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Lettre ouverte de James Petras à Sarkozy sur le conflit colombien

Publie le mardi 18 décembre 2007 par Open-Publishing
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Lettre ouverte au Président Sarkozy sur l’échange humanitaire de prisonniers politiques en Colombie et aux USA

J’ai lu avec grand intérêt votre lettre au dirigeant des FARC Manuel Marulanda. Je partage avec vous le souci humanitaire de mettre fin à l’emprisonnement de prisonniers politiques en Colombie. Mais soyons clairs, ayons des principes et soyons réalistes à ce propos : la liberté des prisonniers politiques détenus par les FARC dépend d’une contrepartie : la libération des résistants des FARC détenus dans les geôles de l’État colombien .

AUTEUR : James PETRAS

Traduit par Fausto Giudice

Votre intervention dramatique et fortement médiatisée a focalisé l’attention de l’opinion publique mondiale sur les prisonniers détenus par les FARC, mais vous avez oublié de mentionner la détresse des prisonniers politiques du gouvernement colombien, tortures et brutalisés par un président, dont de nombreux affidés membres du Congrès attendent des procès pour leurs liens de longue date avec les escadrons paramilitaires de la mort et les narcotrafiquants.
Reprenons les choses à zéro, Président Sarkozy. Si vous voulez être un médiateur honnête et un dirigeant humanitaire conséquent, vous devez agir avec impartialité dans un esprit de réciprocité.

Vous avez jusqu’à présent agi de manière unilatérale, ce qui ne peut pas mener à une résolution positive de l’échange de prisonniers. Par vos appels brefs et fortement médiatisés, vous n’avez pas fait preuve de bonne foi et d’équanimité.

Par exemple, début décembre, vous avez appelé “solennellement” les FARC (en particulier leur secrétaire Manuel Marulanda) à libérer unilatéralement leurs prisonniers dont Ingrid Betancourt sans appeler parallèlement le président Uribe à la libération de ses prisonniers et de ceux détenus aux USA.
Votre appel, vide et théâtral, ressemblait plus à un coup de publicité. Croyez-vous que le chef guérillero le plus astucieux et le plus légendaire d’Amérique latine serait intimidé par votre rhétorique mettant « la vie » d’Ingrid entre ses mains ? Votre double morale coloniale n’a convaincu personne et n’a cerainement pas fait avancer le processus de négociations. Vos poses éthiques peuvent peut-être faire les délices de quelques ex-maoïstes vieillissants devenus des philosophes de feuilletons télévisés à Paris, mais n’ont pas de place dans des tractations avec des révolutionnaires sérieux et conséquents.
Permettez-moi de vous suggérer, puisque vous avez établi une relation biblique si étroite avec votre bon ami le président Bush, d’exercer vos charmes sur lui pour le convaincre de restituer à la Colombie les deux dirigeants des FARC détenus aux USA en échange des trois agents opérationnels de la contre-insurrection US purgeant une peine dans les prisons des FARC.
Deuxièmement vous avez publiquement condamné les « méthodes » et les « objectifs » des FARC mais non ceux d’ Uribe. Ce n’est certainement pas une manière d’engager des négociations. Cela donne l’apparence qu’Uribe serait un politicien démocrate, ce qui est démenti par tous les rapports sur les droits humains de l’ONU, de l’OEA, de l’OIT et d’ONG colombiennes, qui documentent amplement le fait que la Colombie est l’endroit le plus dangereux de la planète pour les journalistes, syndicalistes, avocats des droits humains et dirigeants paysans à cause du terrorisme patronné par l’État. Il est présomptueux de votre part, président Sarkozy, de remettre en cause la moralité des FARC alors que vous et votre ministre des Affaires étrangères Kouchner avez donné votre soutien inconditionnel à l’État d’Israël en dépit du fait que celui-ci détienne plus de 10 000 prisonniers politiques, dont la plupart ont été brutalement torturés et dont beaucoup n’ont jamais été officiellement inculpés ou déférés devant un tribunal.
Un regime comme le vôtre, dont le ministre des Affaires étrangères donne son aval à l’étranglement économique de tout un people à Gaza, privé de nourriture, de médicaments, d’eau et d’électricité, ainsi qu’au bain de sang US en Irak, n’a aucune autorité morale pour donner des leçons en matière de « méthodes » et d’ « objectifs ». Pour parler clairement, M. le président : les FARC n’ont jamais détenu 10 000 prisonniers politiques comme votre allié, l’État juif ni envahi et colonisé des pays indépendants comme votre « bon ami » Bush. Une fois levé ce voile d’hypocrisie gauloise, abordons les véritables questions qui conditionnent l’ouverture de négociations.

