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Le silence de Reporters sans frontières sur le journaliste torturé à Guantanamo

Publie le dimanche 22 janvier 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

de Salim LAMRANI

Le silence observé par l’organisation de « défense de
la liberté de la presse », Reporters sans frontières (RSF), au
sujet du journaliste soudanais, M. Sami al Hajj, suscite de
nombreuses interrogations quant à l’impartialité de l’association
dirigée par M. Robert Ménard. Toujours prompte stigmatiser,
souvent de manière arbitraire, certains pays dans la ligne de
mire de Washington tels que Cuba, le Venezuela et la Chine, RSF a
totalement ignoré le calvaire enduré par M. al Hajj, travaillant
pour la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera1.

Le 22 septembre 2001, Al Jazeera a envoyé une équipe
de journalistes, dont faisait partie M. al Hajj, enquêter sur le
conflit en Afghanistan. Après 18 jours de reportage, le groupe s’
est retiré au Pakistan. En décembre 2001, M. al Hajj est retourné
avec ses collègues couvrir l’investiture du nouveau gouvernement
afghan. Mais, avant d’avoir pu atteindre la frontière, la police
pakistanaise a procédé à l’arrestation du journaliste soudanais,
relâchant les autres membres de l’équipe qatarie2.

Transféré aux autorités étasuniennes installées en
Afghanistan, M. al Hajj allait vivre un véritable cauchemar sur
la base aérienne de Bagram. « Ce furent les pires [jours] de ma
vie », a-t-il témoigné. Il a avoué avoir été abusé sexuellement
et menacé de viol par les soldats nord-américains. Il a également
été gravement torturé pendant de longs mois. Les sévices à son
encontre ont été multiples. Il était obligé de se mettre à genoux
à même le sol pendant plusieurs heures. Des chiens le harcelaient
et l’agressaient constamment. Le journaliste soudanais a
également été longtemps enfermé dans une cage et placé dans un
hangar à avions glacial. Il a expliqué comment ses cheveux et les
poils de sa barbe ont été arrachés un à un par ses bourreaux. Il
a été régulièrement passé à tabac par ses gardes et, durant près
de 100 jours, il n’a pas été autorisé à se laver alors que son
corps était couvert de poux3.

Le 13 juin 2002, M. Sami al Hajj a été expédié à
Guantanamo. Durant le vol, il a été maintenu enchaîné et
bâillonné avec un sac sur la tête. A chaque fois que la fatigue
le gagnait, il était violemment réveillé par ses gardes qui le
frappaient à la tête. Avant son premier interrogatoire, il a été
privé de sommeil pendant plus de deux jours. « Pendant plus de
trois ans, la plupart de mes interrogatoires avait pour but de me
faire dire qu’il a une relation entre Al Jazeera et Al Quaeda »,
a-t-il rapporté à son avocat4.

Sur le territoire cubain illégalement occupé par les
Etats-Unis, le reporter soudanais n’a pas reçu d’attention
médiale alors qu’il a souffert d’un cancer de la gorge en 1998,
et qu’il est atteint de rhumatismes. Il a été frappé sur la
plante des pieds et intimidé par des chiens menaçants. Il a été
victime de brimades racistes et n’a pas été autorisé à profiter
des temps de promenades en raison de sa couleur de peau. Il a
également été témoin de la profanation du Coran en 2003 et, avec
ses codétenus, s’est mis en grève de la faim. La réaction de l’
armée étasunienne à la protestation a été extrêmement violente :
il a été battu et jeté du haut des escaliers, se blessant
sérieusement à la tête. Il a ensuite été isolé avant d’être
transféré vers le Camp V, le plus sévère de tous les centres de
détention de Guantanamo, où il a été classé au niveau de sécurité
4, niveau qui est synonyme des pires brutalités5.

Ce témoignage, accablant pour l’administration Bush
qui refuse toujours d’accorder le statut de prisonniers de guerre
aux détenus de Guantanamo, s’ajoute à deux déclarations faites
par d’autres victimes à Amnistie Internationale, tout aussi
accusatrices6. Cependant, ils ne constituent que la pointe
émergée de l’iceberg. A Guantanamo, le crime est double : les
Etats-Unis infligent les barbaries les plus inhumaines à des
personnes séquestrées sans preuves formelles, et occupent par la
force une partie du territoire de la nation souveraine de Cuba.

La collusion entre RSF et Washington s’est déjà
illustrée dans le cas du cameraman espagnol José Couso, assassiné
par les soldats de la coalition. Dans son rapport, l’entité
parisienne avait exonéré de toute responsabilité les forces
armées étasuniennes malgré les preuves flagrantes. La connivence
entre RSF et le Département d’Etat nord-américain était telle que
la famille du journaliste a dénoncé le rapport, demandant à M.
Ménard de se retirer de l’affaire. La complicité est également
évidente dans le cas de Cuba, où RSF transforme des agents
stipendiés par les Etats-Unis en « journalistes indépendants »,
alors l’information à ce sujet est disponible et inconstestable7.

Les autorités étasuniennes se réjouissent des
rapports tendancieux de RSF et les utilisent même dans leur
guerre propagandiste contre Cuba. M. Michael Parmly, chef de la
Section d’intérêts nord-américain à La Havane, a affirmé que 20%
des journalistes emprisonnés dans le monde « se trouve à Cuba.
Reporters sans frontières a récemment établi un classement de
164 pays pour la liberté de la presse ; Cuba a été classé
avant-dernier juste devant la Corée du Nord8 ».

