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La spéculation coûte plus cher que les traders
Publie le mercredi 23 septembre 2009 par Open-Publishing1 commentaire
Dès 2005, il annonçait l’éclatement de la bulle immobilière américaine. À la veille du G20, aux États-Unis, voici le regard sans concession d’un observateur aigu du système financier.
Entretien
Paul Jorion
Anthropologue, expert en intelligence artificielle, il vient de publier L’implosion et La crise chez Fayard. À paraître en octobre : L’argent mode d’emploi, (Fayard), et Comment la vérité et la réalité furent inventées (Gallimard).
Que dites-vous aux dirigeants des pays riches qui vont se retrouver jeudi à Pittsburgh ?
Interdisez aux spéculateurs l’accès aux marchés de matières premières. Ils n’ont rien à y faire. Ils sont là pour faire de l’argent à court terme, donc ils se mettront toujours du côté de la tendance, à la baisse comme à la hausse. Ce qui veut dire du côté de ceux qui alimentent la bulle financière.
Les chefs d’États se penchent déjà sur la question, non ?
Le 8 juillet, MM. Sarkozy et Brown, ensemble, avaient publié une tribune dans le “Wall Street Journal” où ils s’inquiétaient des dangereuses fluctuations des prix du pétrole pour l’économie réelle. Je les prends au mot : n’écrivez plus de tribune, prenez des décisions pour les matières premières traitées sur les marchés à terme. N’oubliez pas qu’une spéculation à la hausse ou à la baisse sur le prix des céréales veut dire que des gens vont mourir de faim : consommateurs dans le premier cas, producteurs dans le second.
Vous rêvez, là… ?
Actuellement, oui. Les États-Unis ne veulent pas d’une telle mesure. Goldman Sachs, la très ancienne banque d’investissement, ne peut l’accepter : la spéculation est son fonds de commerce. Savez-vous qu’elle n’a payé en 2008 que 14 millions de dollars d’impôts aux États-Unis, alors que le bonus touché par son patron était de 42,9 millions ? La répartition de ses activités sur une multitude de pays la met à l’abri du fisc américain.
Plafonner les bonus, la partie variable du salaire indexée sur les performances financières : un vrai remède ?
Pourquoi pas, mais ça ne changera rien au fond. L’argent n’ira plus dans la poche du trader, qui n’est qu’un commis, mais reviendra aux actionnaires et aux investisseurs. Le trader sera la victime expiatoire de ce G 20.
Dès 2005, vous annonciez – sans écho – l’éclatement de la bulle immobilière américaine. Vous avez le don de prophétie ?
Non ! Je suis un anthropologue. En 1977, ma thèse portait sur l’île d’Houat et ses pêcheurs, bien loin de la Bourse de New York. Après avoir enseigné à Cambridge et travaillé en Afrique, comme expert des pêches, je suis repéré par un banquier pour mes travaux sur l’intelligence artificielle. Invité par une université de Californie en 1997, je suis resté là-bas. J’ai travaillé pour des établissements de crédit où se pratique la fameuse titrisation : on regroupe des prêts immobiliers, on les transforme en obligations, on les revend sur le marché.
À ce moment-là, vous voyez arriver la crise des subprimes ?
Deux ans avant que n’éclate cette crise en février 2007, entre collègues, nous avions le sentiment que la pyramide allait s’écrouler. Personne n’écoute : les optimistes disent que le système va durer et refusent d’envisager que l’immobilier se retourne, et que les Américains pauvres ne pourront plus rembourser…
15 septembre 2008 : faillite de Lehman Brothers, début de la crise financière. Aujourd’hui, comment va le malade ?
Il n’est pas en voie de guérison. L’illusion serait de croire que le système financier serait défragilisé. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, ou Bill Gross, directeur de Pimco, la principale Sicav d’obligations américaine, font le même diagnostic.
Comment réguler ce système ?
Il faudrait une transplantation d’organe. Rendre à l’économie réelle un système sanguin sur lequel elle puisse de nouveau compter. La vraie révolution serait l’adoption d’une constitution pour l’économie. Avec cet article : les paris relatifs à l’évolution d’un prix sont interdits. À ceux qui poussent des cris d’orfraie, je fais remarquer qu’une telle règle existe, de manière plus alambiquée, dans la norme comptable américaine FASB 133.
Si Nicolas Sarkozy vous appelait en consultation, vous iriez ?
C’est vrai que des responsables politiques m’appellent ; ce n’était pas le cas il y a un an. Je suis prêt à engager le dialogue avec quiconque manifeste une détermination réelle d’empêcher le retour des crises, celle-ci risquant bien d’être la dernière.
Recueilli par Paul GOUPIL
– dimanche Ouest-France (papier) du 20 septembre 2009
– le même article sur blog de Paul Jorion
Messages
1. La spéculation coûte plus cher que les traders, 24 septembre 2009, 20:53
Le capitalisme coute plus cher que le social.
Alain 04