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Le "temps disponible" qui abolit le travail !

Publie le lundi 27 avril 2009 par Open-Publishing
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Michel Peyret
27 avril 2009

LE « TEMPS DISPONIBLE »
QUI ABOLIT LE TRAVAIL !

« Nous arrivons au point précis qu’annonçaient les premiers visionnaires de l’après-capitalisme quand , au-delà de l’ordre industriel naissant , ils entrevoyaient une société différente : l’efficacité des machines y abolirait le travail , le règne du capital et de la marchandise pour faire apparaître le « temps disponible » comme mesure de la « vraie richesse ».
La révolution micro-électronique nous entraîne vers tout cela et pourtant nous continuons misérablement d’attendre que l’avenir nous rende le passé , que le capitalisme se relève de son agonie , que l’automatisation procure plus de travail qu’elle n’en supprime .
La gauche est sur le point de mourir faute d’imagination . »
André GORZ

André Gorz est mort il y a peu de mois .
Pour ma part , je suis pas de « gauche » , je me pense communiste , et c’est sans doute pour cela que je fréquente « les premiers visionnaires de l’après- capitalisme » auxquels André Gorz fait référence , annonciateurs , tout à la fois , de l’abolition du travail , du règne du capital et de la marchandise au profit du « temps disponible » comme valeur de notre temps !
Je suppose que André Gorz comptait Marx au nombre de ces « premiers visionnaires » .
Pour ma part encore , c’est l’auteur du « Manifeste » que je citais , en septembre 2008 , dans un article que j’avais intitulé : « De quel travail parle-t-on ? » , en réponse d’ailleurs à un autre militant communiste qui semblait ignorer ce contenu du communisme qui continue de hanter l’Europe comme l’a si bien rappelé Alain Badiou pour qui « l’hypothèse de l’émancipation , fondamentalement , reste l’hypothèse communiste » , ce premier point pouvant trouver des formes d’élaboration et en comprenant ensuite « qu’il s’agit là d’une idée au sens fort . » Aussi propose-t-il de « la travailler » comme telle .

QUE DIT LE MANIFESTE !

Que dit donc Le Manifeste au sujet du travail ?
« La condition essentielle de l’existence et de la domination de la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse entre les mains des particuliers , la formation et l’accroissement du capital ; la condition d’existence du capital , c’est le salariat . Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre-eux . »
Plus avant , Marx insiste : « Mais est-ce que le travail salarié , le travail du prolétaire crée pour lui de la propriété ? Absolument pas . Il crée le capital , c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié , et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire davantage de travail salarié pour l’exploiter de nouveau . Dans sa forme actuelle , la propriété oscille entre ces deux termes antinomiques : le Capital et le Travail . »

La conclusion du Manifeste sur ce point ?
« Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation du travail d’autrui .
« On a objecté encore qu’avec l’abolition de la propriété privée toute l’activité cesserait , qu’une paresse générale sévirait .
« Si cela était , il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise , puisque dans cette société , ceux qui travaillent ne gagnent pas et ceux qui gagnent ne travaillent pas .
« Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié lorsqu’il n’y a plus de capital . »

TAUTOLOGIE !

Tautologie ?
Selon le dictionnaire que je consulte une « tautologie » , c’est une « proposition toujours vraie » ou encore « une répétition inutile. »
En vérité , je ne pense pas que la répétition soit inutile , tout au contraire !
La tendance principale aujourd’hui , même si elle peut sembler s’inverser avec le « retour à Marx » qui accompagne l’approfondissement de la crise du capitalisme , est encore à ignorer le contenu réel de l’oeuvre de Marx dans ses principaux aspects !
Saluons en conséquence , et sans faire la fine bouche , Alain Badiou que j’évoquais ci-dessus et son effort renouvelé pour mettre en évidence l’actualité de « l’Idée communiste » , Idée avec un « I » majuscule !
Décidément les « ringards » , ainsi que l’on appelle volontiers les partisans de ce retour aux sources , commencent à apparaître tout autrement quand la réalité du capitalisme se révèle dans toute sa négativité et que les seules perspectives qui s’expriment en dehors d’une « moralisation du capitalisme » ou la resucée de son « amélioration », sont justement celles-là !

D’AUTRES PISTES QUE LE « TRAVAILLER PLUS » !

Dès lors , on commence à s’apercevoir qu’il existe bien d’autres pistes que celle du « travailler plus » du plus récent des « chefs d’orchestres » chargés d’exécuter au mieux les partitions des compositeurs du capital de notre temps , ou que celles de tous ceux qui aspirent à tout prix à pouvoir trouver un strapontin dans l’orchestre et dont la revendication s’inscrit seulement dans les modulations de ce « travailler plus » du chef d’orchestre , tels ceux qui réclament « un travail pour tous » au lieu de se proposer de changer la partition !
D’autres pistes ?
Pour aujourd’hui , je me contenterai d’une seule , telle qu’elle s’exprime dans les écrits ou propos de Jacques Marseille tels qu’ils sont relatés dans une interview à « L’Est Républicain » le 30janvier dernier .
Comme je suis loin , très loin , de partager l’ensemble des opinions de Jacques Marseille , je souligne en conséquence qu’il s’agit bien d’une piste à travailler dans une perspective qui n’est pas la sienne !

