Accueil > Lendemains de revers syndicaux

Lendemains de revers syndicaux

Publie le lundi 19 juillet 2004 par Open-Publishing
1 commentaire

de Michel Noblecourt

Jean-Pierre Raffarin se réjouit d’un flamboyant "juillet social". A en croire le premier ministre, avec la "réforme" de l’assurance-maladie, venant après celle des retraites, le changement de statut d’EDF et le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo, le "pacte social"aurait été rétabli avec les Français. M. Raffarin, qui déclamait il y a peu sur "l’impasse de l’Etat-providence", va un peu vite en besogne. Dans une société taraudée par le chômage, déchirée par l’exclusion et la précarité, le pacte social doit sans cesse être remis sur le métier.

L’autosatisfaction du chef du gouvernement est d’autant moins justifiée que le pacte social se nourrit aussi de dialogue. Le préambule de la loi Fillon sur l’emploi, la formation professionnelle et la négociation collective prévoyait que, conformément à une promesse électorale de Jacques Chirac, tout projet de loi social devait être précédé d’une discussion, et si possible d’un accord, entre les partenaires sociaux. Hormis pour la formation continue et l’égalité professionnelle, ce principe n’a été appliqué sur aucun des trois chantiers que M. Raffarin se flatte d’avoir mené à bien durant son "juillet social".

UNE MUE RÉFORMISTE

En creux, le gouvernement semble admettre les faux pas commis sur le dialogue social puisque le ministre délégué chargé des relations du travail, Gérard Larcher, tente de renouer avec la démarche prônée par la loi Fillon en recommandant aux syndicats et au patronat de négocier sur des sujets comme la simplification du code du travail ou l’emploi des seniors. Tardive correction de tir.

En cet été 2004, le constat est amer pour les syndicats. Si M. Borloo, plus attentif aux idées nouvelles, a repris quelques propositions sur la cohésion sociale, les confédérations, qui étaient toutes parties en guerre, dans une unité plus factice que réelle, contre le plan de Philippe Douste-Blazy sur l’assurance-maladie et le changement de statut d’EDF piloté par Nicolas Sarkozy, ont subi deux défaites. Dans l’un et l’autre cas, elles n’ont pas réussi, malgré les sanctions électorales subies par le gouvernement au printemps sur lesquelles elles comptaient s’appuyer, à contrecarrer les réformes annoncées. A première vue.

De plus en plus, et compte tenu de sa faiblesse, le syndicalisme se tourne vers le miroir de l’opinion publique. Celle-ci devient le juge de paix, ratifiant ou sanctionnant, à coups de sondages regardés à la loupe par les états-majors syndicaux, ses actions. De la guérilla menée contre la réforme d’EDF ou le plan Douste-Blazy, épuisée avant même que les débats parlementaires arrivent à leur terme, l’opinion conclura à l’impuissance des syndicats, incapables d’obtenir le "retrait" du projet de loi sur EDF ou des modifications substantielles sur l’assurance-maladie. Mais le bilan est plus nuancé. Il s’agit en fait de semi-défaites.

En apparence, Bernard Thibault, engagé dans une mue réformiste qu’il a du mal à faire passer dans les actes, a perdu sur EDF. Au diapason de Frédéric Imbrecht, secrétaire général de la fédération CGT des mines et de l’énergie, il refusait toute "privatisation" de l’entreprise publique. Or celle-ci sera bel et bien transformée en société anonyme. La CGT ne l’a pas empêché. Elle a donc échoué.

Défaite en trompe-l’œil. En se gardant de cautionner ouvertement des méthodes comme celle utilisée le 7 juin - quand 500 000 usagers de la gare Saint-Lazare ont été pénalisés par une coupure de courant -, M. Thibault a affiché un esprit de responsabilité. A contrario, il a encouragé les "initiatives Robin des bois" - consistant à rétablir le courant aux plus démunis -, donnant le signal clair que la CGT ne plongerait pas la France dans le noir pour obtenir gain de cause. De facto, on a assisté à un deal entre M. Sarkozy et la CGT. Celle-ci sera associée à une commission qui jugera de l’opportunité d’une ouverture du capital. La part de l’Etat ne descendra pas au-dessous de 70 % et de nombreuses garanties ont été apportées tant pour les personnels (statut, effectifs, salaires, retraites) que pour l’avenir du nucléaire...

