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Je vous soumets le papier de Paul Villach, écrivain-enseignant (34 années dans le secondaire et le supérieur), décortiquant la prestation de M. Mitterrand sur TF1. Cette analyse de la prestation de notre ministre me sied. Elle démonte les mécaniques que Frédéric Mitterrand emploient pour jouer les victimes, provoquer la compassion et jeter un écran de fumée. Une démolition méthodique des simplifications et amalgames du pitoyable plaidoyer télévisuel de notre ministre. Paul Villach, fait acte d’une extrême honnêteté intellectuelle, loin des foules grégaires qui réclament la tête du pêcheur. Loin de lui l’idée de crier avec les loups et de ne prendre que ce qui l’intéresse afin de manipuler les écrits d’un auteur.
Les leurres du Ministre Mitterrand pour tenter de se sortir d’une mauvaise passe
Il faut avouer que « la comparution » sur TF1 à laquelle le ministre de la Culture, F. Mitterrand, a dû se résigner, jeudi 8 octobre 2009, n’était pas simple. Elle était d’abord des plus humiliantes. Il lui fallait répondre d’accusations honteuses de tourisme sexuel en Thaïlande, voire, selon certains accusateurs, de pédophilie, déduites d’un chapitre de son livre, paru en 2005, intitulé « La mauvaise vie », paru chez Laffont. Il est vrai que les pages incriminées qu’on a pu lire dans Le Monde.fr de jeudi 8 octobre, pouvaient prêter à confusion.
Aussi est-il d’autant plus intéressant d’observer les procédés d’expression ou les leurres que l’auteur a mobilisés pour tenter de se sortir de cette mauvaise passe.
Puisque c’était le genre qui créait le malaise, on aurait attendu que l’auteur le clarifiât. Il ne l’a pas fait et on le comprend. Il ne fallait pas livrer à l’adversaire l’aveu d’une autobiographie qu’a tenté d’entrée de lui arracher la présentatrice : cela revenait à donner la seule pièce à conviction attendue. Mais prétendre qu’il ne s’agissait que de fiction, c’était s’exposer à l’incrédulité en raison de la précision de certaines scènes : « Il y a des descriptions qui sont rudes, » reconnaît l’auteur avec raison.
Il a donc continué à cultiver l’ambiguïté volontaire qui existe depuis la parution du livre. Est-ce une fiction ou une autobiographie ? « Sur la couverture, dit-il, il n’y a rien de marqué. Ce n’est ni un roman ni des mémoires.. J’ai préféré laisser les choses dans le vague. » La part autobiographique n’est pas niée pour autant : « C’est un récit, admet-il, mais j’ai préféré ne pas mettre un récit parce que pour moi c’est un tract, c’est-à-dire que c’est une manière de raconter une vie qui ressemble effectivement beaucoup à la mienne, mais qui ressemble aussi à la vie de beaucoup d’autres gens ». « Ce n’est pas un récit totalement autobiographique, dit-il encore, vous l’avez bien noté, il n’y a rien marqué dessus ».
La même ambiguïté subsiste, du reste, par l’emploi répété du mot « garçon » et non de celui d’ « homme » : « Oui, j’ai eu des relations avec des garçons, reconnaît-il, on le sait, je ne le cache pas ». Peut-être, dans ce milieu particulier, le mot « garçon » a-t-il le même sens que celui de « fille » pour parler d’un(e) prostituée sans pour autant faire référence à un mineur. Un non-initié, on l’admettra, peut se méprendre.
La théorie formaliste à la mode enseigne, en effet, qu’il faut distinguer « l’auteur », être social de chair et d’os qui écrit, et « le narrateur », une sorte de fantôme réputé « assumer la charge du récit ». Car, paraît-il, on ne saurait attribuer à l’auteur les faits et gestes de ses personnages. Le malheur est que Flaubert qui s’y connaît en roman, a clairement prévenu que « Mme Bovary, (c’était lui) ! », et qu’ en cas de diffamation, les juges ont montré que ce dédoublement imaginaire était nul et non avenu en condamnant chaque fois non pas le narrateur, cet ectoplasme qui n’existe pas, mais l’auteur qui lui existe bel et bien et ne peut fuir ses responsabilités.
