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de Michel Guilloux
Derrière l’attaque contre les 35 heures, la revendication de la " micro-négociation " mise en avant aujourd’hui vise à profiter de l’avantage.
" Depuis que M. Raffarin est là, on n’a rien eu. " Si la vie politique résumée aux petites phrases a déjà de quoi énerver, celle-là décroche le prix d’excellence. Parle-t-on des chômeurs ? Des chercheurs ? Des familles aux revenus modestes ? Des jeunes condamnés à la précarité ? Des services publics asphyxiés ? Des ouvriers que l’on jette à la rue sans autre forme de procès ? Des retraités condamnés à voir leur maigre pécule toujours plus écorné ? Des artistes que l’on voudrait ramener au statut de saltimbanque avec la manche pour seul revenu ? Eh bien non, on le sait, cette phrase-là a été prononcée par Ernest-Antoine Seillière, à l’université d’été du MEDEF qui s’est tenue cette semaine dans les Yvelines.
On a coutume de dire que tout ce qui est excessif est ridicule. Dans le cas présent, l’outrance verbale du toujours-plus patronal correspond à un calcul profond.
Durant les deux années de présence de la droite à tous les leviers de pouvoir du pays, un mot a dominé la politique menée à marche forcée : réforme. Qui peut croire avec sérieux que, de l’assurance chômage à la retraite et à la Sécurité sociale, sans oublier la volonté de privatiser EDF-GDF, " rien " n’ait été obtenu par le patronat ? En fait ce " rien "-là, payé au prix fort par des millions de Français, n’est que le préambule nécessaire à l’accélération d’une refonte sans précédent de la société française. Le pari du MEDEF version Seillière est public : une fois passé le cap des élections du printemps 2004 et devant les faiblesses et divergences du mouvement syndical à s’unir pour une riposte au niveau des attaques, il reste deux ans sans rendez-vous majeur de la nation avec elle-même, deux ans pour opérer un remodelage sans retour possible. Pour ne pas toucher à la sacro-sainte rentabilité des capitaux, pour accroître " l’attractivité " de la France, pour s’inscrire dans le carcan des contraintes européennes, accentué par le projet libéral de la future constitution, il n’y a qu’une solution devenue l’obsession du grand patronat : " baisser le coût du travail ". Telle est l’ambition du MEDEF. L’organisation n’est jamais autant apparue durant ces deux dernières années que pour ce qu’elle est, le véritable parti de gouvernement du pays. Il faut donc prendre au sérieux ces propos.
Derrière l’attaque contre les 35 heures, la revendication de la " micro-négociation " mise en avant aujourd’hui vise à profiter de l’avantage, soit précisément la politique mise en oeuvre depuis deux ans. Il s’agit, une fois de plus, toujours et encore, de revenir sur le socle social qui a permis de bâtir une France moderne, dans laquelle les acquis sociaux nourrissent le développement du pays. Après les conquêtes du Front populaire, puis du Conseil national de la résistance, l’année où l’on célèbre la Libération, il s’agit de mettre à bas les droits collectifs gagnés en particulier depuis Mai-68. Voir la mobilisation à chaque époque donne la mesure du rapport de forces actuelles et des efforts à mener pour organiser la riposte. C’est tout l’enjeu des débats actuels à gauche et dans le mouvement syndical.
À droite, la porte ouverte cette même semaine aux ambitions de Nicolas Sarkozy montre la pression opérée sur la recomposition en cours. Le ministre des Finances et futur président de l’UMP est l’homme de la situation. Avant d’aller se faire applaudir à l’université du MEDEF, n’a-t-il pas fait un cadeau de 3, 8 milliards d’euros à un groupe comme Vivendi ? La somme représente peu ou prou ce qu’il faut pour satisfaire l’exigence exprimée par Marie-George Buffet, au nom du PCF, d’une prime de 300 euros pour les ménages les plus modestes. Si la France est le pays de la lutte des classes par excellence, cette semaine aura montré comme rarement l’ampleur du clivage.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-04/2004-09-04-399870