplacée par la classe capitaliste qui vit du capital et de son procès de valorisation, que la domination de celui-ci est assurée (fascisme) et que de ce fait il n’y a plus besoin d’une conciliation politique, parce que superflue, mais d’une conciliation économique (corporativisme, doctrine des besoins, etc.), ce sont des classes moyennes qui se font les adeptes de la démocratie. Seulement, plus le capitalisme se renforce, plus l’illusion de pouvoir partager la direction avec le capital s’évanouit. Il ne reste plus que la revendication d’une démocratie sociale à prétentions politiques : planification démocratique, plein emploi, etc. Cependant, la société capitaliste, en créant l’assistance sociale, en essayant de maintenir le plein emploi réclamé, réalise, la démocratie sociale en question : celle des esclaves au capital. Avec le développement des nouvelles classes moyennes, la revendication de la démocratie se teinte -seulement- de communisme.

5.1.18. Ce qui précède concerne l’aire euro-nordaméricaine, mais n’est pas valable pour tous les pays où pendant longtemps a prédominé le mode de production asiatique (Asie, Afrique) et où il prédomine encore (Inde par exemple). Dans ces pays, l’individu n’a pas été produit. La propriété privée a pu apparaître mais elle ne s’autonomise pas ; il en est de même pour l’individu. Ceci est lié aux conditions géo-sociales de ces pays et explique l’impossibilité où se trouve le capitalisme de s’y développer, tant qu’il ne s’était pas constitué en communauté. Autrement dit, ce n’est que lorsqu’il est parvenu à ce stade que le capitalisme peut remplacer l’antique communauté et ainsi conquérir des zones immenses. Seulement, dans ces pays, les hommes ne peuvent pas avoir le même comportement que celui des occidentaux. La démocratie politique est obligatoirement escamotée. On ne peut avoir, tout au plus, que la démocratie sociale. C’est pourquoi nous avons, dans les pays les plus travaillés par l’implantation du capitalisme, un double phénomène : une conciliation entre le mouvement réel et l’antique communauté et une autre avec la communauté future : le communisme. D’où la difficulté d’approche de ces sociétés. Autrement dit, toute une grande portion de l’humanité ne connaîtra pas la mystification démocratique telle que l’a connue l’occident. C’est un fait positif pour la révolution à venir. En ce qui concerne la Russie, nous avons un cas intermédiaire. On peut constater avec quelle difficulté le capitalisme y est implanté. Il a fallu une révolution prolétarienne. Là aussi, la démocratie politique occidentale n’avait pas de terrain de développement et on peut constater qu’elle ne peut y fleurir. Nous aurons, comme dans l’occident actuel, la démocratie sociale. Malheureusement là-bas aussi, la contre-révolution a apporté le poison sous forme de la démocratie prolétarienne et, pour beaucoup, l’involution de la révolution devrait être recherchée dans la non-réalisation de celle-ci. Le mouvement communiste reprendra, en reconnaissant ces faits et en leur accordant toute leur importance. Le prolétariat se reconstituera en classe et donc en parti, dépassant ainsi le cadre étriqué de toutes les sociétés de classe. L’espèce humaine pourra finalement être unifiée et former un seul être.

5.1.19. Toutes les formes historiques de démocratie correspondent à des stades de développement où la production était limitée. Les différentes révolutions qui se sont succédées sont des révolutions partielles. Il était impossible que le développement économique puisse se faire, progresser, sans que ne se produise l’exploitation d’une classe. On peut constater que depuis l’antiquité ces révolutions ont contribué à émanciper une masse toujours plus grande d’hommes. D’où l’idée que l’on va vers la démocratie parfaite, c’est-à-dire une démocratie regroupant tous les hommes. Beaucoup, de ce fait, se sont empressés d’écrire l’égalité : socialisme = démocratie. Il est vrai qu’il est possible de dire qu’avec la révolution communiste et la dictature du prolétariat, il y a une masse plus importante d’hommes qu’auparavant entrant dans le domaine de cette démocratie idéale ; qu’en généralisant sa condition de prolétaire à l’ensemble de la société, le prolétariat abolit les classes et réalise la démocratie (le manifeste dit que la révolution c’est la conquête de la démocratie). Il faut toutefois ajouter que ce passage à la limite, cette généralisation, est en même temps la destruction de la démocratie. Car, parallèlement, la masse humaine ne reste pas constituée à l’état de simple somme d’individus tous équivalents en droit sinon en fait. Ceci ne peut être que la réalité d’un moment très bref de l’histoire dû à une égalisation forcée. L’humanité se constituera en un être collectif, la Gemeinwesen. Celle-ci naît en dehors du phénomène démocratique et c’est le prolétariat constitué en parti qui transmet cela à la société. Lorsqu’on passe à la société future, il y a un changement qualitatif et non seulement quantitatif. Or la démocratie "est le règne anti-marxiste de cette quantité impuissante, de toute éternité, à devenir qualité"1. Revendiquer la démocratie pour la société post-révolutionnaire, c’est revendiquer l’impuissance. D’autre part, la révolution communiste n’est plus une révolution partielle. Avec elle se termine l’émancipation progressive et se réalise l’émancipation radicale. Là encore, saut qualitatif.

