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Les pressions s’accentuent sur la Bolivie de Morales
Publie le dimanche 15 octobre 2006 par Open-PublishingLa Paz . La « guerre de l’étain » entre mineurs (16 morts), le conflit avec le Brésil sur la question de l’énergie et la crise constitutionnelle fragilisent les autorités boliviennes.
de Gérard Devienne Buenos-Aires (Argentine)
La violence sociale qui semble être une marque déposée en Bolivie, vient de prendre un tour à la fois inattendu et dramatique. Les événements, qui se sont soldés, il y a une semaine, par 16 morts et des dizaines de blessés sont le fait d’affrontements entre mineurs à Huanuni dans le district d’Oruro : les combats à la dynamite ont opposé les ouvriers de l’entreprise d’État Comibol exploitant l’étain de Cerro Posokoni et des « coopérativistes » qui tentaient de s’emparer de la mine.
Le métal maudit, source de conflits
Posokoni possède, avec 950 milliards de tonnes évaluées à 4 milliards de dollars, une des réserves les plus importantes du continent. Le prix de la tonne d’étain - de 4 890 dollars en 2003 à 7 385 aujourd’hui - fait de Huanuni, qui produit 500 tonnes par mois exporté essentiellement en Chine, un nouvel eldorado.
Le gouvernement d’Evo Morales a entrepris depuis son avènement en début d’année, de renationaliser les ressources naturelles, gaz, - pétrole, minerais. Dans ce dernier secteur, travaillent 63 000 mineurs, dont 80 % appartiennent aux « coopératives » créées en 1985, au moment de l’effondrement des cours mondiaux de l’étain. 20 000 mineurs furent alors licenciés par le gouvernement libéral de Victor Paz Estenssoro, mineurs ayant forgé leur propre légende pour avoir été à la pointe de toutes les avancées sociales et les résistances populaires depuis la révolution de 1952. Nombre d’entre eux se constituèrent alors en « coopératives », de fait de mini-entreprises gérées par des dirigeants issus du milieu syndical, qui se transformèrent, de fait, en patrons exploitants adultes et enfants, dans des conditions excluant toute sécurité. Les quelque 4 000 « coopérativistes » (face à 1 000 mineurs employés de l’État) qui ont gagné au fil du temps le surnom de « déprédateurs » travaillent les filons les moins riches de Cerro Posokoni et prétendent prendre par la force ceux que possède Comibol, comme ce fut le cas ailleurs, entre 2003 et 2005 durant le gouvernement intérimaire de Carlos Mesa.
Le calme revenu, grâce notamment à la médiation de l’Église, Evo Morales, qui a parlé de « conspiration interne et externe contre la démocratie », a remplacé le ministre des Mines, Walter Villarroel, « coopérativiste » nommé à son poste à la suite de l’accord passé entre la Fédération nationale des coopératives minières (Fencomin) et le Mas (Mouvement vers le socialisme), par José Guillermo Dalence, un ex-dirigeant syndical des mines. En riposte, les « coopératives » ont rompu leur alliance avec le gouvernement, leurs dirigeants demandant à leurs représentants de quitter le MAS ou leurs fonctions au sein des institutions de l’État.
La nationalisation des hydrocarbures et des mines, forme le coeur de la politique d’un gouvernement issu des révoltes populaires des dernières années. Evo Morales est accusé d’avoir voulu ménager, dans le cas de l’étain, deux secteurs antagonistes qui ont soutenu son élection. Cet épisode s’ajoute à la crise constitutionnelle qui agite le pays depuis juillet dernier. L’Assemblée constituante chargée de la rédaction de la Carta Magna, la nouvelle constitution, empêtrée dans les arguties réglementaires dressées par Podemos représentant l’opposition libérale, peine à légiférer, notamment concernant les nationalisations. Ne possédant pas la majorité des deux tiers requis, le MAS et ses alliés de gauche ont décidé, de fixer le seuil à 50 %, malgré les hauts cris de la droite, criant au « coup d’État » et dénonçant « une dictature indigéniste radicale » dérivant vers un « système totalitaire sur le mode de Cuba ou du Venezuela.
La pression de la Centrale ouvrière bolivienne (COB), appelant à la nationalisation complète après expropriation des entreprises privées à capitaux étrangers reste forte, tout comme celle de la majorité de la population. La cote de popularité de Evo Morales est en chute libre de 80 % en mai dernier à 52 % ; et trois quarts des sondés pensent que la Constituante ne parviendra pas à établir la Carta Magna dans le délai prévu d’un an.
Sur le plan extérieur, les nationalisations représentent une pomme de discorde entre les deux gouvernements amis d’Evo Morales et Lula Da Silva. La nationalisation pure et simple prévue initialement, menaçant les intérêts de l’entreprise brésilienne Petrobras, principal opérateur dans le secteur du raffinage et du commerce des hydrocarbures, a valu un rappel à l’ordre du mandataire brésilien. La mesure est suspendue, après avoir coûté son poste au ministre de tutelle, pour faute de « recours financiers suffisants » de la part de l’entreprise nationale bolivienne YPFB. Le Brésil, après avoir fermement réagi, joue la carte de bon voisinage.
Pour nombre de Boliviens, cette escarmouche, aggravée par les conflits de l’étain, marque un frein au programme de récupération des ressources naturelles et démontre la fragilité de la coalition gouvernementale. Et une possible source de conflits que ne manqueraient pas d’alimenter les discours de la droite et une partie de la presse que le président taxe de « premier parti d’opposition ».
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-10-13/2006-10-13-838575