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Les intermittents sur un nouvel élan

Publie le vendredi 5 septembre 2003 par Open-Publishing

Succès des manifestations d’hier partout en France.

Les intermittents, pour leur première manifestation de la rentrée, se sont donné rendez-vous face aux nouveaux locaux du Medef, avenue Bosquet dans le VIIe à Paris. Les CRS aussi : ils bloquent l’artère et les rues adjacentes, obligeant les nouveaux venus à un gymkhana diabolique pour rejoindre le cortège. Le quartier de l’Ecole militaire est bouclé. 7 000 à 10 000 personnes (4 500 selon la police) ont répondu à l’appel de la CGT spectacle et de la coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France. Dans les cafés pris d’assaut, on joue du violon et de la trompette, on déclame et on proclame. Les applaudissements fusent et les serveurs sont au bord de la crise de nerfs.

Au même moment, rue de Valois, Jean-Jacques Aillagon ouvre la réunion du conseil national des professions du spectacle.ÊS’ils n’ont pas joué pendant l’été, comédiens et techniciens ont au moins appris à marcher au pas et à animer des manifestations. Il faut de l’endurance et des bonnes chaussures, du coffre et de l’imagination. Dès 15 h 30, la vague de grévistes prend la direction du Palais-Royal, via le boulevard des Invalides. Le cortège s’étend sur des centaines de mètres. Seuls quelques rares slogans troublent le silence pesant qui domine l’avenue. On est loin des manifestations d’Avignon où l’on se couchait par terre, et des rassemblements spontanés qui ont rythmé l’été parisien. Les intermittents sont dans la rue, à l’ancienne. Une sono diffuse un vieux Bob Marley et l’assemblée somnole un peu.

Etonnement. Au micro, on égrène les actions menées en province : manifestation à Rennes, théâtres en grève, débrayages sur les tournages de films, Drac prise d’assaut à Montpellier. On vilipende Bartabas, Ariane Mnouchkine, et Patrice Chéreau qui, le matin même sur France Inter, a persisté et signé, estimant que « le nouvel accord était une victoire sur le libéralisme ». Dans les rangs, on s’interroge sur la rentrée théâtrale, et sur les pressions que subissent les directeurs de scènes nationales et de centre dramatique pour qu’ils participent aux Assises du spectacle vivant souhaitées par Aillagon (lire ci-contre).

En régions, là où de nombreux mouvements ont démarré pour aboutir pour certains à l’annulation des festivals d’été, on n’en revient pas de cette mobilisation sans précédent. Que toutes les institutions se retrouvent autour d’une table avec les non-institutionnels, qu’elles soient représentées dans les manifestations est peu courant. A Lyon, ce matin à 11 h 30, toutes les structures de la région Rhône-Alpes, pour la plupart alignées sur la position du Syndeac (syndicat regroupant la plupart des directeurs de théâtre public) pour un moratoire à l’application de la réforme, se réunissent au bar vidéo de la Maison de la danse avec les délégations des intermittents.

Une semaine morte. A Angers, une cinquantaine de troupes, institutions et programmateurs des Pays de la Loire se sont regroupés le 2 septembre. Suite à cette réunion, le 3, 25 directeurs des structures des agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire ont proposé une semaine morte « de mobilisation, sans spectacle, en mettant à disposition les espaces pour le dialogue entre professionnels et public ».

Le Lieu unique de Nantes est plus radical encore. Il estime qu’il faut soutenir le combat des intermittents « jusqu’à l’abrogation de l’accord du 26 juin agréé par le gouvernement ». L’équipe a décidé par 28 voix contre 6 de ne pas ouvrir la saison, de reporter les spectacles, les expositions et toutes les activités pour mettre le lieu à disposition des intermittents de la région afin « qu’ils présentent leurs spectacles au public pour sauvegarder leur droit de survivre », et pour ouvrir des espaces de discussion avec la population. Au théâtre des Treize Vents à Montpellier, un des lieux phares du mouvement, le personnel a voté majoritairement (26 sur 33) pour la non-ouverture de la saison, jugeant que « dans l’attente du moratoire, et face aux menaces qui pèsent sur la profession, les conditions normales de l’exercice de nos métiers ne sont pas réunies ». Dès l’obtention du moratoire, l’équipe est prête à reprendre son activité. En attendant, le théâtre est ouvert aux actions et au public.

Face à la pyramide du Louvre, les manifestants reprennent leur souffle. La police laisse les grévistes rejoindre la place du Palais-Royal. « On avance, on a la permission. Bientôt on ne la demandera plus », tonne un animateur au micro, tandis que les touristes japonais regardent passer le défilé comme d’autres le Tour de France. « On est nombreux, c’est une vraie réussite, dit un comédien, banderole à la main. Il faut une grande manifestation avec les professeurs et les infirmières, tous ensemble fin septembre. »

Un grand cri. Aux abords de la rue de Valois, tenue comme pour un siège par les forces de l’ordre derrière les grillages, on lance un grand cri : « Pas d’Assises du spectacle sans le retrait du protocole ! » Une petite équipe se forme spontanément et part rejoindre les studios de la SFP, à Saint-Cloud, pour bloquer l’enregistrement d’Envoyé spécial (France 2).

Au ministère de la Culture, Jean-Jacques Aillagon tient une conférence de presse. Les assises « pourraient se dérouler sur deux jours dans la deuxième quinzaine de janvier ». Avec pour objectif de parvenir à « un diagnostic partagé par les élus et les professionnels sur l’état des politiques publiques et les enjeux pour l’avenir du spectacle vivant ». Bernard Latarjet, le président du Parc de la Villette, est chargé de piloter leur préparation (lire ci-contre). Une « loi en faveur du spectacle vivant pourrait ensuite être proposée ». Du moratoire réclamé par les manifestants, il n’est pas question. Une conciliation est-elle encore possible ? Les jours qui viennent le diront, quand les figures phares du monde du spectacle se prononceront pour ou contre les assises.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=134957