2- La qualité artistique du livre
Simultanément, on le voit, M. Mitterrand a insisté sur la qualité de son livre, pensant que son excellence artistique reconnue lui vaudrait excuse, sinon absolution. Il use à cette fin de trois leurres.
b- M. Mitterrand recourt ensuite au leurre de l’argument d’autorité. On l’a déjà perçu dans l’opinion favorable du Premier Ministre qu’il a tenu à rapporter. Cette fois, il souligne qu’ « à sa sortie (son livre) a été bien accueilli par la critique ». Or, on sait ce que vaut la critique du milieu littéraire parisien depuis la charge de Romain Gary dans « Vie et mort d’Émile Ajar » (Gallimard, 1981) : il n’y voit que « coteries, cliques à claques, copinages, renvois d’ascenseurs, dettes remboursées ou comptes réglés. » Et la manière dont il l’a roulée avec « La vie devant soi », un roman publié en 1975 sous le pseudonyme d’Émile Ajar, et qui lui a valu un second Prix Goncourt - ce qui réglementairement n’est pas possible - lui donne quelque crédit.
- À quoi ? demande la présentatrice.
- Je pense à mon honneur, à ma famille, à mes enfants, à ma mère. Je ne voudrais pas faire de plaidoyer pro domo comme ça. Je pense à tout cela, dit-il d’une voix chantante. Forcément je suis ému, ce sont des choses qui sont importantes. »
2- Il peut ainsi insister de trois manières sur l’injustice dont il se dit victime.
a- L’une est de faire ressortir la contradiction entre l’image négative qu’on veut donner de lui et celle si positive, insinue-t-il, que les téléspectateurs auraient de lui par sa notoriété d’ homme de télévision : « Beaucoup de Français me connaissent, observe-t-il, ils m’ont vu à la télévision ». Le verbe « connaître » est ici une hyperbole audacieuse : peut-on soutenir que l’on connaît quelqu’un pour l’avoir vu à la télévision ? La preuve ? Quel téléspectateur aurait soupçonné, à ses célébrations de stars et de princesses dans ses émissions, que M. Mitterrand avait pratiqué le tourisme sexuel en Thaïlande ?
b- Une deuxième façon consiste à stimuler le réflexe de condamnation de l’homophobie, en dénonçant chez ses détracteurs l’amalgame entre homosexualité et pédophilie. Il commence piano par périphrase et euphémisme dans une posture de recueillement où il contemple ses mains sur le pupitre la tête de côté, en soutenant que son livre raconte « une vie qui ressemble effectivement beaucoup à (la sienne), mais qui ressemble aussi à la vie de beaucoup d’autres gens qui ont vécu durant leur existence avec une certaine douleur, une certaine difficulté à expliquer qu’ils étaient différents. » Puis il y revient, cette fois avec une grande véhémence et la clarté de la propriété des termes : « Oui, s’écrie-t-il, j’ai eu des relations avec des garçons, on le sait, je ne le cache pas, mais il ne faudrait pas confondre, il ne faudrait pas confondre - ou alors on serait revenu à l’âge de pierre - l’homosexualité et la pédophilie et si vous lisez le livre bien clairement, je pense que c’est tout à fait évident. »
c- Une troisième manière de souligner l’injustice qui le frappe est, pour obtenir leur indulgence, de stimuler chez ses auditeurs les réflexes propres au fond de culture chrétienne pouvant subsister en eux et qui valorise la pénitence et le non-jugement des autres.
- Il se présente comme le pécheur repenti ; il fait acte de contrition. Après n’avoir d’abord concédé qu’ « une erreur », et « non un crime » ni « même une faute », il admet « avec le temps (avoir fait) une faute contre l’idée de la dignité humaine et (il) pense qu’il faut se refuser absolument à ce genre d’échanges. ». Il reconnaît « (s’être) fait honte ». Mais c’est pour célébrer sa victoire sur lui-même et les forces du mal : « Ce qui est important, dit-il, c’est la manière dont on surmonte ce genre de situation, dont on en sort. Le livre que j’ai écrit est celui de quelqu’un qui sort, qui sublime un certains nombre de situations difficiles. » On connaît la parole évangélique promettant plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de pénitence.
