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Nilda Fernandez : "Tout garder marque le début de la fossilisation"
Publie le lundi 2 juin 2008 par Open-Publishing« Tout garder marque le début de la fossilisation »
de Nilda Fernandez
chanson . Nomade dans l’âme, Nilda Fernandez aime à parcourir le monde. Après la Russie et Cuba, retour en France pour une série de concerts, accompagné d’une guitare. Entretien.
Après des années d’absence - sept ans exactement depuis son dernier concert à l’Olympia -, Nilda Fernandez fait son come-back. Avouons-le, nous avions un peu perdu de vue celui à qui l’on doit des chansons sensibles restées dans les mémoires, telles Madrid Madrid, Nos fiançailles ou encore Innu Nikamu. Nomade dans l’âme, il est de ces artistes aimant tracer la route, guidé par des envies d’ailleurs. Il y eut d’abord les tournées en roulotte entre Paris et Barcelone. Puis ce fut le grand départ pour la Russie, où il a vécu plus de quatre ans, cherchant à séduire le public slave. Il en a rapporté un livre, les Chants du monde, journal de ses aventures au pays des soviets (1), qui fait suite à un premier roman, Ça repart pour un soliloque, paru en 1998. Il y eut mille vies croisées, d’autres voyages, comme à Cuba. Et toujours ce formidable désir d’aller à la rencontre de l’autre pour mieux se découvrir. De retour en France, le chanteur franco-espagnol se produit depuis plusieurs jours au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, seul en scène avec juste une guitare, interprétant ses chansons de sa voix ténue. Quand résonnent « une tâche d’ombre et dans le désert », les paroles de Madrid Madrid, on a l’impression que Nilda n’est jamais parti. Rencontre.
Durant votre absence, vous avez pris le pouls du monde. Vous reconnaissez-vous dans l’image du « chanteur aventurier » que vous évoquez dans votre dernier livre ?
Nilda Fernandez. C’est le groupe Émile & Images qui m’a dit ça, un jour. La plus grande aventure que j’ai essayé de vivre, c’est de parvenir avec mon métier à quelque chose qui me construise, que ce soit une vie artistique qui fasse l’homme. Avoir du succès n’apprend qu’à devenir un produit. Si on ne se méfie pas, on apprend rapidement à gérer ce qu’on est à son avantage. C’est assez stérile alors que la vie artistique offre des voies très particulières et dans le monde entier.
Curieux de ne plus vouloir être en lumière au moment où on est en pleine gloire…
Nilda Fernandez. Quand on a du succès, on entre dans une obsession de la perte possible. On commence à se recroqueviller, à avoir peur de tout. Ce qui définit beaucoup de mes collègues - et le danger qui moi, me semble-t-il, me guettait - c’était d’avoir peur de perdre. Je trouve que ce n’est pas normal. Il faut accepter de perdre ce qu’on a eu un jour. Il ne faut ni thésauriser ni protéger son fonds de commerce. Cela crée trop de crispation et finalement du malheur. La vie, c’est perdre ses amis, ceux qu’on aime. L’argent, on peut le perdre. La maladie qui consiste à vouloir tout garder est le début de la fossilisation. J’ai eu envie d’être un artiste qui apprend toujours quelque chose.
Qu’avez-vous découvert de vous en Russie ou à Cuba ?
Nilda Fernandez. En Russie, il a bien fallu que j’accepte la mentalité, le show-biz russe avec le côté un peu bandit. Il a fallu que je trouve en moi des ressources qui faisaient que je pouvais discuter avec les Russes, pour ne pas être le mouton qu’on tond. Comme la plupart d’entre nous, j’avais de la Russie l’idée d’un mythe immatériel aux images pas trop sûres. Quand je suis allé à Moscou, je m’attendais à une ville grise avec des tramways. Je pensais que les Russes étaient des gens austères, peu bavards, alors que c’est le contraire. On dirait des Méridionaux, ils tchatchent tout le temps, ils sont fêtards.
Pourquoi vous êtes-vous installé à Moscou ?
