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Les intermittents ont réussi leur grève de rentrée

Publie le vendredi 5 septembre 2003 par Open-Publishing

Les intermittents du spectacle ont manifesté dans toute la France, jeudi 4 septembre, à l’appel des coordinations et de la CGT pour dénoncer la réforme de leur régime d’assurance-chômage qui doit entrer en vigueur en 2004.

"La culture trop chère ? Essayez l’ignorance", "Aillagon au violon", "Nous sommes faits de l’étoffe des rêves" : plusieurs milliers d’artistes et de techniciens (4 500 selon la police, 8 000 à 10 000 selon les organisateurs) ont défilé à Paris, jeudi 4 septembre, du siège du Medef avenue Bosquet (7e) à la place du Palais-Royal, devant le ministère de la culture (où Jean-Jacque Aillagon présidait le Conseil national des professions de spectacle), à l’appel de la CGT et des coordinations. Ils demandaient le retrait de l’accord signé le 26 juin, modifiant le régime de l’assurance-chômage des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel.

"Les Assedic sont un acquis social, estime Claire Thiébaud, ingénieur du son et illustratrice sonore pour des compagnies de danse et de théâtre. Nous sommes là pour essayer que ce gouvernement entende la voix de la rue." Un orchestre de variétés est venu des Ardennes : "On joue dans les bals et les fêtes de village. Tout l’été, on a expliqué aux spectateurs le problème des intermittents. Dans ces petits villages, où c’est souvent le seul événement culturel de l’année, on a toujours été bien reçu", assure Christine Zammit.

Des choristes et des musiciens des Arts florissants, la formation de musique baroque dirigée par William Christie, ont interrompu leurs répétitions pour défiler, avec leurs instruments. "Les formations de musique baroque fonctionnent grâce à l’intermittence, estime l’altiste Jean-Luc Thonnerieux. C’est ce qu’on explique au public, qui s’est toujours montré bienveillant à notre égard." Le cinéaste Jean-Michel Carré, auteur de Visiblement je vous aime, se sent concerné à la fois comme réalisateur et comme producteur de films : "Quelle est la place de la culture aujourd’hui en France ? Les télévisions passent de plus en plus de films de divertissements. Les documentaires sont programmés tard dans la nuit. Il faut éviter que le rouleau compresseur actuel mette toute la profession en situation de précarité." Après la manifestation, des intermittents parisiens ont perturbé "Les guignols de l’info" de Canal+ : l’émission en direct a été remplacée par une rediffusion.

Plusieurs manifestations ont eu lieu dans les grandes villes de province. A Perpignan, le siège local du Medef était occupé. A Montpellier, au théâtre des Treize-Vents, le personnel s’est prononcé le 2 septembre pour une suspension de l’ouverture de la saison (prévue pour le 24 septembre) si le gouvernement n’instaurait pas un moratoire sur l’application du protocole. Les intermittents de la ville, sous la houlette du collectif Culturendanger, ont occupé la direction régionale des affaires culturelles, où ils ont été reçus pour des "discussions de travail". La directrice du centre chorégraphique de Montpellier, Mathilde Monnier se dit assez proche des metteurs en scène qui, en dernier recours, envisagent démissionner. "Je pense qu’il s’agit d’une position collective et individuelle forte, dans la mesure où elle ne prend personne en otage. On ne se comprend plus avec ce gouvernement, surtout quand j’entends parler de devoir de réserve sous prétexte qu’on crée avec l’argent de l’Etat. Tout le monde reçoit de l’argent de l’Etat, faut-il se taire pour autant ?"

"LIEUX CONDAMNÉS"

A Marseille, sur le thème "Sonnons l’alarme", 200 manifestants se sont regroupés sur la Canebière, devant l’espace Culture, pour un "réveil" en fanfare. Dans la nuit, les façades de trois théâtres - La Criée, Le Gymnase et Les Bernardines - avaient été badigeonnées au blanc d’Espagne de slogans : "Intermittents à vendre" ou "Vive les intermittents !". De grandes croix blanches couvraient les annonces des spectacles actuellement à l’affiche, "ces lieux étant symboliquement condamnés", selon un porte-parole du Comité de lutte des travailleurs du spectacle et de l’audiovisuel-13. Les manifestants se sont ensuite rendus à la direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, dont le hall a été investi durant deux heures. Les murs du bâtiment ont été couverts d’affichettes : "Tous les soirs à 20 heures, le Medef vous parle."

A l’issue d’un dialogue avec le directeur régional de l’emploi, auquel les intermittents ont demandé d’envoyer un fax à François Fillon, les manifestants réunis en assemblée générale sont allés apporter un soutien aux caissières et manutentionnaires de l’hypermarché Carrefour-Le Merlan, en grève depuis le lundi 1er septembre. Un tract reproduisant des extraits des Ecrits corsaires de Pier Paolo Pasolini a été distribué tout au long de cette journée qui s’est achevée sur le Vieux-Port, devant la mairie. A 19 h 30, les manifestants ont poussé le désormais traditionnel cri, d’une durée de trois minutes, avant de servir un apéritif destiné à "une reprise du contact avec les troupes".

A Strasbourg, quelque 150 intermittents et sympathisants ont défilé derrière une banderole proclamant : "La culture est une arme de construction massive".

A Limoges (Haute-Vienne), une centaine d’intermittents ont manifesté dans les rues avant d’occuper le Grand Théâtre tandis qu’à Lyon, plusieurs centaines de manifestants scandaient : "Eteignez la télé, allumez le Medef." La Coordination lyonnaise a déployé rue de la République, la grande rue piétonne de Lyon, une banderole d’une centaine de mètres où les passants étaient invités à "écrire leur révolte". Le 14 septembre doivent par ailleurs être annoncées la création d’un Syndicat national des compagnies (de spectacle vivant) et une manifestation "Scènes en lutte et solidaires", qui présentera en octobre dans la région des spectacles annulés cet été pour cause de grève.

A Nantes, les directeurs des principales salles de spectacle de Loire-Atlantique, dont Jean Blaise, le directeur de la scène nationale du Lieu Unique (LU), ont proposé une "semaine de mobilisation sans spectacle".

L’OPÉRA N’A "RIEN À DIRE"

A l’Opéra de Paris, où la fin de saison 2002-2003 a connu une dizaine d’annulations de spectacles, la rentrée s’annonce pour le moins incertaine. Sollicité par téléphone, Hugues Gall, le directeur, a fait savoir qu’il n’avait rien à dire sur le dossier des intermittents et que cela ne le concernait pas. Une déclaration qui a soulevé l’indignation des salariés de cette structure qui est, selon le responsable CGT, Marc Adenot, "en tête des entreprises de spectacle vivant pour l’utilisation abusive des emplois intermittents".

Les intermittents hésitent cependant sur les modes d’actions des semaines et des mois à venir. "Beaucoup ont déjà perdu énormément d’argent dans ce conflit et les titulaires ne se mettent en grève que si les intermittents le font, poursuit Marc Adenot. C’est pourquoi nous n’avons déposé aucun préavis de grève pour le 8 septembre, jour de la reprise de la saison avec Tosca, car nous ignorions si le personnel suivrait." Il en sera tout autrement pour Les Indes galantes, une œuvre dirigée par William Christie. La répétition des Arts florissants prévue le 4 septembre dans l’après-midi a été reportée pour cause de grève. "Une demande a d’ores et déjà été faite par le personnel, conclut Marc Adenot. Un préavis de grève sera déposé dans les jours qui viennent pour la première du 13 septembre."

Catherine Bédarida (avec nos correspondants)

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