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Libertés : Propos indignés de trois réfugiés en sursis : " La France se renie purement et simplement "

Publie le jeudi 23 août 2007 par Open-Publishing
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Article paru le 16 février 2004

Marina Petrella, travailleuse sociale, en compagnie de son mari, Ahmed.

" Ma réaction, à l’arrestation de Cesare, c’est évidemment la rage et l’inquiétude. La peur ! Il faudrait être fou pour ne pas avoir peur. Après l’arrestation et l’expulsion de Paolo et l’établissement de cette liste de réfugiés à la demande du ministre de la Justice italien, sans parler de cette politique du "cas par cas" de Perben, c’est comme si on m’avait annoncé que j’avais une maladie incurable. Là, cette nouvelle arrestation ne fait que renforcer mes craintes.

Comme si ma vie allait bientôt s’arrêter. Sans compter que politiquement, un État qui revient sur la parole donnée, c’est la négation de tout ce qui peut fonder sa légitimité. La négation aussi de ce principe de droit qui veut qu’il y ait un délai raisonnable entre un crime, son jugement et son expiation. Plus globalement, on a affaire à une politique parfaitement dans l’air du temps : on est en plein ultra-libéralisme, d’individualisme galopant, de règlement au cas par cas, de tolérance zéro. Pourtant, et on l’a vu après le 21 avril, dans la rue avec les manifestations contre la montée de l’extrême droite : la France, malgré cette emprise de l’ultra-libéralisme, reste un pays attaché à ses valeurs de liberté, de tolérance. Là, elle se renie. Purement et simplement.

Quant à l’État italien, ce n’est là que pure vengeance, la volonté de ressortir les vieux cadavres des placards. Or, cela fait onze ans que je vis ici. J’ai abandonné toute activité politique. Pour moi, le prolongement de ce que je suis, de ce que j’ai été, c’est de travailler dans le social, dans le domaine de l’éducation populaire. On s’est tous construit en France une nouvelle vie sans nier ce que nous avions été. Non seulement, nous expulser ne résoudra rien. Mais, au contraire, cela ne fera que rallonger la liste des victimes. Car, si demain, j’étais arrêtée pour être extradée en Italie, il n’y a pas que moi qu’on condamnerait, mais aussi des citoyens français, comme mon mari et mon fils. "

Ahmed, lui, est " encore sous le choc. Je ne pensais pas que cela pourrait arriver en France. " Quand j’ai rencontré ma compagne, elle m’a parlé de son passé, je lui ai parlé du mien. Et c’est ensemble que nous avons pris la décision d’avoir un enfant. Une décision difficile, mais on se savait protégés par cette "doctrine Mitterrand" que les gouvernements successifs auront jusque-là respectée. Et aujourd’hui, on nous dit "non". Ma compagne, elle, n’est que quantité négligeable, elle peut être expulsée du jour au lendemain. Et toutes ces valeurs que j’aurais tenté de faire passer auprès de ma fille, il faudra que je lui dise : "Désolé, je t’ai menti, je m’étais trompé".

Notre cellule sera simplement plus grande que celle de ma femme. Mais ce pays deviendra une prison, où il me sera impossible de vivre. Non seulement ma femme sera derrière les barreaux, mais je serais à la rue avec ma fille. Car les crédits, comme l’appartement, on les a pris à deux. Au bout du compte, il n’y aura pas qu’une victime, mais trois. Ce que la France est en train de faire, en train de dire, à tous les réfugiés, qu’ils soient italiens ou pas, c’est "ne vivez pas, ne vous mariez pas, n’ayez pas d’enfant, vous êtes ici en danger permanent, vous pouvez être expulsés à tout moment". On nous parle sans cesse de droit et de devoir. Cette politique est destructrice, elle détruit des vies, elle détruit des familles. "

Propos recueillis par Sébastien Homer

Libertés

" La France, c’était un pays qui avait des valeurs "

Paola De Luca, traductrice, présente en France depuis 1985, condamnée par contumace à douze ans de prison.

" Je suis arrivée à Paris il y a dix-huit ans. Ce que je ressens suite à l’arrestation de Cesare ? Toujours la même colère et la même indignation. Mais, nous, les réfugiés italiens, on a toujours vécu sous la lune noire. Deux ans après mon arrivée en France, jugée par contumace en Italie, j’ai fait onze mois à Fleury-Mérogis. Mais je ne pouvais être extradée, en particulier parce que, pour les faits qui me sont reprochés, le droit italien et le droit français ne correspondent pas.

Et, après ma sortie, et ce pendant plus de dix ans, tous les trois mois, j’allais à la préfecture de police pour demander un récépissé. Même pas un titre provisoire de séjour. Juste un bout de papier qui me permettait de trouver un petit boulot précaire. De quoi vivre. Mais ces petits boulots, c’était quand même du travail. Et puis, on avait atterri dans ce qui nous semblait être une sorte d’asile : même si nous étions seuls face à notre passé, à la différence de l’Espagne, de l’Angleterre ou de la Belgique, on ne vous mettait pas en prison à partir du moment où vous posiez un pied sur le sol français.

