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La tragique désunion de l’extreme gauche

Publie le lundi 1er janvier 2007 par Open-Publishing
5 commentaires

de Yvon Quiniou

Jacques Bidet vient de prendre position, avec passion et talent, contre le choix du Parti communiste français de présenter Marie-George Buffet à l’élection présidentielle (Le Monde du 26 décembre). Mais je pense qu’il se trompe, non dans sa préférence stratégique, mais dans son analyse et son acte d’accusation.

L’analyse d’abord. On ne peut reprendre la formule connue de Marx sur la répétition en histoire (de la tragédie à la farce) si on l’applique à des situations totalement dissemblables. En 1977, le PC rompit unilatéralement une union avec le PS, qui pouvait l’amener au pouvoir, parce qu’il craignait d’en sortir affaibli et qu’il n’en partageait pas les choix politiques à long terme.

Aujourd’hui il est dans un processus d’union hors du PS, avec des forces qui ont en commun le même projet antilibéral. Il a initié ce mouvement aux élections européennes et il y a fait la preuve qu’il pouvait se mettre au service d’une cause commune, sans calcul partisan, et pratiquer pleinement la démocratie, sur les estrades et dans les médias. Peut-on dire alors qu’il opère un "coup de force" quand on sait que sa candidate a été régulièrement élue par les comités locaux, ce qui était l’une des exigences partagées par tous ? Certes, l’autre exigence, le consensus des organisations, n’a pas été remplie. Mais d’où vient qu’on refuse ainsi une personnalité de qualité sous prétexte de sa responsabilité politique au PC ? Je n’en vois pas le motif idéologique, seulement des mobiles psychologiques liés à l’ego ou à des stratégies de pouvoir inavouées qui déconsidèrent à mes yeux la politique, surtout quand elle se prétend de gauche et prétend en révolutionner le fonctionnement.

C’est ici que l’accusation doit changer de nature. La désunion de la gauche anti-capitaliste a bien d’autres sources que le choix actuel des communistes, et M. Bidet n’en souffle mot. Elle vient d’abord de l’incapacité des trotskistes (Lutte ouvrière, Ligue communiste révolutionnaire, Parti des travailleurs) de dépasser un contentieux avec le PCF qui date de l’époque où il était stalinien et qui n’a rigoureusement aucun sens aujourd’hui. Ce sont eux qui, dès le départ, ont décidé de candidatures séparées, ont affaibli le camp antilibéral et lui ont interdit de peser réellement sur la politique d’un éventuel gouvernement socialiste par un score qui aurait pu dépasser largement les 10 %.

Plus profondément, leur analyse de la social-démocratie française bloque toute perspective de transformation sociale à court ou moyen terme : en l’assimilant purement et simplement au social-libéralisme, sans voir sa spécificité au sein du mouvement socialiste européen, ils s’interdisent et interdisent au mouvement antilibéral de contribuer, directement ou indirectement (à travers un soutien parlementaire, par exemple), à des réformes susceptibles d’inverser le cours actuel des choses.

Au nom d’un projet radical dont la réalisation, si elle est souhaitable, est subordonnée à un rapport de forces qui n’existe pas, ils risquent de renforcer le pouvoir de la droite en 2007 et de lui permettre de détruire les acquis sociaux que l’histoire commune des socialistes et des communistes avait patiemment obtenus au XXe siècle. Là est la vraie farce, sauf que dans ce cas elle sera suivie de la tragédie.

Yvon Quiniou est agrégé de philosophie et membre du comité de rédaction de la revue "Actuel Marx".

LE MONDE 29.12.06

Messages

  • Très bonne analyse... Je ne comprends pas l’entêtement de la LCR à faire cavalier seul. Elle peut certes avoir des désaccords avec le reste de la gauche anti-libérale mais pas au point de refuser une dynamique unitaire... Tout cela n’a pu déboucher que sur un recentrage partisan qui va nourrir le vote dit utile au premier tour des présidentielles. La LCR aurait pu dire :"On soutient de façon critique la dynamique unitaire si cela débouche sur quelque chose on verra bien." Là ce qui se passe c’est que la LCR a fermé toute chance de perspective, elle a refermé le champ politique qui s’était ouvert depuis le Non à la constituion européenne. Je crois qu’elle va payer le prix de cette fermeture électorale et bien plus que le PCF. C’est bein dommage pour toute la gauche anti-libérale.

    CED

    • La lcr aurait dut soutenir de maniere critique et argumentée le processus des comités.
      Je suis entierement d’accord.
      Mais à l’arrivée on ne peut pas l’accuser d’ avoir vu juste sur le fond politique à savoir la volonté du pcf de rejoindre une majorité ps pour sauver ses élus aux législatives.
      Il aurait été temps alors pour la lcr de se retirer .
      La lcr aura mon soutien critique parceque c’est le seul vote antilibéral conséquent.
      et je repars au combat dans les comités pour les législatives avec encore moins d’illusions sur le pcf.

    • 80**106,c’est quand même bizarre cette accusation,qui en devient banale à force d’être ressassée,que le PCF s’allie avec le PS.

