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Léon Schwartzenberg emporté par le cancer

Publie le mercredi 15 octobre 2003 par Open-Publishing

Défenseur de l’euthanasie, engagé aux côtés des sans-papiers, des sans logement... et éphémère ministre de la Santé, le plus célèbre des cancérologues français est décédé mardi à Villejuif.

Une grande gueule de la gauche et de la médecine a disparu ce matin. Le professeur Léon Schwartzenberg est mort mardi à l’âge de 79 ans à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), dans son propre service. Cancérologue, le très éphémère ministre délégué à la Santé du premier gouvernement Rocard (juin-juillet 1988) a succombé à la maladie à laquelle il avait consacré sa carrière, en n’hésitant pas à briser ses multiples tabous, comme celui de l’euthanasie, thème sur lequel il fut l’un des premiers à rompre le silence.

De -presque- toutes les manifestations, Léon Schwartzenberg était l’homme des bonnes causes et de tous les combats, jamais aussi à l’aise que lorsqu’il s’agissait de mettre la société face à ses contradictions. Une attitude qui l’avait amené à s’engager aux côtés de tous les « sans » : sans papiers, sans logis, sans travail...
Dès sa jeunesse, Léon Schwartzenberg a pu éprouver très intimement l’injustice et la violence du monde. Né le 2 décembre 1923 à Paris de parents juifs, il a à peine 20 ans lorsqu’il s’engage dans la résistance avec ses deux frères cadets.
Dénoncés, ses frères sont arrêtés et déportés en 1943 à Matthausen. Il apprendra leur mort à la Libération. En 1958, il devient médecin attaché au service d’hémobiologie de l’hôpital Saint-Louis à Paris, puis assistant d’hématologie à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif, en 1963. Il y accomplira toute sa carrière. En 1971, Schwartzenberg devient « patron ». Il est professeur agrégé de cancérologie à l’Institut de cancérologie et d’immunogénétique de Villejuif.

Spécialiste d’une « longue et douloureuse maladie », il est un des premiers à se battre pour une transparence totale dans l’information des malades. En 1977, il publie « Changer la Mort » (en collaboration avec le journaliste Pierre Vianson-Ponté) où il plaide en faveur de la vérité au malade, en toutes circonstances. En 1991, l’Ordre des médecins le suspend d’exercice pour un an, pour avoir révélé dans la presse en 1987 l’aide qu’il avait apportée à un malade incurable. En 1993, le Conseil d’Etat annule cette décision.
« Le mensonge, c’est la première mort du malade », avait-il l’habitude de dire.

Adepte du franc-parler, ce passionné d’ethique médicale accède dans les années 1980 à une notoriété dépassant largement le cadre de la médecine. Cet humanisme pour lequel il se bat dans l’exercice de sa profession, il va désormais le mettre au service de son autre passion, la politique. Il y rentre par la très grande porte en devenant en 1988 un des premiers ministres issus de la « société civile », dans le gouvernement de Michel Rocard. Record dans les annales de la République, il ne restera que huit jours à sa place (29 juin-7 juillet), juste le temps de provoquer deux gros tollés en proposant un dépistage systématique du sida chez les femmes enceintes et la distribution de drogue sous contrôle médical pour les grands malades que sont selon lui les toxicomanes.

Echaudé mais pas dégoûté par son expérience, ce grand médecin tâte à nouveau de la politique quelques mois plus tard. Il est député européen (1989-1994) élu sur la liste socialiste, puis chef de file de la liste « L’Europe commence à Sarajevo », initiée par André Glucksmann et Bernard Henri-Lévy, mais non soumise au vote en 1994. En 1992, il sera également brièvement conseiller régional des Alpes-Maritimes en prenant la tête de la liste Energie Sud de Bernard Tapie dans la région, avant d’être contraint par le Conseil d’Etat d’abandonner son mandat pour dépassement de frais de campagne.

Mais la politique, il la pratiqua surtout dans la rue où ses indignations d’écorché vif firent beaucoup pour tous les mouvements des « sans »... Présent lors de l’occupation emblématique de l’immeuble parisien de la rue du Dragon, en décembre 1994, Léon Schwartzenberg sera, en compagnie de Mgr Gaillot, à l’origine de la création de l’association « Droits devant ! », qui se bat pour l’établissement de nouveaux droits concernant le logement mais aussi le travail, la formation... L’ancien évêque d’Evreux fut d’ailleurs mardi matin le premier à réagir à l’annonce du décès de Schwartzenberg. « Je suis remué par l’annonce de sa mort. On a fait tant de manifestations ensemble, tant de luttes, a-t-il déclaré par téléphone à l’AFP. J’admirais cet homme courageux. Il a eu un beau parcours. C’était un ami, un homme très sensible. Il m’appelait "mon évêque préféré" », a ajouté Mgr Gaillot.

Les porte-paroles des sans-papiers et de l’association DAL (Droit au logement) lui ont également rendu hommage. « On est un peu orphelins, c’est un grand homme que l’on perd » a déclaré Romain Binazon, le porte-parole de la coordination nationale des sans-papiers.
Ces dernières années, Léon Schwartzenberg était plus discret mais avait rejoint le train de l’antimondialisation aux côtés de José Bové et de la gauche de la gauche. « A la mondialisation libérale des multinationales, répondons par l’Internationale des peuples », avait-il lancé lors d’une réunion de soutien au leader de la confédération paysanne à Millau. Il avait également apporté son soutien à Olivier Besançenot lors de la dernière élection présidentielle. Ses obsèques devraient avoir lieu vendredi après-midi au cimetière du Montparnasse.

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