Localisation des négociations

L’insistance des FARC sur le choix d’un lieu particulier n’est pas liée à des préférences en matière de flore et de faune mais à la garantie de leur sécurité, face aux nombreuses ruptures d’accords de la part du régime Uribe. Président Sarkozy, votre insistance, votre exigence même d’une “preuve photographique” de ce qu’ Ingrid Betancourt est encore en vie a conduit à ce qu’Uribe a donné une nouvelle preuve qu’il est absolument indigne de confiance : les émissaires chargés de vous apporter les « preuves » via le Venezuela ont été arrêtés et emprisonnés, en violation flagrante le sauf-conduit implicitement convenu entre vous, le président Uribe et le président Chavez.

Entre 1984 et 1990, les FARC avaient conclu un accord avec les présidents Betancourt et Gaviria pour donne rune chance au processus électoral. De nombreux anciens membres des FARC avec d’autres individus progressistes e des groupes de gauche ont constitué l’Union patriotique (UP). Dans le laps de 5 ans, plus de 5500 membres de l’ UP ont été assassinés, dont deux candidats à la présidence, ce qui a représenté une destruction des méthodes électorales si chères à votre cœur. Président Sarkozy, je vous rappelled ces événements au cas où vos conseillers auraient omis de vous informer des dangers et pièges encourus par toute négociation des FARC avec le gouvernement colombien. En un mot, l’insistance des FARC sur le lieu de négociations vise à protéger leurs dirigeants et négociateurs de toute volte-face subite de la part d’Uribe, consistant à rompre les négociations et à capturer ou tuer des dirigeants des FARC.

Il faut que vous sachiez qu’ Uribe a accompagné son appel à l’établissement d’une zone démilitarisée réduite d’une offre de récompense de 100 millions de $ aux membres des FARC qui assassineraient ou livreraient leurs dirigeants à l’armée colombienne.

Les conditions unilatérales d’Uribe

Président Sarkozy, comme vous les savez, pour engager de quelconques négociations, une aprtie ne peut imposer de manière unilatérale et arbitraire imposer des conditions préjudiciables à l’autre partie, comme Uribe l’a fait. Le président ‘paramilitaire’ n’a pas seulement décidé du lieu, mais aussi de la longueur et de la largeur de la zone démilitarisée, les limites de temps pour un accord, le comportement des résistants emprisonnés suite à leur libération et une visite de la Croix-Rouge à la prison secrète des FARC, tout en continuant à qualifier en termes calomniateurs les partenaires dans la négociation.

Les dimensions réduites de la région démilitarisée (ainsi que son choix et sa durée) soulèvent des suspicions séreuses quant aux motivations du gouvernement. Une zone démilitarisée plus petite serait plus facile à envahir pour le régime Uribe, qui pourrait ainsi capturer les négociateurs des FARC. L’établissement d’une zone démilitarisée plus vaste n’affecterait pas la substance des questions à négocie : il faciliterait les négociations en augmentant la sécurité des négociateurs.

Deuxièmement, les négociations ne peuvent être arbitrairement décidées dans le laps d’un mois dans la mesure où de nombreuses questions d’une grande complexité doivent être résolues. D’abord et avant tout l’inclusion des deux dirigeants des FARC emprisonnés aux USA suite à leur transfert arbitraire par Uribe.