      Qu’est-ce qui peut bien vous pousser à réaffirmer un chose qui a été démentie à maintes reprises.

      De toute façon,ce sont les militants qui prendront la déçision en derniet ressort et compte tenu de l’état d’esprit de ceux çi en ce moment,du programme du PS il m’étonnerais fort qu’une quelconque alliance gouvernementale et parlementaire ait lieu.

      Mais nous n’avons jamais fait la politique du pire,nous appelerons à voter pour le candidat de gauche arrivé en tête,sans accord ni tractations.

      Quand à dire que la LCR est anti libérale ça c’est un autre probléme,puisqu’elle rejette les 125 propositions.

      Jean Claude des Landes

  • Voici les quelques commentaires que j’ai fait parvenir à Yvon Quiniou :

    Cher Yvon,

    Comme je ne fais pas partie des adversaires acharnés de Marie-George Buffet, je peux te dire tranquillement que tu vas trop loin dans la défense de la politique du PCF. Ainsi tu écris :

    Peut-on dire alors qu’il opère un "coup de force" quand on sait que sa candidate a été régulièrement élue par les comités locaux, ce qui était l’une des exigences partagées par tous ?

    À vrai dire, et tu le sais aussi bien que moi, une partie non négligeable de ces comités étaient de pures copies des cellules locales du parti (domiciliés à la mairie communiste du coin, comme à Gisors dans l’Eure). En outre, ce vote n’a pour moi aucun sens puisque personne n’a voulu définir clairement le corps électoral… Ce n’est pas une des moindres ambiguïtés de cette affaire. Certes, on peut faire remarquer que c’est l’expression de la réalité militante et qu’une partie des « personnalités » et « associations » du collectif ne représentaient qu’elles-mêmes. Mais cela était connu dès le départ.

    Certes, l’autre exigence, le consensus des organisations, n’a pas été remplie. Mais d’où vient qu’on refuse ainsi une personnalité de qualité sous prétexte de sa responsabilité politique au PC ? Je n’en vois pas le motif idéologique, seulement des mobiles psychologiques liés à l’ego ou à des stratégies de pouvoir inavouées qui déconsidèrent à mes yeux la politique, surtout quand elle se prétend de gauche et prétend en révolutionner le fonctionnement.

    Il se trouve curieusement qu’il y avait pléthore de PC parmi les candidats ! Autain est apparentée PCF à la mairie de Paris… Salesse a été « dircab » de Gayssot… Je ne parle pas de Braouzec ! Bref plus de la moitié des candidats à la candidature étaient finalement dans la mouvance PCF. Si on ajoute à cela les nombreuses sections du PCF qui étaient opposées à la candidature de Marie-George Buffet, les démissions de Zarka, Martelli et quelques autres, c’est donc la crise profonde du PCF que révèlent ces péripéties. On ne peut donc pas se réfugier derrière un vote formel fort douteux.

    C’est ici que l’accusation doit changer de nature. La désunion de la gauche anti-capitaliste a bien d’autres sources que le choix actuel des communistes, et M. Bidet n’en souffle mot.

    Là je te suis pleinement ! Mais pour moi c’est le projet même de la « gauche antilibérale » qui était problématique dès le départ. Je pourrais prendre le programme en détail et on verrait que ce programme est entièrement contaminé par les idées de type deuxième gauche qui ont submergé le PS. Le flou sur la question laïque, le verbiage sur l’école, l’adoption de la « flexicurité » (les parcours professionnels sécurisés chers à la direction de la CGT…) et beaucoup d’autres choses encore font de ce programme en 125 points un monument de confusion politique.

    Elle vient d’abord de l’incapacité des trotskistes (Lutte ouvrière, Ligue communiste révolutionnaire, Parti des travailleurs) de dépasser un contentieux avec le PCF qui date de l’époque où il était stalinien et qui n’a rigoureusement aucun sens aujourd’hui. Ce sont eux qui, dès le départ, ont décidé de candidatures séparées, ont affaibli le camp antilibéral et lui ont interdit de peser réellement sur la politique d’un éventuel gouvernement socialiste par un score qui aurait pu dépasser largement les 10 %.

    À mon avis, l’erreur est de considérer qu’il existe quelque chose comme « les trotskystes ». Besancenot ne se dit pas trotskyste et le candidat soutenu par le PT est un socialiste dissident – je ne suis d’ailleurs pas sûr du tout que le qualificatif de « trotskyste » convienne au PT. Par contre, il y a une composante du « non au TCE » qui a été écartée presque systématiquement, et par le PCF (parce qu’il a privilégié tactiquement la discussion avec « la gauche de la gauche ») et par les divers alternatifs (par hostilité principielle à l’égard de la notion de nation), c’est la gauche républicaine socialiste et radicale, incarnée par Zuccharelli et Chevènement (avant son voyage à Canossa) ou par la vieille gauche laïque du PS ( de Mélenchon à Dolez, mais aussi de Laignel à Charasse). Au lieu d’opposer une ligne vraiment unitaire à la tentation de faire une gauche « radicale » à la sauce LCR, le PCF a louvoyé, flattant d’un côté le gauchisme dans ses manifestations les plus aberrantes, tout en préparant de l’autre un accord de second tour avec le PS royalisé… Sur une ligne vraiment de « front unique » (version 1934 si on veut !) c’est Besancenot qui aurait été marginalisé et donc son poids aurait finalement été bien moindre – d’autant que les troupes de la LCR ne sont pas très nombreuses.