Nilda Fernandez. C’est à l’invitation d’une amie, qui m’a proposé de découvrir Moscou. Le deuxième jour, j’ai rencontré un chanteur à succès, Boris Moïssev, une des dix figures du show-business. Il me connaissait et m’a dit « je vais faire de toi une star en Russie ». Il ne le faisait pas par altruisme, mais pour lui, pour se donner une image internationale. On a fait un duo qui est devenu un grand succès, puis un deuxième duo avec un énorme succès aussi. On a tourné ensemble, puis je suis parti seul avec des musiciens russes, on a traversé tous les pays de l’ex-Union soviétique.
Vendiez-vous beaucoup d’albums ?
Nilda Fernandez. Les albums, c’est une abstraction car, là-bas, il y a beaucoup de piratage. Moïssev gérait son truc. Moi, je n’ai jamais demandé un sou sur les albums parce que c’est très compliqué. Tout est géré d’une manière obscure. Mais j’ai gagné des sous sur les tournées avec Moïssev. Je lui dois d’avoir pu écrire une belle chanson et de connaître le succès.
On vous voyait plus latino ?
Nilda Fernandez. L’Amérique latine me plaît, mais elle me fascine moins. Ce qu’on a fait de l’Amérique latine, de la civilisation amérindienne me fait mal. Ma culture y est pour quelque chose. La Russie, elle, était tellement loin de moi, inconnue. C’était une énigme totale. Le monde slave, j’en étais très loin.
Humainement, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Nilda Fernandez. J’ai eu des moments de découragement, parfois, en me demandant ce que je faisais là-bas. Il y a des moments où c’est assez brutal en Russie. Mais je voulais aller jusqu’au bout d’une expérience. J’y suis resté quatre ans et demi.
Il y a aussi eu Cuba…
Nilda Fernandez. Ma première rencontre avec Cuba remonte à 2000, par le biais d’une association qui, pour détourner le blocus, rapportait des produits, du matériel sanitaire, médical, scolaire dans le pays. J’y ai été invité ensuite pour chanter à La Havane avec des musiciens cubains de Santiago. Puis je suis revenu à Cuba, toujours avec la même association, pour l’ouverture d’une Maison Victor-Hugo où j’étais le maître de cérémonie des spectacles. À la suite de ça, le ministère de la Culture cubaine m’a demandé d’écrire et de mettre en scène un spectacle sous chapiteau avec quarante artistes. Un spectacle de cirque, de musique, de danse. C’était merveilleux.
Comment vivez-vous le fait d’être sans maison de disques depuis 2001 ?
Nilda Fernandez. Sony voulait que je fasse un disque. J’ai refusé. Du coup, on a arrêté le contrat parce que cela faisait déjà six mois que j’étais en Russie. Ça ne voulait plus dire grand-chose de faire un disque en France. J’avais une aventure à vivre. Je n’ai pas du tout la notion d’un artiste sous contrat. J’ai peut-être une attitude arrogante, mais je considère que les maisons de disques ne sont rien sans nous, les artistes. Ce sont des boîtes vides. En revanche, je peux faire des albums sans eux. Il faut inverser les rapports et les remettre à l’endroit. L’industrie du disque a cinquante ans. En tant qu’artiste, je suis dans une tradition millénaire. On ne disparaîtra pas. Aujourd’hui, réaliser un album n’est plus primordial. Les artistes ont été happés par les sirènes des maisons de disques, parce que c’est un moyen de gagner de l’argent facile. On travaille une fois et ensuite on reproduit ce travail, on le vend à l’infini et presque sans rien faire. Si on revient à de choses plus concrètes, du style la scène, les tournées… là je suis payé, et le rapport commercial est clair. C’est mon aventure du moment. Je suis tout seul, avec ma guitare sur scène. C’est le plus beau des rendez-vous avec le public.
(1) Nilda Fernandez, les Chants du monde, carnet de notes. Éditions Presse de la Renaissance.
Jusqu’à ce soir au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, puis en tournée.
Entretien réalisé par Victor Hache