Jamais les FARC ne permettront la visite d’une délégation de la Croix-Rouge aux prisonniers politiques des FARC, qui permettrait aux conseillers US en hautes technologies d’Uribe de détecter les installations des FARC, ce qui permettrait ensuite de les attaquer. La folle obsession d’Uribe –annihiler physiquement les FARC – démontrée dans son dernier éclat devrait suffire pour écarter sa demande d’assistance humanitaire de la Croix-Rouge.
Inutile de dire que l’appel d’Uribe à une assistance aux négociations de la part d’ue l’Église “impartiale” est une blague de mauvais goût : l’Église s’est faite l’apologue acritique d’Uribe, de son organisation politique et de ses trente sénateurs et congressistes emprisonnés pour leurs liens avec les escadrons de la mort. Il y a nombre d’ONG colombiennes des droits humains qui ont été reconnues au niveau international pour leur courage te impartialité, comme Justice et Paix et Reiniciar, qui sont mieux placées pour jouer le rôle d’intermédiaires.

Président Sarkozy, malgré vos limites et vos poses morales prévisibles, vous avez courageusement dénoncé la politique vouée à l’échec et dangereuse d’Uribe consistant à « libérer » les prisonniers des FARC par la force. Vous avez amené Uribe, par des promesses et des menaces, à donner un accord partiel à la demande raisonnable de zone démilitarisée pour les négociations de la part des FARC. Les concessions arrachées à Uribe sont cependant précaires : ce qu’il donne d’une main, il le reprend de l’autre. Il multiplie les conditions inacceptables justement pour saboter les négociations. Car c’est dans les détails que le processus va progresser.

C’est là que le danger réside, M. le Président. Votre geste d’ouverture et encore plus vos pressions réussies pour assurer un terrain de négociations vous ont gagné le soutien de nombreux citoyens français fortement engagés dans la campagne pour la libération de leur compatriote Ingrid. Vous êtes devenu le chouchou des médias français et occidentaux. Je ne vais pas vous en faire grief : vous vous êtes engage, vous avez parlé, vous avez agi…mais vous n’avez pas encore réussi.
Pour que les négociations puissent au moins s’engager, vous devez encore une fois convaincre Uribe d’être raisonnable (du moins aux yeux du reste du monde), d’oublier son programme occulte, d’établir une zone démilitarisée sûre et de dimensions adéquates et de donner aux négociateurs un délai raisonnable pour résoudre leurs divergences. Vous devez admettre, M. le Président, que ce sont là des demandes raisonnables. Mais comme vous devez le savoir désormais, Uribe n’est pas un négociateur de bonne volonté et n’est pas disposé à obtenir un accord équitable. Les feux de la rampe sont braqués sur vous. Vous avez un vaste soutien au plan national et international. Vous avez toute la crédibilité (et le pouvoir) politique pour persuader, de gré ou de force, Uribe d’aller à la table de négociations afin de faire libérer Ingrid et les autres ainsi que les 500 prisonniers des FARC qui croupissent dans les geôles colombiennes et US. Le succès ou l’échec tiennent à vous, M. Sarkozy. Vous avez pris l’engagement solennel de faire libérer Ingrid. Espérons qu vous tiendrez cet engagement.

Fraternellement,
James Petras
10/12/2007

http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=4326&lg=en

Messages

  • Oh ! Merci pour cette lettre ouverte !

    Puisse-t-elle contribuer à une meilleure connaissance de ce qu’est rééllement le régime d’Uribe en Colombie - et de ce qu’y représentent les FARC.

    Puisse-t-elle contribuer à faire voir que, une fois de plus, les préoccupations soi-disant humanitaires de notre Guide Au Grand Coeur sont pure "comm’ ". Dans ce cas précis, un peu de pipol ne nuit pas : Nicolas serait-il tombé amoureux d’Ingrid ?????