    Plus profondément, leur analyse de la social-démocratie française bloque toute perspective de transformation sociale à court ou moyen terme : en l’assimilant purement et simplement au social-libéralisme, sans voir sa spécificité au sein du mouvement socialiste européen, ils s’interdisent et interdisent au mouvement antilibéral de contribuer, directement ou indirectement (à travers un soutien parlementaire, par exemple), à des réformes susceptibles d’inverser le cours actuel des choses.

    On pourrait rediscuter de tout cela, mais je crois que tu sous-estimes les transformations internes au PS et la signification du choix de Mme Royal comme candidate. Ayant une certaine expérience « de l’intérieur », je partage, sur ce point seulement, le point de vue d’un des adjoints de la dame aux caméras : « le cycle ouvert à Épinay est clos ». En effet, c’est l’alignement sur le blairisme ou la ligne de coalition avec la droite défendue par la SPD qui est domine maintenant dans le PS français. L’effondrement des fabiusiens, ultimes représentants d’une « gauche » pourtant très modérée est de ce point de vue très symptomatique.

    Au nom d’un projet radical dont la réalisation, si elle est souhaitable, est subordonnée à un rapport de forces qui n’existe pas, ils risquent de renforcer le pouvoir de la droite en 2007 et de lui permettre de détruire les acquis sociaux que l’histoire commune des socialistes et des communistes avait patiemment obtenus au XXe siècle. Là est la vraie farce, sauf que dans ce cas elle sera suivie de la tragédie.

    Le problème est que Mme Royal n’a pas caché qu’elle voulait, elle aussi, détruire ces acquis sociaux. Ses positions sur l’école, sur le contrat contre la loi ou sa politique extérieure (« du bushisme sans Bush », dit J-L Bourlanges !) sont très claires et je crains des lendemains assez cruels. Si nous en sommes réduits au second tour à un duel Sarkozy/Royal, il faudra certainement se demander quel est le moindre mal. Mais on aurait pu arriver là avec de meilleurs chances de peser sur la situation que cette véritable mise hors jeu de la gauche réduite à des candidatures de témoignage, ce que sera aussi la candidature Buffet.

    Bien à toi.

    Denis COLLIN - http://denis-collin.viabloga.com
    La Sociale

    • a retenir de votre critique de la critique la faiblesse de l’article de quiniou sur le Ps. pour le reste il est plus de fond que celui de Bidet et pire encore de Onfray dans le Monde du même jour. encore que on ne peut pas ne pas voir qu’en Europe le PS français est le plus à gauche ( même si cela fait du mal) et ne pas tenter de peser sur lui comme l’on fait les elus communistes dans les régions dirigés par un Président PS. même si aujourd’hui le débat interne au Ps la candidature de royal à de quoi nous inquiéter.
      en ce qui concerne d’autres critiques de l’article ils ne me semblent pas fondés : la préeminenscence du PCf dans les collectifs : c’est une question de fond et de démocratie. si dès le départ cette construction s’annoncait sans le PCf il fallait le spécifier. Mais pas de construction possible en vérité sans ce qui reste un courant déterminant à gauche des militants, des élus, une presse. ce qui était possible au moment du referendum devient ici impossible voir contradictoire ? etonnant renversement ! et si des exemples ( type la mairie de Gisors dans l’Eure ) sont caricaturaux les résultats de MGB sont édifiants. quant aux chiffres seize milles votants dans les collectifs ( dont des nons communistes quant même, des communistes votants pour d’autres candidatures) ils pesent moins que les votants communistes près de cinquante mille. Dans ma ville je n’ai en l’occurence pas participé au collectif ni au vote (en raison de problème de santé) il y avait autant de communistes que de non communistes la candidature de MGB a receuilli plus de suffrage.
      pour les personnalités dites PCf il me semble que le problème se situe dans des d"émârches personelles pour autain ses initiatives intempestives voir médiatiques lui ont nuit. Salesse est peu connu ou alors comme membre du cabinet de Gayssot et ca même chez les cocos ca coince.. ;Bové a joué son ....Bové. se retirant précisement au moment où il sait qu’il ne sera pas retenu et où sa candidature fera un bide...choc des égo. quant à Braouzec ses options politiques ont fait que il réalise un score ridicule.
      La preuve du pudding c’est le score et je ne connais pas de méthode plus efficace que la démocratie pour départager des options. que ce résultat ne fasse pas plaisir à tous le monde c’est une chose qu’enfle une cabale médiatique orchestrée en est une autre. le mérite de l’article de quiniou est de remettre les choses à l’heure !