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La splendeur du supplice

Publie le samedi 10 janvier 2009 par Open-Publishing

Danilo Zolo
Il Manifesto

Traduit de l’italien pour Rebelión (http://www.rebelion.org/) par S. Seguí
Traduction française à partir de la traduction de S. Seguí par Xalisco

La bande de Gaza ensanglantée est le dernier témoignage d’une tragédie sans retour qui s’achemine déjà vers la solution finale. Ces jours-ci, des milliers de blessés et des centaines de morts, victimes des bombardements et des attaques terrestres de la grande puissance nucléaire israélienne, se sont ajoutés aux dizaines de milliers de personnes qui se trouvent dans des conditions désespérées à cause de la misère, des maladies et de la faim. L’extorsion financière et le blocus imposé par Israël à la population de Gaza n’avaient pas comme seul objectif de frapper le mouvement du Hamas.

Malgré les fleuves de rhétorique lancés par les créateurs d’opinion occidentaux, il est impossible de penser ne serait-ce qu’une seconde que l’opération Plomb Fondu ait été préparée pour répliquer aux roquettes Qassam. Dix ans d’utilisation de ces engins de guerre rudimentaires n’ont pas occasionné plus d’une dizaine de victimes israéliennes.

Gaza doit disparaître, noyée dans le sang : ceci est l’objectif stratégique des autorités israéliennes après l’échec du retrait patronné par Sharon en 2005. Gaza sera aniquilée en tant qu’entité civile et structure politique autonome, ce n’est pas un hasard si les missiles et les tanks israeliens sont en train de s’acharner à détruire ses infrastructures civiles, politiques et administratives. Gaza sera réduite à un tas de ruines et disparaîtra, de la même façon que la Cisjordanie, qui ne survit encore que comme épave historique, telle une sorte de décharge humaine reconnue comme telle, après quarante ans d’occupation militaire illégale.

Ce qu’il restera du peuple palestinien sera soumis pour toujours au pouvoir des envahisseurs, au nom du mythe politico-religieux du Grand Israël. Ce mythe pour lequel la valeur des vies humaines est égale à zéro, malgré le droit à la vie prôné par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Cette année, 1948, est précisément celle de la proclamation de l’État d’Israël et de l’impitoyable nettoyage ethnique imposé par les leaders sionistes au peuple palestinien, aujourd’hui rigoureusement documenté par des historiens israéliens comme, entre autres, Ilan Pappe, Avi Shlaim et Jeff Halper.

Au cours de ces dernières années, l’idée d’un État palestinien a été la dernière imposture sioniste, soutenue par le pouvoir impérial des États-Unis, avec la complicité de l’Union Européenne. La mystification a servi non seulement à couvrir un processus d’occupation encore plus invasive de cette portion de territoire exigüe – 22 % de la Palestine sous mandat britannique – laissée au palestiniens après la guerre de 1967. L’imposture a servi surtout à mener à bien la colonisation progressive et irréversible de toute la Palestine. Pas moins de 400.000 colons sont aujourd’hui implantés en Cisjordanie, et les colonies s’étendent indéfiniment.

À Gaza et en Cisjordanie, les leaders politiques palestiniens ont été forcés à s’exiler, emprisonnés ou éliminés grâce aux assassinats ciblés. Ils ont démoli des dizaines de milliers d’habitations et dévasté des centaines de villages. Ils ont détruit des centaines de puits, et ont accaparé et exploité les réserves aquifères pour irriguer les plantations des colonies et le territoires israéliens. Des milliers d’oliviers et d’arbres fruitiers ont été arrachés. Un énorme réseau de routes reliant les colonies entre elles et celles-ci avec Israël – les tristement célèbres by-pass routes – sont interdites aux palestiniens, et compliquent encore plus les communications par voie terrestre, déjà entravées par les centaines de check-points tenus par Tsahal. À tout cela s’ajoute la construction de la dite barrière de sécurité voulue par Ariel Sharon, le mur destiné à emprisonner la population palestinienne, en la reléguant à des zones territoriales de plus en plus fragmentées et déplacées. Dans le même temps, Jérusalem est devenue une immense colonie juive qui s’étend de plus en plus vers l’est, en supprimant toute trace de la présence arabo-islamique et de ses monuments millénaires.

L’ethnocide du peuple palestinien se déroule devant l’indifférence du monde, avec la complicité des chancelleries occidentales, le silence des grands médias de masses, la servilité des experts et juristes prétendant se situer au-dessus des deux parties, et le fervent soutien du plus obtus et sanguinaire président que les États-Unis aient pu avoir. Pour le peuple palestinien, le Droit International est un bout de papier plein de sang ; pendant ce temps, les Nations Unies dominées par le pouvoir du véto des Etats-Unis, continuent dans leur position inutile, et laissent impunis les crimes infinis commis par Israël. La triste aventure vécue par Richard Falk (1), rapporteur spécial des Nations Unies, nous en a offert la dernière preuve. Ce qui va sûrement et forcément se produire dans un futur très proche – et ce sera pour tous, la tragédie la plus grave – sera le terrorisme suicidaire des jeunes palestiniens, la seule riposte économique au terrorisme d’État. Le risque d’une extension du conflit à tout le Moyen-Orient devient énorme.

Quel sens historique et humain a tout cela ? Quel est le destin du Moyen-Orient ? Quelle est l’utilité du massacre des hommes, des femmes et des enfants palestiniens ? Comment justifier le manque de pitié du gouvernement d’Olmert et la complicité des autorités religieuses israéliennes ?

Une chose semble certaine, c’est la fonction sacrificielle d’un morceau de terre, parmi les plus densément peuplés, pauvres et désespérés de la planète.

Celui qui poursuit un but absolu et se croit porteur de justice et de vérité, s’octroie une innocence absolue et sera toujours disposé, comme nous l’a enseigné Albert Camus, à attribuer à ses adversaires la faute absolue et à disposer de leurs vies en leur refusant tout espoir. Gaza est aujourd’hui un immense échafaud où l’on célèbre devant tout le monde une condamnation collective. L’Humanité assiste à la splendeur du suplice, pour reprendre une expression célèbre de Michel Foucault. L’exécution publique de la condamnation à mort des adversaires est un instrument essentiel à la glorification d’un pouvoir qui se considère plus qu’humain.

(1) En español : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=77879
En Français : http://www.fatehcre.org/spip.php?article16

Danilo Zolo (Fiume, 1936) est un éminent juriste et philosophe du Droit italien. Il enseigne la philosophie à l’Université de Florence et a été professeur intervenant à Cambridge, Harvard, Princeton...

S. Seguí fait partie des collectifs Rebelión et Cubadebate. Cette traduction peut être reproduite librement à condition d’en respecter l’intégrité et de mentionner le nom de l’auteur, du ou des traducteurs et la source.

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