Mise en cause pour sa stigmatisation constante de
Cuba à partir d’éléments factuels erronés et pour son alignement
sur le point de vue étasunien, RSF a tenté de répondre aux
accusations. Mais le manque de cohérence du communiqué ainsi que
les propos contradictoires observés n’ont fait que renforcer les
soupçons9. En effet, M. Ménard n’a point fourni d’explications
sur les liens douteux et les diverses réunions de son
organisation avec l’extrême droite cubaine de Floride. Le
secrétaire général de RSF va même jusqu’à afficher son admiration
pour M. Franck Calzón, président du Center for a Free Cuba,
organisation extrémiste financée par le Congrès des Etats-Unis.
« Il fait un travail fantastique en faveur des démocrates
cubains », a-t-il assuré à son sujet10. Par la suite, RSF a été
contrainte d’avouer publiquement qu’elle recevait un financement
de ce même Centre11.

De la même manière, RSF a perçu des émoluments par le
National Endowment for Democracy, organisme dépendant du Congrès
et chargé de promouvoir la politique étrangère étasunienne12. Ce
financement entraîne un conflit d’intérêts au sein de l’
organisation française, peu disposée à dénoncer les exactions
commises par l’un de ses mécènes, à savoir le gouvernement des
Etats-Unis. Avant la publication du témoignage divulgué par
Amnistie Internationale, M. Ménard aurait toujours pu prétendre
ignorer l’existence de M. Sami al Hajj. Mais, malgré la forte
médiatisation internationale de ces nouveaux cas de torture sur
la base navale de Guantanamo, RSF n’a toujours pas daigné s’
intéresser à ce scandale et s’est réfugié dans un mutisme
révélateur.

La censure de ce nouveau cas de grave violation de la
liberté de la presse commise par l’administration Bush ne fait
que confirmer un peu plus le double discours de Reporters sans
frontières. Pendant que l’organisation s’acharne de manière
démesurée sur Cuba alors que les cas évoqués sont loin d’être
convaincants, elle reste silencieuse sur une flagrante atteinte à
l’intégrité d’un journaliste, emprisonné et torturé uniquement
parce qu’il travaille pour la chaîne qatarie Al Jazeera,
extrêmement influente dans le monde arabe et peu complaisante
envers Washington. La crédibilité de l’organisation de M. Ménard,
déjà fortement ébranlée par son traitement partial et ses liens
avec le gouvernement des Etats-Unis, est de plus en plus en berne
car de tels manquements comparés à la récurrence obsessionnelle
de certains sujets comme Cuba ne peuvent pas être le fruit du
hasard.

Salim LAMRANI

Notes

1 Amnistie Internationale, « USA : Who Are the Guantanamo
Detainees ? Case Sheet 16 : Sudanese National Sami al Hajj », 11
janvier 2006.
http://web.amnesty.org/library/index/ENGAMR512072005 (site
consulté le 14 janvier 2006).

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Amnistie Internationale, « USA : Days of Adverse Hardship in US
Detention Camps - Testimony of Guantánamo Detainee Jumah
al-Dossari », 16 décembre 2005.
http://web.amnesty.org/library/Index/ENGAMR511072005 (site
consulté le 14 janvier 2006) ; Amnistie Internationale, « USA :
Who Are the Guantánamo Detainees ? Case Sheet 15 : Yemeni National
Abdulsalam al-Hela », 11 janvier 2006.
http://web.amnesty.org/library/index/ENGAMR512062005 (site
consulté le 14 janvier 2006).

7 Famille Couso, « La familia de José Couso pide a Reporteros Sin
Fronteras que se retire de la querella », 17 janvier 2004.
www.josécouso.info (site consulté le 18 juillet 2005).

8 Michael E. Parmly, « Speech by U.S. Interests Section Chief of
Mission Michael Parmly Marking the 57th Anniversary of the UN
General Assembly’s Adoption and Proclamation of The Universal
Declaration of Human Rights », United States Interest Section, 15
décembre 2005.
http://havana.usinterestsection.gov/uploads/images/H6d6TbvWetXZoC
JAPwksLQ/parmly1210e.pdf (site consulté le 29 décembre 2005).

9 Reporters sans frontières, « Pourquoi s’intéresser autant à
Cuba ? La réponse de Reporters sans frontières aux accusations
des défenseurs du gouvernement cubain », 6 juillet 2005.
www.rsf.org/article.php3?id_article=14350 (site consulté le 15
juillet 2005).

10 Salim Lamrani, Cuba face à l’Empire : Propagande, guerre
économique et terrorisme d’Etat (Outremont, Québec : Lanctôt,
2005), pp. 88-89.

11 Reporters sans frontières, op.cit.

12 Ibid.

Messages

  • "suscite de nombreuses interrogations quant à l’impartialité de l’association dirigée par M. Robert Ménard..."
    En ce qui me concerne ,cela fait belle lurette que le stade interrogation a propos de l’impartialité de l’association dirigée par M. Robert Ménard est arrivé au stade certitude.

  • "Sur le territoire cubain illégalement occupé par les Etats-Unis"

    Bien que je concois que cette article a pour but de discrediter les etats unis, il ne faut tout de meme pas les accuser de tous les maux. Je ne peux pas laisser passer une telle faute...

    "Cette prison est située sur un terrain de 30 000 acres cubains (121 km²), actuellement loué par le gouvernement des États-Unis au gouvernement de Cuba. Cette location est effective depuis le 23 février 1903, sous la présidence de Theodore Roosevelt, et n’est incessible que par le consentement des deux parties. Un loyer de 4 085 dollars US est payé tous les ans par chèque. Le dictateur cubain Fidel Castro a toujours refusé d’encaisser ces paiements (sauf celui de la première année de la Révolution en 1959), car il n’accepte pas que l’un de ses plus grands ennemis dispose d’une base militaire sur son territoire."

    source : wikipedia.