En 1998, quand Chevènement a accepté de nous délivrer des permis de séjour, la vie est devenue un peu plus facile. Parce qu’enfin normale. J’ai pu, tout bêtement, ouvrir un compte en banque ! Ça n’a l’air de rien, mais c’est énorme. Et puis, à l’expiration de mon titre de séjour de cinq ans, quand j’ai fait ma demande de renouvellement, on m’a dit que ce n’était pas nécessaire. Car j’étais ressortissante européenne. Mais de fait, n’ayant plus de papiers italiens et plus de papier français, je n’ai plus rien. Mon fils est né en France, ma fille est normalienne, elle est enseignante et moi, je suis sans-papiers ! Les seuls qui ne m’oublient pas, ce sont les impôts. Et maintenant, on voit l’un des nôtres, Cesare, se faire arrêter, alors qu’il y a eu une décision de justice se prononçant contre son extradition !

Durant presque vingt ans, on a appris à vivre en société, on s’est construit une nouvelle vie et on se retrouve à nouveau menacé d’expulsion. Que va-t-il se passer ? Je n’en sais rien. Est-ce que je vais être expulsée comme ces deux Italiens qui, après avoir vécu dix-sept ans au vu et au su de tous en Algérie, ont été arrêtés, extradés et livrés à la police italienne ? Nous avons à faire face à une diplomatie de nouvelle génération. Je ne veux même pas savoir quelles sont les raisons qui se cachent derrière l’arrestation de Battisti. Je sais juste que si les marchandises circulent librement, ce n’est pas le cas pour les êtres humains.

Ma seule protection, jusque-là, c’était de me dire que la France, c’était un pays qui avait des valeurs, un pays de liberté. En tout cas, pas question pour moi de retourner dans la clandestinité. On s’est tous reconstruit une nouvelle vie ici. Et partir où, comment, pourquoi ? Au contraire, notre force sera d’être encore plus visibles à chaque attaque, à chaque menace faite contre l’un d’entre nous. Je ne sais pas si l’arrestation de Cesare comme l’extradition de Paolo Persichetti aura resserré les liens entre nous. Je ne sais même pas s’il existe une " communauté des Italiens ". Ce que je sais, en revanche, c’est que l’on sera toujours là à la recherche d’espace de liberté dans une société qui tente de les nier. "

Propos recueillis par Sébastien Homer

Libertés

" Si le Moloch veut du symbole, je suis à sa disposition "

Oreste Scalzone, écrivain, cofondateur de Potere Operaio, condamné à neuf ans de prison.

" J’ai appris l’arrestation de Cesare alors que j’étais en convalescence chez un vieil ami à lui, dans le sud de la France. Ma réaction ? Comme tout le monde, un mélange entre incrédulité - comme un reste de superstition - et "sgomento", un mot en italien traduisant un sentiment qui oscillerait entre le découragement et l’effroi.

Personnellement, si je savais que je risquais la perpétuité, j’aurais peut-être filé à l’anglaise. Mais pour se cacher où ? Comme Paolo, Cesare avait fait le choix de vivre sous le soleil, au grand jour. Aussi, parce que l’on sait viscéralement que l’on va gagner.

Ce n’est pas se reposer sur nos lauriers, ce n’est pas adhérer aux valeurs de cette société, c’est peut-être de l’ordre de la croyance, mais on sait que si l’on est dans un État de droit, au regard du dossier de Cesare, il n’est pas expulsable : au-delà du fait qu’il ait des enfants, qu’il soit un écrivain connu et reconnu, la justice française a rendu, il y a des années, un avis défavorable à son extradition. En tout cas, on va utiliser tous les moyens possibles pour le sortir de prison. On n’a pas le choix, même si certains outils comme la justice ne sont pas véritablement notre tasse de thé. Mais si l’on gagne - et c’est inéluctable - ce sera un précédent formidable pour nous tous.

Car on sait que, potentiellement, on est tous concernés. Il y a d’autres personnes qui ont été condamnées par contumace à perpétuité, d’autres personnes qui n’ont pas la chance d’avoir bénéficié d’une telle décision de justice, des personnes qui n’ont pas la chance d’être des écrivains renommés. D’autant que l’on est face à un gouvernement et un système politique qui prônent à la fois la responsabilité collective - comme si l’on était tous coupables ou en tout cas complices d’un point de vue ne serait-ce qu’idéologique - et la responsabilité individuelle.

Une aberration totale, d’autant qu’au regard de ceux que l’on a en face de nous, ceux qui ont fait ce système ou qui contribuent à ce qu’il est, nous sommes des petits artisans. Que peuvent dire les responsables de cette catastrophe qu’a été Gênes, comment peuvent-ils fustiger la violence des casseurs lorsque l’on sait le nombre de victimes du système qu’ils ont contribué à mettre en place !

Comme disait Genet, " je ne serais jamais neutre entre la violence des opprimés et la brutalité des oppresseurs ". Alors on utilisera tous les moyens. Je ne parle pas de guérilla et même si les slogans des manifestations me désespèrent, je ne peux pas faire autrement que d’y aller. On va manifester, utiliser tous les recours légaux, tous les soutiens que l’on peut avoir. Et si ça ne marche pas ? Je ne suis pas un légaliste ni un partisan farouche de la non-violence. Mais celle-ci porte en elle un potentiel de subversion. Or, on a en face de nous un système dont les actions sont de l’ordre du symbolique.

Ce n’est pas un hasard s’ils s’en sont pris à Paolo ou à Cesare. Comme je l’ai écrit après l’arrestation de Paolo, s’ils veulent du symbolique, je suis prêt à me livrer aux autorités italiennes. Non par esprit sacrificiel, non par goût du martyr, ni par forfanterie : simplement, si le Moloch veut du symbole, je suis à sa disposition. Je sais très bien qu’ils n’en voudront jamais. Mais je garde malgré tout bon espoir.

Propos recueillis par S.H.

http://www.humanite.fr/2004-02-16_P...

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