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“Le Monde” Et Chavez : Un Très (Très) Bel Exemple D’Extrême Rigueur

Publie le jeudi 23 novembre 2006 par Open-Publishing
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par Sébastien Fontenelle, 23 November 2006

Le Monde, journal de référence, publie aujourd’hui, page 6, un article d’une certaine Marie Delcas, “envoyée spéciale” à Caracas (Venezuela).
Titre : “Hugo Chavez ne parvient pas à mobiliser ses “bataillons de campagne” pour sa réélection”.
A moins de 15 jours de l’élection présidentielle vénézuélienne du 3 décembre, on lit ça, on se dit, bigre, ça va donc assez mal pour Hugo Chavez !
Mais voyons plutôt.
Marie Delcas écrit, pour commencer : “”As-tu formé ton bataillon ? As-tu formé ton peloton ?”, scande le spot télévisé sur un rythme joyeux”.
Elle poursuit : “”Les gens croient que nous utilisons des termes militaires parce que Hugo Chavez est un ancien militaire. C’est complètement faux”, affirme Juan Contreras, au “commandement de campagne” du président vénézuélien, qui brigue un nouveau mandat, le 3 décembre. “Nous ne faisons pas campagne contre les autres candidats, mais contre l’empire [américain]. Cette élection s’inscrit dans le cadre de la guerre asymétrique menée par Washington. Les Américains ont tout fait pour tenter de renverser Chavez. Souvenez-vous de la tentative de coup d’Etat de 2002″, explique M. Contreras”.
L’envoyée spéciale ajoute : “”Contre le diable [George Bush], contre l’empire, votez Hugo Chavez”, confirment des banderoles déployées en travers des avenues de Caracas”.
Vous devez trouver ça un peu long, mais c’est volontairement que je souligne ici combien Marie Delcas est méticuleuse, dans la retransciption de ce qu’elle voit, et de ce qu’elle entend.
Jusqu’à souligner que les banderoles déployées par les partisans d’Hugo Chavez confirment ce que lui a dit, au siège de campagne d’Hugo Chavez, un partisan d’Hugo Chavez : voilà ce que j’appelle recouper une info, plutôt deux fois qu’une. (Des fois que des chavistes crétins auraient balancé partout des banderoles pour se contredire...)
Je vous prie de noter aussi que ces minutieuses vérifications nous ont mené(e)s à la fin du premier tiers de l’article de Marie Delcas, et qu’elle n’a rien dit encore des bataillons de campagne que Chavez, comme annoncé dans le titre du papier, ne parvient pas à mobiliser.
Mais justement : elle y arrive.
Elle écrit : “Vaincre M. Bush exige donc une organisation militaire”.
La preuve : “Un “bataillon de campagne” doit fonctionner dans chaque quartier, chargé d’organiser autant de “pelotons” qu’il y a de bureaux de vote”.
Voilà donc, enfin, ces fameux bataillons : Marie Delcas va maintenant, mieux vaut tard que jamais, nous dire en quoi Chavez ne parvient pas à (les) mobiliser.
Elle écrit : “Pourtant, au quartier populaire 23-Février, à Caracas, personne ne semble encore avoir été contacté par les “pelotons”".
Et elle cite, à l’appui de cette remarquable démonstration, un témoignage bouleversant : “”Lors du référendum d’août 2004, les choses étaient mieux organisées”, remarque une assistante sociale”.
Et ?
Rien.
Je veux dire que c’est tout.
Le Monde annonce, avec des roulements de tambours (de guerre) : “Hugo Chavez ne parvient pas à mobiliser ses “bataillons de campagne” pour sa réélection”.
Mais au moment d’étayer cette puissante considération, tout ce que Le Monde produit, c’est une randonnée de son envoyée spéciale dans un (seul) quartier populaire de Caracas, où on ne semble pas (ce n’est donc pas certain) encore avoir été contacté par les pelotons...
Et un (seul) témoignage d’une assistante sociale qui trouve que les choses étaient mieux organisées en 2004...
Mais sans déconner, c’est ça, le journalisme de référence ?
Après avoir ainsi évacué en moins de huit petites lignes ce qui pourtant devrait, d’après son titre, constituer l’essentiel de son papier, Marie Delcas, plutôt que de pousser plus avant une investigation qui l’a déjà vue se risquer dans un quartier populaire, préfère tout soudain bifurquer.
Elle rappelle alors qu’après avoir été, en 2004, plébiscité par “quelques 6 millions d’électeurs”, Hugo Chavez, “dans l’enthousiasme de la victoire (...), avait lancé l’objectif de 10 millions de votes pour l’élection présidentielle de décembre”.
Pourquoi ce rappel ?
Pour mieux flinguer Chavez !
Marie Delcas observe que “les instituts de sondage donnent le chef de l’Etat largement gagnant, avec au moins 10 points d’avance sur le candidat de l’opposition, Manuel Rosales”, à l’élection présidentielle du 3 décembre.
En d’autres termes, Chavez va, une fois de plus, faire un malheur, même s’il ne parvient pas à mobiliser ses bataillons de campagne (dont rien ne prouve, dans l’article du Monde, qu’il échoue réellement à les mobiliser).
Mais l’envoyée spéciale du journal de référence n’entend pas concéder trop d’importance à cette victoire annoncée.
Elle préfère citer une “politologue”, Ana Maria Sanjuan, d’après qui : “Toutefois, si l’abstention est élevée, Hugo Chavez pourrait bien se retrouver victime de son propre slogan”, de sorte que “s’il obtient moins de voix que lors du référendum, ce sera une défaite”.
Certes.
Et inversement !
Pour mieux enfoncer le clou, Marie Delcas cite un fonctionnaire du Conseil national électoral qui lui confie que sur le terrain, la campagne de Chavez patine...
L’envoyée spéciale du Monde nous livre enfin une dernière considération de la politologue Ana Maria Sanjuan : d’après cette observatrice privilégiée, la guerre contre l’empire ne mobilise pas les électeurs, et le président vénézuélien n’a pas de propositions nouvelles à formuler...
En somme, Chavez va gagner, mais Le Monde, au terme d’une enquête absolument exemplaire, nous explique pourquoi et comment il va perdre : quel talent !

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