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Le colonel Rol donne l’ordre de l’insurrection

Publie le samedi 21 août 2004 par Open-Publishing


de Roger Bourderon

Le 21 août 1944, la presse de la Résistance reparaît au grand jour. Le 22, l’insurrection
parisienne se déploie sous la direction militaire d’Henri Tanguy, chef des Forces
françaises de l’intérieur de la région parisienne.

À la veille de l’insurrection parisienne, la région FFI Ile-de-France comprend
la Seine, la Seine-et-Oise, la Seine-et-Marne, l’Oise, sous les ordres d’Henri
Tanguy, colonel Rol. Seul chef régional venu des F.T.P., il a, depuis sa désignation
par le COMAC le 5 juin 1944, acquis une grande autorité dans son état-major régional
(EMR), dont nombre des membres, officiers d’active ou de réserve - comme le chef
d’état-major, le capitaine de réserve Roger Cocteau (Gallois), et son adjoint,
le lieutenant-colonel d’infanterie Villate (Rethal) -, pouvaient douter des compétences
de ce métallo de 36 ans, syndicaliste, communiste, ancien des Brigades internationales

Or Rol montre de réelles capacités militaires : il aime le métier des armes, l’expérience espagnole a été très formatrice, son bagage théorique allie sans mal Lénine, Foch et Clausewitz. Ses qualités d’écoute, fruit de son engagement syndical, et sa loyauté font le reste. Devenu FFI, Rol estime en effet n’avoir d’autres supérieurs que le COMAC et l’état-major national FFI. Lorsque Charles Tillon met le 8 août les F.T.P. de la région parisienne à sa disposition, Rol prend acte de cette décision mais il ne répond pas à l’injonction du chef F.T.P. de " proposer des objectifs au nom des FFI après en avoir discuté avec nos amis ". " C’était mal connaître ma discipline intellectuelle, disait-il, ma loyauté à l’égard de mes collaborateurs [.] que de chercher à me placer à nouveau sous l’autorité du commandement F.T.P. et du PCF. " Aussi les tensions initiales, parfois vives, cèdent-elles la place dans son état-major à de réelles relations de confiance, sur la base d’un travail considérable.

Les états-majors FFI ont très souvent été considérés comme des créations assez artificielles, non comme des lieux d’élaboration collective des ordres du commandement. Rol récusait cette appréciation, du moins pour son état-major. La consultation systématique de ses archives m’a montré combien il avait raison. De juin à août, malgré les difficultés de liaison, le commandement régional impulse l’action des FFI, comme le montrent les dizaines de directives qu’il leur adresse.

Pour cela, les informations recueillies par le 2e bureau sont essentielles : d’elles dépend la prise de décision, responsabilité majeure de tout chef militaire, sur laquelle Rol insistait beaucoup. De juin à août, l’EMR présente sur ce plan un bilan remarquable pour un organisme clandestin. Aujourd’hui encore, il n’y a pas grand-chose à redire, à quelques retouches près, à son évaluation du rapport des forces militaires ; des possibilités défensives des Allemands, de leur moral, de leur attitude face aux populations ; de l’état d’esprit de celles-ci ; des mesures de protection des services publics ; des atouts et des limites de l’action FFI. Lorsque, le 18 août, Rol se prononce devant le Comité parisien de libération en faveur de l’insurrection, puis lance son ordre de mobilisation, il ne propose pas un saut dans l’aventure : il s’appuie sur une analyse de la situation dans laquelle le peu d’armes possédées par les FFI constitue un paramètre, non un facteur décisif comme le pensent les résistants hostiles à l’insurrection. L’EMR a su allier la logique militaire inhérente au travail d’état-major, la prise en compte des conditions spécifiques de la guérilla, l’existence d’une mobilisation civile affirmée le 14 juillet et qu’atteste l’extension des grèves depuis le 10 août.

Dès le 15 août, l’ordre général n 8 du colonel Rol fixe des objectifs qui définissent l’action insurrectionnelle des FFI : occuper le terrain partout où l’ennemi est faible, intensifier la guérilla contre ses petites unités, le forcer à se regrouper dans des points d’appui isolés. Ce principe tactique essentiel sera mis en oeuvre avec succès à Paris puisqu’il paralysera l’occupant et le contraindra à se retrancher dans quelques bastions que l’armée régulière réduira. Ainsi l’insurrection doit " ouvrir la route de Paris aux armées alliées victorieuses et les y accueillir " (ordre général du 19 août), et il faut entrer au plus vite en contact avec elles : dès le 18 août, Rol charge le chef du 3e bureau, le capitaine de réserve Trutié de Varreux (Brécy), de joindre le commandement allié - mission qui se termine tragiquement, mitraillée par un avion américain.

Certaines initiatives de Rol s’avèrent encore d’une grande importance.

1. Le ralliement des forces de l’ordre était à ses yeux indispensable, ne serait-ce que pour écarter tout risque d’affrontement avec les FFI. Il rencontre le 13 août le responsable du Front national de la gendarmerie Ile-de-France et Orléanais. Le 14, il assiste à la réunion des mouvements de résistance de la police : soutenant les partisans de la grève, il contribue à la décision unanime en faveur de celle-ci. Il appelle le 15 les forces de l’ordre à se ranger aux côtés des FFI et à refuser toute opération de maintien de l’ordre au service de l’ennemi. Le matin du 19, entendant chanter la Marseillaise dans la cour de la préfecture de police occupée par les policiers, Rol, qui passe par hasard, s’y fait connaître. Constatant une certaine confusion et des manouvres en vue de la reprise du service, il contribue à faire définitivement basculer la police du côté de l’insurrection. L’après-midi, le délégué général en France du général de Gaulle, Alexandre Parodi, place sous son autorité toutes les forces armées de la région parisienne, forces de l’ordre comprises.