L’UTOPIE DE THOMAS MOORE

Je cite :

L’Est Républicain : « Quand le Bureau international du travail prédit 50 millions de chômeurs en plus dans le monde à cause de la crise , n’y a-t-il pas matière à s’inquiéter ? »

Jacques Marseille : « Je ne prends pas cette précision plus au sérieux que celle de Michel-Edouard Leclerc annonçant une baisse des prix de 2,3% en 2009 ! Tout cela contribue à dresser une belle dépression qui rend les gens anxieux alors que la lecture d’un bon livre d’histoire devrait leur éviter d’acheter des antidépresseurs et des psychotropes .

L’Est Républicain : « Vous avancez un remède , l’allocation universelle . Expliquez-vous ?

J M. :« Cette idée de Thomas Moore , développée dans « L’Utopie » en 1516, puis par d’autres , consiste à redistribuer à chacun une partie du dividende de notre héritage collectif . Je l’ai chiffrée . Je propose de donner 750 euros par mois , à chaque individu , qu’il travaille ou pas , de l’âge de 18 ans à sa mort , 375 euros entre la naissance et 18 ans . En échange toutes les autres prestations seraient supprimées ( allocations familiales , chômage , au logement , bourses étudiantes , retraites , à l’exception de l’assurance santé ) .
« J’ai calculé qu’un couple de smicards toucherait 3500 euros par mois (deux Smic à 1000 euros , plus deux allocations universelles à 750 euros ) .
S’il capitalise chaque mois ce qui lui est aujourd’hui prélevé , il disposera à la retraite nettement plus que ce qu’il peut espérer .
« Imaginons que cette allocation soit appliquée à tous les Français , cela représenterait 578 milliards d’euros , 30% du PIB français , alors que déjà l’on consacre 30% du PIB à des dépenses sociales avec l’inefficacité et l’iniquité que l’on connaît . Il n’y a qu’un Etat américain pour l’instant qui l’applique , l’Alaska ! »

QUE DEVIENNENT LES RICHESSES PRODUITES PAR LE TRAVAIL !

Je me répète , je n’ai ni l’imagination , ni la logique politique et sociale de Jacques Marseille .
Mais voilà toutefois qui m’incite à m’interroger pour savoir comment sont utilisées les richesses produites par le travail des salariés français , lesquelles sont appropriées d’une façon ou d’une autre par les capitalistes , que ces salariés travaillent dans une entreprise publique ou privée !
On connait la part , qui est en diminution , des salaires dans cette richesse .
On peut savoir la part de ces richesses qui est investie en France , plus ou moins utilement d’ailleurs .
On ignore souvent l’importance de la part destinée à l’exportation (des capitaux) et que les capitalistes d’origine française sont les premiers exportateurs de capitaux , capitaux produits par le travail des salariés de notre pays !
Et on comprendrait bien mieux le fonctionnement du système (capitaliste) si l’on pouvait appréhender la part de ces richesses que les capitalistes consacrent à la spéculation financière où souvent les taux de profit sont bien supérieurs à ceux qu’ils trouvent dans la production ! Spéculation qui dévoie ainsi vers une activité parasitaire une large part du résultat du travail qui pourrait être , au contraire , investi utilement !

TRAVAILLER MOINS !

Au total , on mesure bien que l’on pourrait faire tout autre chose , socialement profitable , avec les résultats du travail .
Alors que l’on est entré dans une autre révolution constituée par l’automatisation et l’informatisation de toute la vie active , ce n’est pas de « travailler plus » dont les salariés français , et d’autres d’ailleurs , ont besoin , mais au contraire de « travailler moins » en laissant travailler les machines dont la productivité s’est déjà multipliée ces dernières décennies !
Et je pense , comme André Gorz , qu’il est aujourd’hui nécessaire et possible de réduire massivement le temps de travail .
Déjà , à la fin du 19eme siècle , Paul Lafargue , dont une rue de Bordeaux porte le nom , qui était aussi le gendre de Marx et un des fondateurs du Parti socialiste , considérait , dans « Le droit à la paresse » , qu’on aurait pu limiter la durée du temps du travail à trois heures par jour !
Et , à plus forte raison , dès aujourd’hui où nous ne sommes plus dans les temps « l’ordre industriel naissant » , et sans attendre les temps meilleurs du communisme , mais également dans cette perspective , n’est-il pas urgent de mettre cette exigence au coeur des luttes ?
Le proche 1er mai ne pourrait-il ainsi être fécondé ?