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Les prochaines victimes des « subprime » se profilent déjà

Publie le dimanche 3 février 2008 par Open-Publishing

Les prochaines victimes des « subprime » se profilent déjà

Analyse.Emmanuel Garessus
Mercredi 30 janvier 2008

Le niveau des pertes des banques dans l’immobilier américain et leur distribution dans le monde restent incertains. Et pourtant de nouvelles interrogations émergent sur la propagation du virus financier. D’où peuvent encore venir d’éventuelles mauvaises surprises ? Et à quel niveau d’activité et de bénéfice, les banques navigueront une fois qu’elles auront réduit la voilure ?

En parallèle à l’analyse de la crise bancaire, l’économie réelle fait ses comptes. Quel sera l’effet de la baisse des prix immobiliers sur la consommation ? La facture porte un nom. C’est l’effet de richesse. Chacun suppose que le montant sera douloureux, mais un gouffre sépare le sens commun et les analyses des académiciens.

Les économistes s’entendent pour affirmer qu’une hausse de 1 dollar de la valeur d’une maison génère 9 cents de consommation. Et dans le cas d’une baisse de richesse, l’effet serait moindre qu’à la hausse. La crise américaine met ce modèle à l’épreuve. La valeur des maisons américaines atteint cinq fois celle du PIB. Si leur prix s’accroît de 10%, cela dégage un pouvoir d’achat et de crédit équivalent à 50% du PIB, selon le gérant zougois Felix Zulauf.

Si l’immobilier américain dégringole, il serait étonnant que la consommation soit immunisée et qu’une récession soit évitée. Les banquiers centraux sont d’ailleurs plus sensibles aux variations des actifs financiers qu’ils ne le prétendent. Et ils n’ont sans doute pas tort de redouter l’effet multiplicateur des variations de richesse.

Les prix de l’immobilier ont baissé de 7%, mais ils devraient reculer d’encore 24% pour redescendre à leur niveau d’avant la bulle, selon une étude de GMO.

On perçoit l’étendue des difficultés à venir pour le PIB américain. On s’aperçoit surtout que la crise du « subprime », les hypothèques de piètre qualité, ne représente que le sommet de l’iceberg. Celui-ci a au moins un coût assez précis, entre 300 et 500 milliards de dollars, soit 2 à 4% du PIB américain, ou encore le double de la crise des caisses d’épargne de 1991.

Car si l’orage du « subprime » est circonscrit, c’est l’explosion de la titrisation dans son ensemble qui préoccupe, un processus de transformation des hypothèques et de leur revente dont l’ampleur et la complexité ont été démentielles. Les acteurs de la titrisation et leurs chefs n’ont pas compris les risques encourus, ni les corrélations entre eux.

De facto, la titrisation a changé la face du système bancaire. Entre 1947 et 1997, la part des bénéfices bancaires au PIB était stable, à 0,75% du PIB. Subitement, elle a triplé en une décennie. Le symbole du dérapage incontrôlé porte un nom, le « CDO », lequel titrise les hypothèques et les recombine. La banque allemande Hypo Real Estate a eu besoin d’évaluer 600 obligations pour connaître la valeur de ses 40 CDO. Ce processus a clairement dépassé ses mérites théoriques de transfert et de diversification du risque.

La question est de savoir à quel niveau retomberont les bénéfices bancaires une fois que l’éruption de mauvaises nouvelles aura fini de déverser ses cendres mortelles. Et lorsque la titrisation sera redevenue raisonnable. Selon Ben Inker, l’expert de GMO, les profits financiers normaux se situeront à 1,2% du PIB. C’est la moitié de leur récent sommet. Le nombre d’établissements bancaires et d’emplois va donc se rétrécir.

L’Europe financière fait triste mine dans cette crise américaine, à l’image de UBS et maintenant de la Société Générale. Pourtant, ni l’ouragan Kerviel et ses 4,9 milliards de pertes de trading, ni les 2 milliards d’amortissements liés aux CDO et aux assureurs d’obligation ne marquent la fin du cauchemar. La banque française a encore un portefeuille de 4,9 milliards d’euros de CDO et 4,3 milliards liés aux assureurs d’obligations.

D’où viendra la prochaine déception ? D’Allemagne ? C’est un candidat sérieux. Deutsche Bank, son champion national, a bien géré le virage des « subprime ». Comme Goldman Sachs, elle profite de positions à la baisse pour un montant de 1 milliard. Mais la deuxième banque allemande, Commerzbank, détient encore 12 milliards en dérivés sur des crédits. Certains pensent qu’elle amortira encore 800 millions d’euros au 4e trimestre.

Les secousses les plus médiatiques pourraient venir des Landesbanken. Le paysage de ces banques d’Etat et d’associations régionales est en pleine recomposition. LBBW et WestLB ont annoncé des milliards de pertes. Les futurs candidats aux pertes seraient HSH Nordbank, Bayern LB et NordLB, selon le courtier Kepler. Il estime que de douze, leur nombre sera réduit de moitié.

Postbank, propriété de la Poste allemande, s’est également égarée. Elle a encore 6,3 milliards d’euros de dérivés de crédit, dont 2,6 milliards en CDO américains. Et jusqu’ici elle n’a amorti que 1% du portefeuille. Attention aux résultats 2007 ! Ses fonds propres (« core tier one » selon Bâle I) seraient inférieurs à 4% du bilan, et les analystes pensent qu’elle devra encore amortir au 4e trimestre. Son président évoque la vente de 50,1% du capital, mais personne n’est dupe. Qui achètera une banque avec une épée de Damoclès de 6,3 milliards au-dessus de sa tête ? Pendant ce temps, IKB, au demeurant spécialisée dans le financement de crédits aux entreprises allemandes, a plongé dans les « subprime ». Elle est désespérément à la recherche d’un acheteur.

L’un des plus grands financiers de crédits immobiliers commerciaux allemands, Hypo Real Estate, à Munich, est également au plus mal. Il vient de publier un amortissement de 390 millions sur 1,5 milliard d’euros exposés aux CDO. Parviendra-t-il à éviter une recapitalisation ? L’action est sous le choc et se traite à moins de la moitié de ses fonds propres.

Mais la crise se propage au-delà du « subprime » pour gagner d’autres segments, comme les assureurs d’obligations publiques américaines. La place bancaire allemande y est aussi engagée, à hauteur de 7 milliards d’exposition pour Commerzbank, 44 milliards pour Hypo Real Estate, par l’intermédiaire de Depfa.

Les actions bancaires baissent, et de plus en plus d’analystes évoquent les plus bas de 2002/2003 comme plancher de la crise. A l’époque, les banques se traitaient à moins de la moitié des fonds propres.

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