5.1.20. La démocratie repose sur un dualisme et est le moyen de le surmonter. Ainsi elle résout celui entre esprit et matière équivalent à celui entre grands hommes et masse, par délégation des pouvoirs ; celui entre citoyen et homme, par le bulletin de vote, le suffrage universel. En fait, sous prétexte de l’accession à la réalité de l’être total, il y a délégation de la souveraineté de l’homme à l’Etat. L’homme se déleste de son pouvoir humain. La séparation des pouvoirs nécessite leur unité et ceci se fait toujours par violation d’une constitution. Celle-ci est fondée sur un divorce entre situation de fait et situation de droit. Le passage de l’une à l’autre étant assuré par la violence. Le principe démocratique n’est en réalité que l’acceptation d’une donnée de fait : la scission de la réalité, le dualisme lié à la société de classes.

5.1.21. On veut souvent opposer la démocratie en général qui serait un concept vide à une forme de démocratie qui serait la clef de l’émancipation humaine. Or qu’est-ce qu’une donnée dont la particularité est non seulement en contradiction avec son concept général mais doit en être la négation ? En fait, théoriser une démocratie particulière (prolétarienne par exemple) revient encore à escamoter le saut qualitatif. En effet, ou cette forme démocratique en question est réellement en contradiction avec le concept général, et alors on a vraiment autre chose (pourquoi, alors, démocratie ?), où elle est compatible avec ce concept et elle ne peut avoir qu’une contradiction d’ordre quantitatif (embrasser un plus grand nombre d’hommes par exemple) et, de ce fait, elle ne sort pas des limites même si elle tend à les repousser. Cette thèse apparaît souvent sous la forme : la démocratie prolétarienne n’est pas la démocratie bourgeoise, et on parle de démocratie directe pour montrer que si la seconde a besoin d’une coupure, d’une dualité (délégation de pouvoir), la première la nie. On définit alors la société future comme étant la réalisation de la démocratie directe. Ceci n’est qu’une négation négative de la société bourgeoise et non une négation positive. On veut encore définir le communisme par un mode d’organisation qui soit plus adéquat aux diverses manifestations humaines. Mais le communisme est l’affirmation d’un être, de la véritable Gemeinwesen de l’homme. La démocratie directe apparaît comme étant un moyen pour réaliser le communisme. Or celui-ci n’a pas besoin d’une telle médiation. Il n’est pas une question d’avoir ni de faire, mais une question d’être.

"Au départ, dans sa signification littérale et son origine étymologique, la démocratie signifie pouvoir du peuple ; contre quoi le marxisme rétorque c’est une abstraction : le peuple étant divisé en classes sociales irrédutiblement antagoniques parce que placées à des pôles contradictoires d’un mode de production et d’échange déterminié et, en conséquences, ne pouvant gouverner ensemble un intérêt comme durable qui ne saurait exister...

La base historique de la contamination démocratique du prolétariat, sur quoi put se greffer une vision réformiste et se former un but révisionniste réside en se que, pour la parachever, le prolétariat dut participer à la révolution bourgeoise graduelle et prendre ainsi en charge une part des valeurs dont la classe bourgeoise était historiquement porteuse. La démocratie apparait donc comme le principe historique de la bourgeoisie par lequel cette classe a conduit et gagné sa lutte théorique et pratique contre les principes de l’Etat d’Ancien Régime et institué, avec le règnedu capital, sa domination de classe exclusive par une révolution sociale à âme politique. Mais la démocratie est également : gouvernement du peuple (sens abstrait), Etat de classe concret, c’est à dire organisation systématique de la violence (Lénine), mystification démocratique et mécanisme d’organisation majoritaire." Le programme de la société communiste