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Michael Warschawski : la nouvelle constitution européenne
Publie le jeudi 11 novembre 2004 par Open-PublishingMichael Warschawski, Militant anticolonialiste israélien, coprésident du Centre d’information alternative(Jérusalem)
La nouvelle constitution européenne risque de faire de la dérégulation néolibérale un principe de base de l’Union.
Dans l’avion qui me menait hier à Paris, je lisais le nouveau livre de Viviane Forrester consacré à la Palestine (1). Intéressant, bien écrit, trop symétrique à mon goût, et surtout incohérent quant à la responsabilité de l’Europe, non pas sur l’origine du conflit - c’est le fond de la thèse de Forrester - mais aujourd’hui, alors que le problème créé par l’Europe prend à nouveau les traits d’une tragédie sanglante.
Un essai précédant de Viviane Forrester (2) m’avait fortement marqué, et j’en avais traduit un chapitre dans Mitsad chéni, le magazine en hébreu du Centre d’information alternative que j’animais à l’époque. C’est dans ce livre que j’ai pu prendre la mesure de la régression sociale que signifiait le capitalisme néolibéral et mondialisé, et la nécessité de reconstruire, au niveau planétaire, un mouvement social apte à relever ces nouveaux défis.
Ce matin, à Paris, on me distribue un tract : « Esclavage en cuisine », publié par la CGT commerce et services, qui parle de la lutte des cuisiniers du café Ruc contre l’empire de la restauration de la famille Costes. Que veulent ces travailleurs de cuisine maliens, sénégalais, et sri-lankais ? Le paiement des heures supplémentaires (sic), le respect de deux jours de repos consécutifs, une pause et un repas par jour (resic !), la possibilité d’avoir des élections pour des délégués du personnel. Auparavant, la direction avait « démissionné » un employé qui était en train de mettre en place une section syndicale dans le restaurant.
Cela ne se passe pas à Colombo ou à Dakar, ni dans la France du XIXe siècle, mais à Paris en 2004 : c’est dire l’étendue de la régression sociale dans un pays qui, au cours du siècle passé, avait été la pointe des acquis du mouvement ouvrier et d’un progrès social réel pour des millions de travailleurs. L’arrogance des patrons et de leur gouvernement semble ne plus connaître de limites, dans votre pays comme ailleurs en Europe, et la nouvelle constitution européenne risque de faire de la dérégulation néolibérale un principe de base de l’Union.
Ce sujet a été sérieusement débattu au dernier Forum social européen de Londres, auquel j’ai eu le privilège de participer. La presse française, y compris les commentateurs de gauche, a tiré un bilan globalement négatif de ce forum, en particulier pour n’avoir pas suffisamment accordé d’importance aux questions sociales auxquelles l’Europe est confrontée, et s’être trop focalisé sur les questions de la guerre en Irak et de la Palestine. Je ne partage pas cette opinion, je pense qu’on a beaucoup exagéré les problèmes, réels pour certains, qui ont parsemé ce forum social, en particulier sur la place donnée, à Londres, aux organisations musulmanes, qui à mes yeux est un acquis et non un problème.
Invité pour animer un débat sur les problèmes stratégiques que soulève la politique de guerre globale permanente et préventive, en particulier en Palestine, je ne crois pas qu’on peut trop en faire contre ce qui, à mes yeux, représente la menace majeure de la décennie actuelle, et je pense que nous avons encore à travailler en profondeur pour définir une stratégie efficace de lutte contre la guerre impériale.
Cela dit, et malgré une présence syndicale plus importante et plus active que dans les forums précédents, la dimension économico-sociale de la guerre globale n’a pas été, je crois, suffisamment mise en relief et surtout n’a pas produit de percée significative dans l’analyse et la mise en avant de stratégies unitaires offensives pour les prochaines années. Espérons que le prochain FSE, en Grèce, saura trouver l’équilibre nécessaire. Si l’on ne veut pas que l’Europe de demain ressemble aux restaurants des frères Costes.
(1) Viviane Forrester, le Crime occidental, Fayard 2004
(2) Viviane Forrester, l’Horreur économique, Fayard 1998
*Auteur de Sur la frontière, aux Éditions Stock, 2002, 20 euros. À tombeau ouvert, Éditions La Fabrique, 2003, 13 euros.
http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-11-11/2004-11-11-449679