Le paradoxe est que, pour ne pas donner l’impression d’abandonner les agents d’EDF au secteur privé, la CGT, accusée de trahison à demi-mot par l’extrême gauche, n’a pas valorisé sa stratégie. M. Imbrecht ne l’a fait que le 1er juillet dans une interview à L’Humanité, titrée de manière un peu ambiguë : "Ce n’est pas la fin de l’histoire"... Evoquant ses discussions avec M. Sarkozy, M. Imbrecht s’en prend à "ceux qui ont une vision guerrière du dialogue social", et il ajoute : "Dès lors que la question du changement de statut n’est pas négociable, ni pour le gouvernement ni pour les syndicats, pourquoi nous serions-nous interdit d’avancer sur d’autres points ?" Le syndicaliste conclut avec humour sa leçon de réalisme en n’imaginant pas que M. Sarkozy... "se rase désormais tous les matins en sifflant L’Internationale".

Le même constat de semi-défaite peut être dressé pour la CFDT et FO à propos de la "Sécu". Les deux centrales, qui vont se retrouver en concurrence pour la présidence de la Caisse nationale d’assurance-maladie, ont dénoncé le projet ni concerté ni vraiment réformateur de M. Douste-Blazy. Mais chacune en a profité pour opérer un discret recentrage stratégique. Jean-Claude Mailly n’a pas voulu entraîner FO dans une série de mobilisations (faibles) à répétition, tournant le dos à des actions "saute-mouton" comme à ses propres zélateurs de la grève générale. M. Mailly, qui connaît bien ce dossier, a renoué avec une pratique réaliste et ramené sa centrale dans le jeu du paritarisme.

Echaudé par la sérieuse crise interne ouverte par sa caution apportée à la réforme des retraites, François Chérèque a trouvé un positionnement sur lequel se retrouvent plus facilement les militants de la CFDT. Soupçonnant M. Douste-Blazy d’avoir cherché à "instrumentaliser" les syndicats, il a reconnu dans son plan des velléités de réforme sur la gouvernance ou le dossier médical partagé.

Allié à la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), il s’est appuyé sur le discours cédétiste classique sur la solidarité pour s’opposer au gouvernement sur le financement, se trouvant moins éloigné sur ce point de la CGT que de FO. A mi-chemin entre l’ouverture et la contestation, M. Chérèque s’est repositionné sur un registre critique qui lui donne des marges de manœuvre tant en interne que par rapport aux autres syndicats, se rapprochant de l’UNSA.

"CHIFFON ROUGE"

Au lendemain de ces semi-défaites, les syndicats vont de nouveau s’interroger sur les stratégies leur permettant d’être plus efficaces dans un pays sous-syndicalisé. C’est le pourquoi et le comment de l’action syndicale : quelles pratiques mettre en œuvre pour obtenir des résultats, sans donner l’impression à l’opinion que le syndicalisme va de déroute en échec ? M. Thibault va s’attacher, à l’automne, à montrer l’utilité du syndicalisme dans une société où le lien social s’érode. M. Chérèque, qui aimerait que la CGT mène en son sein le même débat que la CFDT sur la notion de "compromis acceptable", va préciser, en octobre, le contenu qu’il souhaite donner au "réformisme syndical".

N’en déplaise à M. Raffarin et à ses illusions sur le rétablissement du pacte social, tous les syndicats préparent leur rentrée sur l’emploi. Une loi de mobilisation est en préparation pour le printemps 2005. Les négociations sur les restructurations avec le Medef reprennent à l’automne. Et une remise en cause des 35 heures, qui n’a fait l’objet avec la loi Fillon que d’une vingtaine de renégociations de branches, serait perçue par les syndicats - qui n’y croient pas - comme un "chiffon rouge", selon la formule de M. Mailly. De quoi souder, à défaut de pacte social, un pacte... syndical.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-373045,0.html

Messages

  • Pour Noblecourt et consors , un seul syndicat, une seule voie : celle du parti du MEDEF et d’un lobby des travailleurs, tel la CFDT, qui acceptera avec reconnaissance les miettes du festin des rois

    saurons nous, voulons nous résister, et nous battre pour défendre nos droiss, en conquérir de nouveaux, tels nos parents en espérant l’émancipation collective ?

    Là est la question.

    La réponse, elle, appartient à chacun-e d’entre nous : la lutte, ou la contemplation sont incompatibles, mais également porteuses de sens ;

    suivant la solution que nous choisirons, nous aurons façonné la société de demain

    Patrice Bardet