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Matrones cisailleuses, parents en apprentissage et militaires matons d’ados : Au pays de Ségo-reine.

Publie le mercredi 12 juillet 2006 par Open-Publishing
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QUOTIDIEN : Mardi 11 juillet 2006 - 06:00 Par LUC LE VAILLANT journaliste à Libération.

Au pays de Ségo-reine, il y aura des dames-sécateurs qui arpenteront les cours d’écoles et trancheront, d’un coup sec, les strings qui dépasseront des jeans taille basse des lycéennes au nombril fleuri de bijoux et aux reins tatoués d’un soleil mignonnet ou d’un dragon fumant. Ces matrones cisailleuses ne s’inquiéteront en rien de savoir si les petites auront gobé le matin même la pilule du lendemain, accordée dans sa grande mansuétude par notre douce souveraine, ou si elles se seront enfin décidées à rejoindre le camp des abstinentes, démarche recommandée par les catéchumènes républicaines qui, désormais, seront en charge de l’éducation des filles.

Au pays de Ségo-reine, seront édifiés de hauts murs derrière lesquels seront relégués les z’y-va de la gueule, les brûleurs de Panda et de Vespa, et tous les tatanneurs encapuchonnés qui envoyèrent aux Invalides les belles résidentes des quartiers longtemps protégés. Il ne faudra surtout pas voir ces nouveaux lieux comme des bagnes pour enfants où réapparaîtraient les fantômes des petits querelleurs chers à Jean Genet. Ce seront des endroits matriciels aux couleurs vives et aux matériaux mous, où, tels des foetus plongés dans un bain amniotique régénérant, ces graines de violence aux yeux injectés de testostérone apprendront enfin la douceur du féminin et la splendeur de la contrition. Parfois, la grande dame blanche viendra en visite et passera en revue ces sauvageons sauvés des zoos, des ZUP et des ZEP, tout amidonnés de repentance et finalement si charmants dans leurs uniformes repassés de frais.

Au pays de Ségo-reine, il n’y aura plus qu’une maîtresse des horloges, et ce sera elle, notre ponctuelle souveraine, qui décidera des heures de lever et de coucher, qui nous susurrera des « dormez, braves gens », puis sonnera le clairon à l’aube, et qui en finira avec cette fatale heure d’été qui perturbait le ronron des enfançons et mettait la basse-cour en révolution.

Plus personne ne portera de Kelton, elle sera notre Breitling ultime, notre Rolex supersexe. Elle sera notre midi et notre minuit. Et, aussi, notre quatre-heures...

Au pays de Ségo-reine, ce sera la revanche des enfants tireurs de langues, qui ne seront plus seuls dans leur mise au coin. Leurs parents seront tenus de reprendre le chemin de l’école pour qu’on leur enseigne enfin ce métier qu’ils ignorent, celui d’éducateur responsable et circonspect, qu’exerçait avec tant de discernement notre mère à tous, quand elle n’était encore que maman de quatre.

Au pays de Ségo-reine, le travail redeviendra cette patrie que nous avions finie par déserter. C’en sera fini de cette paresse qui nous encrassait l’intellect, de ces divertissements qui nous en mettaient plein les mirettes, de cet avachissement sur canapé qui nous laissaient ébaubis et glauques devant le porno de Canal +. Nous jetterons par les fenêtres ces écrans cupides et veules, leur violence américaine, leur mercantilisme libidineux. Et nous ferons même un grand feu avec les mangas au milieu, ces BD japonaises érotico-sadiques que dénonçait avec tant d’à-propos notre maîtresse d’école à l’ancienne, notre Lady Di des certifs, notre Camilla de la Camif. Pour calmer sa colère, pour désembuer ses beaux yeux de mer, nous retrousserons très proprement nos manches de chemise au-dessus du coude, en marquant bien les plis, et nous irons, guillerets comme les nains de Blanche Neige, bosser pour notre reine de Prusse et pour le plus grand bénef du Medef.

Au pays de Ségo-reine, on n’entendra plus les plaintes bouleversantes de tous « ces gens qui souffrent » et qui n’arrêtent plus de gémir en Dolby Stereo depuis que chacun peut faire enregistrer à la chambre des pitiés, sa Société de victime anonyme à responsabilité très limitée. Notre souveraine miséricordieuse aura beau se démener pour éradiquer ces cris de rancoeur qui l’avaient portée si haut, il n’est pas certain que ces lamentos ramollos, ces rototos psychos, ne finissent par nous manquer, mélopées qui nous entretenaient dans l’évidence que rien n’était possible et que c’était toujours la faute à l’autre.

Au pays de Ségo-reine, il y aura transbordement des évidences, renversement des éminences. Adviendront enfin le règne du féminin et la disqualification du masculin, parce que les femmes sont courageuses et les hommes lâches, parce qu’elles accouchent dans la douleur et qu’ils défaillent à la moindre prise de sang, parce qu’elles sont concrètes, consensuelles, compréhensives (et aussi conservatrices ?) quand ils ne sont qu’idéologues, vindicatifs et fulminants. Parce qu’ils sont violeurs, pédophiles et pétomanes, quand elles sont sages et humaines, poncées et épilées. Parce que les hommes sont méchants et les femmes gentilles. Porteront la traîne de ce féminin majuscule, de ce féminin différentialiste et surtout pas égalitariste, la cohorte des observateurs sondagiers et des laquais de presse, ces chasseurs d’éléphants qui s’enthousiasment pour la dernière babiole qui se la joue une contre tous, individuelle contre les appareils, gente dame contre vieux machos recuits et répugnants dans leur archaïque croyance au débat collectif, alors que tout est bien plus excitant quand cela se résume à la rencontre d’une belle âme et d’un pays profond, d’une vierge mère et d’un peuple cacochyme et régressif.

Au pays de Ségo-reine, il y aura des processions que nous ne manquerons pour rien au monde. Telles les amazones inversées de Khadafi, lui feront escorte tous ceux qu’elle aura anoblis : les militaires devenus matons d’ados et les sortis d’IUFM, section « on ne badine pas avec la discipline », sans oublier les clients repentis qui laisseront enfin les putes sur le trottoir pour rentrer dire le bénédicité à l’heure de l’angélus. Sur le parcours, parmi les familles versaillaises, ses soutiens indéfectibles, se glisseront les échappés de la Gay Pride réconciliés avec notre rusée souveraine depuis qu’elle aura reconnu le mariage homosexuel, car l’important, n’est ce pas, est de « faire famille », de rompre avec le libertinage et le monoparental, et tant pis si la nature n’y trouve pas son compte. Il y aura des chars décorés et des statues promenées. Et des fleurs qui joncheront la chaussée comme pour les Fêtes-Dieu des jolis mois de mai, quand 68 n’avait pas encore vidé les églises et les casernes. Et, à la voir ainsi, seule à son zénith, immaculée et conceptuelle, nous comprendrons mieux pourquoi notre souveraine avait négligé de convoler avec son « compagnon ». C’était pour mieux se réserver pour son amant céleste : nous tous, vous tous, le peuple de France.

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