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Le mépris de la culture générale

par Samuel Beaudoin Guzzo

Publie le vendredi 24 octobre 2014 par Samuel Beaudoin Guzzo - Open-Publishing

Samuel Beaudoin Guzzo
Photo de l’auteur de l’article

L’auteur est diplômé en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Il s’intéresse particulièrement aux divers enjeux auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines notamment en ce qui a trait à la reconnaissance sociale, au dialogue culturel ainsi qu’aux conditions de la démocratie et de la justice sociale. On peut le suivre sur sa page Google+.

Dans un texte intitulé « L’intouchable formation générale » dans la section DÉBATS de La Presse de ce matin 22 octobre, Monsieur Pierre-Yves McSween, qui est comptable professionnel agréé et professeur d’administration au collégial, défend l’idée selon laquelle le contenu de la formation générale au cégep devrait être révisé afin de l’actualiser face à la réalité sociale, économique et technologique des dernières décennies. Comme il le formule lui-même en fondant son raisonnement sur le rapport Demers, « [la] hiérarchisation, le contenu et la pondération des cours devraient être liés à leur utilité pour le développement du citoyen et du travailleur. Certes l’approfondissement des connaissances des langues officielles est un incontournable. Par contre, doit-on pousser l’analyse littéraire de textes de Molière pour tous ? »

Une telle prise de position m’apparaît symptomatique d’un courant de pensée malheureusement fort répandu voulant que le système d’éducation québécois devrait être davantage assujetti au marché du travail et à la compétitivité qui en est désormais une dimension quasi-constitutive. Le fait est que cette option est souvent liée à un mépris de la culture générale (littérature, histoire, philosophie, sociologie…) qui est considérée comme un ensemble des connaissances superflues, en d’autres termes, inutiles au parcours particulier d’individus qui ne se dirigeront pas dans cette voie pour leur cheminement professionnel. On assiste en fait à une glorification de la formation spécifique au détriment de la formation générale et à une fermeture, souvent inconsciente, à la culture qui est pourtant un des piliers de l’existence collective. L’individu n’est pas qu’un travailleur, mais aussi un être qui participe à une réalité socioculturelle qui transcende sa dimension professionnelle.

Que l’on me comprenne bien, je ne suis pas du tout en train de nier l’importance du marché du travail ou du fait de tenir compte de la réalité sociologique dans laquelle nous baignons. Toutefois, je critique les récents propos de monsieur McSween et d’autres tenants de l’idéologie néolibérale qui prônent un asservissement du milieu scolaire au marché du travail, ce qui démontre en réalité une dévalorisation du savoir, ce qui est un pur et simple nivellement par le bas. Leur vision utilitariste de l’éducation et l’idéologie individualiste qui en découle sont, à mon avis, néfastes pour l’élaboration d’un projet de société car elles ont comme conséquence, sous prétexte de pragmatisme et d’efficacité, de faire entrer les étudiants dans des moules préétablis qui sont des produits directs de leur idéologie !

Notons que monsieur McSween tempère son propos en mentionnant que « [sans] se lancer dans une pensée utilitariste, le réseau doit se questionner sur la pertinence de certains contenus, cours ou activité. Au-delà d’un idéalisme du savoir, on doit revoir l’adéquation entre la formation collégiale et les objectifs de la population qui la finance. La révision de la formation collégiale apportera son lot de résistances [et comment ! c’est moi SBG qui ajoute], en plus d’amener certains problèmes de logistique. Par contre, ce n’est pas dans les règles de la convention collective actuelle que l’on trouvera l’équilibre vers une formation générale plus souple. » À cela, je répondrai que malgré ce qu’il affirme, monsieur McSween se lance à pieds joints dans une pensée utilitariste aveugle qui n’est pas sans conséquences à long terme pour la culture générale qui est une dimension non seulement fondamentale, mais vitale pour l’existence humaine dont nous sommes les portes étendards ! Il est par ailleurs désolant de constater que son utilitarisme n’a d’égal que son hostilité à l’égard de la démocratie syndicale !

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