2. La réaction immédiate de Rol est essentielle lors de la trêve négociée le soir du 19 août à l’insu des FFI par le consul de Suède Raoul Nordling et acceptée par Alexandre Parodi et Jacques Chaban-Delmas, délégué militaire national du général de Gaulle. Dès qu’il en a connaissance, le 20 août à 7 heures du matin, Rol alerte le COMAC et ordonne au colonel Lizé, chef départemental FFI de la Seine, de poursuivre le combat. Militaire rompu à la discipline des armées, Lizé obéit. Alors que la confusion règne un temps dans les instances civiles de la Résistance, CPL et CNR, où s’affrontent partisans et adversaires de la trêve, l’EMR FFI joue un rôle décisif dans son échec - auquel Rol oeuvre jusqu’à la décision officielle, le 22 août, de reprise des combats. Cela dit, notons qu’il n’a jamais vu dans la trêve la " trahison " dénoncée par des résistants communistes, mais une mauvaise appréciation du rapport des forces par les informateurs de Chaban et de Parodi.

3. Le 20 août encore, sans nouvelle de la mission Brécy, Rol envoie son propre chef d’état-major, Gallois, établir la liaison avec le commandement américain, afin de hâter le mouvement des troupes alliées sur Paris. D’autres démarches de ce type ont été faites mais la mission Gallois, arrivée à bon port le 22, est pour beaucoup dans le feu vert finalement donné par le commandement américain au général Leclerc et à sa 2e DB de foncer sur Paris, ce qui met fin aux plans initiaux de contournement de la capitale.

4. Le 20 août toujours, Rol installe son état-major place Denfert-Rochereau, dans les locaux souterrains de la Direction de la voirie, aménagés avant la guerre par la Défense passive et mis à sa disposition par le général Bloch-Dassault, membre du Front national. Cette installation permet au commandement régional d’assurer dans les meilleures conditions la conduite de l’insurrection, les membres de l’EMR et le secrétariat étant réunis dans un même lieu, où passent les agents de liaison, et où les renseignements affluent grâce aux réseaux téléphoniques des PTT et du métro ainsi qu’à la liaison directe avec la préfecture de police.

Le 22, la trêve enterrée, l’insurrection se déploie, les barricades surgissent dans la capitale. L’EMR suit de très près l’évolution de la situation, notamment celle des points névralgiques, où il envoie des renforts. Il donne des consignes simples pour construire les barricades - privilégier leur épaisseur plutôt que leur hauteur, les protéger depuis les fenêtres des maisons voisines, édifier des défenses antichars avancées, utiliser tous les matériaux récupérables. Il collecte les informations sur le matériel, les effectifs, les itinéraires de l’ennemi, la surveillance des ponts et des canaux. Le 21 au soir, la parution au grand jour de la presse résistante donne à l’EMR le moyen de communiquer avec tous les Parisiens : grâce aux journalistes qu’il accrédite, les journaux ont désormais un rôle de premier plan pour la diffusion de ses consignes.

Malgré cette activité, le commandement régional FFI a-t-il vraiment dirigé l’insurrection, ou Paris insurgé fut-il d’abord un Paris atomisé ? J’adhère pleinement à ce qu’en disait Rol. L’EMR a dirigé l’insurrection sur un plan fondamental, en sachant apprécier la carte de guerre, favoriser le déclenchement de l’insurrection au moment opportun et préciser ses objectifs, réaliser l’unité de la résistance armée et des forces gouvernementales, lancer la mission Gallois, jouer un rôle majeur dans l’échec de la trêve, donner des consignes techniques précises, suivre et orienter le déroulement des opérations. Cela dit, les combats n’étaient pas ceux d’une armée structurée, mais ceux de groupes de guérilla agissant dans les conditions spécifiques du lieu où ils se trouvaient : toute action précise relevait de l’initiative de ceux qui étaient sur le terrain. Le rôle de l’EMR était de donner les impulsions et les consignes nécessaires, en pointant les objectifs réalisables - ce qui s’est très largement traduit dans la réalité.

Le 25 août, gare Montparnasse, la signature par Rol - qu’il n’a jamais exigée, quoi qu’on en ait dit - d’un exemplaire de l’acte de capitulation du général Choltitz, à l’initiative de Maurice Kriegel-Valrimont, représentant le COMAC, et avec l’accord de Jacques Chaban-Delmas et du général Leclerc, consacrait la place éminente du commandement FFI dans la libération de la capitale. Il n’est pas certain du tout que le général de Gaulle en ait été aussi contrarié qu’il le dit dans ses Mémoires, écrits en pleine guerre froide.

Roger Bourderon

Historien

Auteur de " Rol-Tanguy ", éd. Tallandier, 2004. 768 pages, 28 euros.

Roger Bourderon présentera son ouvrage en compagnie de Roland Leroy au village du livre de la Fête de l’Humanité, dimanche 11 septembre, à 16 h 15.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-21/2004-08-21-399099