Accueil > Les télévisions et l’intermittence

Les télévisions et l’intermittence

Publie le vendredi 1er août 2003 par Open-Publishing

Les télévisions souvent condamnées pour recours abusifs à
l’intermittence

LE MONDE | 31.07.03 | 13h19 . MIS A JOUR LE 31.07.03 | 13h43

En deuxième instance, la justice tend à requalifier les contrats des
intermittents en contrats à durée indéterminée. Cette jurisprudence
concerne les techniciens comme les musiciens ou les comédiens.

Les péripéties judiciaires d’un musicien de "La Chance aux chansons"
pourraient faire école. Embauché en 1982 par TF1 comme bassiste,
Christian Genevoix a travaillé très régulièrement pour cette
émission. La chaîne a mis fin à cette collaboration en septembre
1985, et M. Genevoix a porté l’affaire devant les tribunaux. La cour
d’appel de Paris a relevé que "le caractère artistique d’une activité
ne pouvait impliquer le recours obligatoire au contrat à durée
déterminée (CDD) et ayant constaté que le salarié avait participé
d’octobre 1982 à octobre 1985 à toutes les séquences de l’émission
(...) a pu en déduire que M. Genevoix était lié à son employeur par
un contrat de travail à durée indéterminée (CDI)". Cet arrêt,
confirmé par la Cour de cassation le 17 décembre 1987, illustre ce
que représente quotidiennement le recours abusif aux intermittents
dans les chaînes de télévision.

"Cet état de fait est systématique dans l’audiovisuel, public ou
privé, les radios et les sociétés de production, et le recours abusif
aux intermittents est devenu, pour les employeurs, une véritable
méthode de gestion", affirme Joyce Ktorza, avocate spécialisée dans
la défense de ces salariés précaires. "Depuis dix ans, la
jurisprudence est bien établie et, en cour d’appel comme en Cour de
cassation, la tendance quasiment systématique est à la
requalification des CDD des intermittents en CDI", dit-elle.
"Quelques centaines de demandes de requalification ont été effectuées
depuis dix ans alors que la problématique englobe des milliers
d’intermittents", ajoute-t-elle.

Il est rare que des artistes soient salariés en CDI. C’est pourtant
ce que la cour d’appel de Paris a demandé dans un arrêt du 30 octobre
1997 à Télé Union Paris quand le pianiste de l’émission "Tournez
manège" de TF1 a été licencié. La station de radio RMC a elle aussi
été condamnée par la Cour de cassation le 14 juin 2000 : le chanteur
Dick Rivers, qui animait une émission de rock, aurait dû avoir un
CDI.

DU MONTEUR AU RÉALISATEUR

Le code du travail assimile les intermittents à des CDD et permet
clairement le recours aux "CDD d’usage" dans l’audiovisuel. Selon
Gury Attia, du cabinet Joyce Ktorza, la convention collective de la
communication et de la production audiovisuelle permet aussi le
recours aux CDD mais est contestée légalement.

De plus, l’accord interbranche signé par l’Union syndicale de la
production audiovisuelle (USPA) permet d’indemniser, à leur départ,
des intermittents qui ont passé beaucoup de temps chez le même
employeur. Ce qui entérine de fait le caractère permanent des
intermittents et rend son application là encore légalement
contestable. "Le recours aux intermittents permet une flexibilité et
un abaissement des coûts pour les employeurs, renforcé par le fait
que la convention collective n’est pas appliquée", dit-il.

La jurisprudence en matière d’intermittents concerne aussi bien les
techniciens (preneur de son, monteuse, assistant de production,
décorateur...) que les réalisateurs, les présentateurs, les
animateurs, les comédiens, les producteurs, voire les directeurs de
la musique... Dès qu’ils travaillent de façon très régulière, la
justice demande, presque toujours en deuxième instance, de les
considérer comme des CDI. Le 6 mai 2002, la Cour de cassation a ainsi
donné raison à deux jeunes comédiens, Camille Raymond et Jacques
Remblier, qui jouaient de façon régulière dans des sitcoms d’AB
Production.

Les condamnations des chaînes sont légion : France 3 a par exemple dû
requalifier le quatrième contrat de Valérie Expert pour son émission
"On s’occupe de vous", et lui payer de forts dédommagements après
avoir arrêté son émission. TF1 a pour sa part été condamnée une
quinzaine de fois.

"Souvent, quand le présentateur d’une émission change, l’équipe
technique, composée d’intermittents, reste, souligne M. Attia. En
matière d’abus, le service public n’est pas un exemple. France
Télévisions utilise près de 2 200 contrats précaires : les monteurs
salariés peuvent travailler douze heures pendant trois jours à
l’information, et ce sont ensuite des intermittents qui assurent les
quatre derniers jours de la semaine. A Radio France, on trouve
d’autres abus : le producteur délégué d’une émission doit se
débrouiller financièrement avec une enveloppe prédéfinie, et bien
souvent seuls certains jours de travail lui seront déclarés."

"FAIRE LE MÉNAGE"

Les poursuites au pénal sont rares. Des procès-verbaux de
l’inspection du travail ont montré que plusieurs salariés de Canal+,
notamment de "Nulle part ailleurs", n’avaient pas été "affectés à la
réalisation d’un travail limité" et mettaient en cause Alain de
Greef, directeur général chargé des programmes de Canal+. Une
amnistie présidentielle est intervenue avant que cette affaire ait pu
être jugée.

"Très peu d’inspecteurs du travail sont familiers avec les subtilités
des contrats des intermittents", souligne Me Ktorza. "On compte deux
ou trois inspecteurs très tenaces à Paris, notamment dans le 15e
arrondissement (où sont situés France Télévisions et Canal+), et un à
Boulogne (TF1). Si un inspecteur arrive, les sociétés ont tendance à
faire le ménage, intégrer des intermittents, arrêter les contrats des
plus anciens. C’est la même chose lors des plans sociaux, comme celui
de Canal+. Et puis les mauvaises habitudes reviennent très vite",
déplore M. Attia.

Nicole Vulser

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3246--329422-,00.html