- Il se réfère ensuite à un second précepte évangélique qui commande de ne pas juger autrui : il reprend les mots même de l’admonestation du Christ aux accusateurs de la femme adultère : « Que vienne me jeter la première pierre, s’écrie-t-il, celui qui n’a pas commis ce genre d’erreur. Parmi tous les gens qui nous regardent ce soir, quel est celui qui n’aurait pas commis ce genre d’erreur au moins une fois dans sa vie ? » M. Mitterrand a de ses auditeurs une bien singulière représentation pour leur prêter à tous la même fascination qu’a exercé sur lui le tourisme sexuel. Quel culot !
3- Les rôles de procureur et de prédicateur
Le paradoxe est qu’il en profite aussitôt pour, dans un amalgame inattendu, opérer dans la distribution manichéenne instaurée un soudain renversement des rôles qui ne manque pas d’audace : d’accusé il devient accusateur puis prescripteur.
1- La retenue, l’indulgence, voire la mansuétude, qu’ en victime, il vient d’exiger de ses accusateurs, n’est alors plus de mise quand il se met à son tour à les accuser. S’il se refuse à démissionner, c’est, fulmine-t-il, « (pour ne pas rajouter) l’indignité à l’injustice du traitement qui m’est fait par des gens dont je peux comprendre le ressentiment comme Marine Le Pen et par d’autres dont je ne peux absolument pas comprendre l’aveuglement et peut-être même le désir de rancune, de vengeance comme certains élus socialistes. Et toutes les personnes qui m’accusent de ce genre de chose devraient avoir honte de faire une chose pareille. Et toutes les personnes qui font cela, ce sont des personnes qui font l’amalgame constamment qui est le premier stade de la calomnie et de l’injustice. C’est tout ! » Sans doute a-t-il raison de dénoncer l’amalgame entre homosexualité et pédophilie. Mais on ne voit pas où il y en a un à propos du tourisme sexuel en Thaïlande.
2- M. Mitterrand se permet même de se présenter en prescripteur de morale : son « livre, soutient-il, est un livre moral ». Il use du leurre de la vaccine à cette fin. Comme le vaccin qui inocule des germes inactivés pour susciter des anticorps, le leurre de la vaccine consiste à reconnaître un peu de mal pour faire admettre ensuite un grand bien. M. Mitterrand admet « (avoir) eu des relations avec des garçons (…) (il) ne le cache pas. » « (Il) pense (même), a-t-on vu plus haut, (qu’il a) fait une faute contre l’idée de la dignité humaine ». Mais c’est pour prétendre avoir désormais quelque titre à grimper à la tribune ou en chaire pour distribuer des conseils autorisés : « Il faut, déclare-t-il, se refuser absolument à ce genre d’échanges. » « Je condamne absolument le tourisme sexuel qui est une honte. Je condamne la pédophilie à laquelle je n’ai jamais participé d’aucune manière. » Seulement, n’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? Un repenti peut-il prétendre aussi vite jouer au procureur et au prédicateur sans prêter à sourire ?
Les leurres mobilisés montrent comme est fragile, voire peu convaincante, la défense de M. Mitterrand qui, pour finir, ne se fonde que sur des allégations. Il demande à être cru sur paroles. Il est vrai que ses propres écrits retournés contre lui le plaçaient dans une position inconfortable. Le principe fondamental de la relation d’information, en effet, selon lequel nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire, a pour corollaire qu’on ne croit volontiers que les aveux à charge qu’une personne peut faire contre elle-même. Quant à ses protestations vertueuses, on en doute. On doit, cependant, savoir gré à M. Mitterrand de n’avoir pas agi comme son oncle François qui prétendait effrontément, en 1993, à des journalistes belges qui l’interrogeaient, ne même pas savoir comment était faite une écoute téléphonique : il n’en avait jamais vu ! La condamnation par la Cour de Cassation des responsables des « écoutes téléphoniques de l’Élysée » a fait justice de ce mensonge éhonté, le 30 septembre 2008. Le neveu n’a pas, lui au moins, prétendu tout ignorer du tourisme sexuel en Thaïlande. Il reste pour son avenir ministériel qu’un ministre est un peu comme la femme de César, lequel justifiait son divorce par un simple soupçon d’infidélité, car, disait-il, elle ne devait pas même être soupçonnée ! Paul Villach
(1) « expériences présumées de tourisme sexuel », dit la présentatrice ignorante : un exemple de plus d’utilisation fautive de l’adjectif « présumé » qui signifie « considéré comme avant tout examen » et porte atteinte à la présomption d’innocence.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-leurres-du-ministre-mitterrand-63058




