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La voix des sans-papiers n. 7 : Paris-Couronnes, l’état de non-droit

par VSP

Publie le lundi 6 février 2012 par VSP - Open-Publishing

la voix des sans-papiers n.7 : Paris-Couronnes, l’état de non droit
Spécial 20e : Répression du marché libre de Belleville, intimidation des Roms, rafles des sans-papiers tunisiens etc.

bulletin du mouvement et des collectifs de lutte autonomes

EDITO :

Paris-Couronnes : l’État de non-droit

Chaque jour, c’est l’enfer pour des centaines de personnes, dans le quartier du boulevard de Belleville transformé en périmètre de quadrillage et ratissage des indigents, entre les stations de métro Belleville et Ménilmontant, et notamment à proximité de celle de Couronnes. Depuis deux ans, et plus spécialement depuis six mois (depuis la visite du ministre de l’intérieur, fin juin), des événements s’y passent, très graves, relégués (quand ils ne sont pas tus) dans la chronique locale des journaux. Si graves qu’il faut y discerner le syndrome d’une tendance forte de l’époque contemporaine. S’ils jettent un jour cru sur les transformations de la capitale, ils le jettent plus encore sur celles de l’État.

Dans le discours politique dominant et d’opposition démocratique, cela va de soi que « l’État », en France et en Occident, renvoie à une notion usuelle d’« État de droit ». Les faits relatés dans ce numéro du journal démentent sans appel ce postulat tacite.

Devant ces faits qui ont cours quotidien sur le bitume du Bas-Belleville, devant la normalité d’un tel état de choses dans un État de droit, il faudra bien que les tenants honnêtes de celui-ci s’interrogent, et questionnent l’État sur ses transformations positives, législations, réglementations, pratiques et décisions factuelles.

Qu’ils se demandent si, par la dynamique inhérente à son action, par l’œuvre de ses institutions, des partis concourant à son fonctionnement, par la logique sociale de l’ordre qu’il garantit, ce type d’État n’est pas déjà aux antipodes de son principe communément admis ; s’il n’a pas déjà généralisé, sous les espèces civiles du « droit », le non-droit permanent pour les populations aux marges de la « société », notamment ces hommes et femmes stigmatisés par leur statut d’« étrangers indésirables » (sans-papiers et autres), institutionnellement exclus du système du droit, placés sous la loi d’airain d’un « droit des étrangers » et d’un « droit pénal » consécutif, où « droit » a dévêtu ses brillants habits jusqu’aux derniers vestiges des libertés et droits effectifs, et revêtu ceux des seules obligations de la « loi » – la « législation » sous toutes ses formes, jusqu’aux infimes circulaires administratives.

Si donc, la question essentielle n’est pas, encore une fois, dans l’histoire, celle du droit de l’État d’exercer sa force contre la société des hommes pour garantir une « société de droit civil ». Si, pour anachronique que cela paraisse dans le giron national, et alors que personne dans les sphères de la politique ne semble s’en douter, l’État et ses institutions, juridictions, ne sont pas déjà revenus aux « fondamentaux » des origines, à la pratique de la théorie « fondatrice » de « l’État du propriétaire » (expropriateur des biens communs de la société).

En Europe, et notamment en France, pour renverser les institutions d’ancien régime, le nouveau avait besoin des bras et muscles du géant populaire, puis prolétaire : ce fut la révolution nationale « bourgeoise », puis « socialiste ». D’où : l’État national, puis « social ». En France, aussi le « pacte républicain ». Le propriétaire, devenu républicain et démocrate, renonça au droit d’élection et d’éligibilité censitaire, à la séparation entre citoyenneté active et passive. À la démocratie du propriétaire a succédé celle du citoyen tout court.

La « mission historique » de la nation est épuisée en Occident ; les classes sociales s’y déterminent immédiatement par-dessus les frontières. La « nation » change alors de signe, revient à une fonction sociale, pour ainsi dire, d’avant la nation : non plus élément de « communauté » illusoire, mais de clivage fort entre les classes. Les « lois de nationalité » (au sens large) produisent des effets nouveaux et de nouvelles classes (« illégales ») dans la population : sur le sol national, des « métèques » esclaves marqués du stigmate d’« étrangers », relégués dans un statut de sous-hommes (privés de l’exercice effectif des droits), envers lesquels tout devient possible, même moralement, parce que « normal » – « de droit ». Elles produisent, en complément de l’État de droit pour les uns, un vaste État de non-droit pour les autres.

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