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Une Bataille politique porteuse d’une alternative anticapitaliste
« La tentation du Non est plutôt une tentation de faire l’amalgame de toutes les souffrances, de toutes les craintes, de toutes les incompréhensions accumulées ces derniers mois » ainsi s’exprimait mi-avril Nicolas Sarkozy [1]. Avec les limites qu’impose la fonction de président du principal parti bourgeois, celui-ci a plutôt une bonne analyse de la situation actuelle.
En effet, les enjeux du référendum sur la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe (TCE) sont de plus en plus évidents pour les exploités et les opprimés. Il s’agit ni plus ni moins que de constitutionnaliser le capitalisme au travers d’institutions supra-étatiques. Ces institutions échappant pratiquement au contrôle du suffrage universel, ce dernier fut-il partiel et limité comme dans la constitution de la 5e République. Ces institutions, tant au niveau européen que national, ayant comme mission exclusive de servir le capitalisme ; et pour qu’il y ait aucune ambiguïté la partie III du TCE impose une politique économique libérale stricte [2] pendant que la partie II, dite « charte des droits fondamentaux », expose des « droits » à minima dont l’application n’est nullement contraignante et dont l’interprétation est laissée au bon jugement de la Cour de justice de l’Union européenne.
Certes, il n’y a vraiment rien de bien nouveau sous le joug du système d’exploitation de l’homme par l’homme. L’Etat n’a jamais été une structure objective au-dessus des classes sociales et de leur lutte permanente, il a toujours été au service de la classe dominante dans la société, il n’a toujours été « qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière » [3]. Aujourd’hui confrontées à la mondialisation, à la concurrence des États-Unis et à celle de puissances émergentes comme la Chine, les bourgeoisies européennes ont visiblement besoin d’un « comité central ». Au travers de l’histoire, l’État bourgeois fut contraint, sous la pression de la lutte de classe, d’intégrer plus ou moins les revendications ouvrières (sécurité sociale, services publics) selon la puissance du rapport de forces. Aujourd’hui, les bourgeoisies européennes annoncent clairement leur intention commune, chacune dans leur État n’en n’ayant plus les moyens, de se libérer de ces contraintes.
A la lumière de l’expérience depuis la mise en œuvre du traité de Maastricht et de l’euro, la tentation du Non est plus que compréhensible. A la lumière du rejet des effets sociaux et économiques dramatiques dans divers États membres de l’Union européenne il n’est pas certain que les bourgeoisies européennes soient en mesure d’atteindre l’objectif décrit dans le TCE. L’explication la plus explicite de cet objectif a été donné par Charles Wyplosz, expert es-économie, : « Que nous le voulions ou non, la technologie progresse, et la Chine et l’Inde s’intègrent à l’économie mondiale. Tout cela annonce des opportunités excitantes pour ceux qui savent en profiter. Bien sûr, tous n’en profiteront pas, et certains en pâtiront. Mais le protectionnisme ne protègera pas les perdants, il ne fera que paralyser les gagnants. Le monde change, et nous n’avons pas d’autre choix que de changer aussi. Voilà de quoi méditer d’ici au 29 mai. » [4] C’est tout méditer Monsieur l’expert, les « perdants » se rebiffent. La meilleure façon d’enrayer cet objectif, pour être en situation de le réduire à néant, c’est de voter massivement Non le 29 mai.
Dans un premier temps, il est indispensable de bien prendre la mesure de toute la portée du principe constitutionnel de « la concurrence libre et non faussée. » Il est hors de question de se laisser endormir parce que ce principe existe dans les traités européens depuis 1957 et le traité de Rome. En fait il s’agit d’un principe aussi vieux que le capitalisme lui-même dont l’État, à son service, a plus ou moins appliqué en fonction du rapport de force de la lutte de classe ou de l’intensité des contradictions entre les intérêts des bourgeoisies. C’est ainsi qu’aujourd’hui, l’État le plus attaché au libéralisme économique, les États-Unis, n’hésite pas à user et abuser de méthodes protectionnistes ou à faire flotter sa monnaie au moment où les libéraux de l’Union européenne décident de se l’interdire.
La « concurrence libre et non faussée » vue du côté patronal c’est la loi du plus fort, celui-ci absorbant les plus faibles avec son cortège de chômage et de délocalisations. Au bout du processus il ne devrait rester qu’un seul gigantesque monopole mondial, c’est-à-dire le strict opposé à la « concurrence libre et non faussée », à moins qu’entre temps les États bourgeois protecteurs de « leurs » entreprises se fassent la guerre pour mettre un peu d’ordre dans l’anarchie de la « concurrence libre et non faussée. » Cette dernière vue du côté des exploités ce n’est ni plus ni moins que les luttes fratricides, la guerre civile. En effet, les travailleurs les plus mal rémunérés, disposant d’une protection sociale au rabais ou carrément sans protection sociale auront plus de possibilités que les autres d’exercer le « droit à travailler » octroyé par l’article 75 du TCE. Que l’on ne vienne pas nous dire que nous cherchons à inquiéter les travailleurs, ceci est déjà la réalité. Si ces derniers qui « forme une masse disséminée à travers le pays et émiettée par la concurrence » ne parviennent pas à s’unir, à s’organiser « en classe et donc en parti politique » [5] alors le vide politique sera, à plus ou moins long terme, comblé par des idéologies réactionnaires, nationalistes, régionalistes, communautaristes. C’est ce pointe Sami Naïr dans Le Monde du 6 avril 2005 : « Il est curieux de voir que les élites européennes, droite et gauche libérale confondues, ne semblent pas s’inquiéter (...) qu’un lent mais puissant mouvement de refus national prend corps en Europe, contre l’Europe. Ce refus national enfle : finira-t-il par se transformer en nationalismes antagoniques. » Et Sami Naïr conclut : « En refusant ce traité constitutionnel, les Français rendraient un immense service à tous les peuples européens. »
Dans un second temps, il est indispensable de refuser de se faire leurrer par « l’économie sociale de marché » évoquée au point 3 de l’article 3 du TCE. Cette « économie sociale de marché » étant présentée par François Hollande comme une grande conquête des sociaux-libéraux et en dernière analyse la seule et unique raison du Oui de gauche quand le secrétaire général du PS ne court pas l’Hexagone en déclarant, sans grand succès pour l’instant, que « si Le Pen ne se fait pas entendre, c’est parce que d’autres font le travail à sa place. » [6]
Un court voyage dans le temps va nous permettre d’éclairer les réelles positions du groupe dirigeant du PS. Les racines de « l’économie sociale de marché » sont à rechercher dans ce qu’il fut appelé l’ordolibéralisme « conçu dans les années trente par les économistes de l’École de Fribourg, sous la direction de Walter Eucken (...) Il est organisé autour de la notion d’ordre, point de départ et d’arrivée de la doctrine. Celle-ci suppose que l’homme est en mesure d’organiser les phénomènes et les processus économiques en fonction d’un modèle librement conçu et scientifiquement défini. Mais cet ordre capable de fonctionner doit être digne de l’homme. » [7] La première tentative de mise en pratique de cette théorie fut réalisée par le démocrate chrétien allemand Ludwig Erhard.
« L’économie sociale de marché » est un système purement libéral établissant une technologie de gouvernement (on parle aujourd’hui de gouvernance) qui ne se contente pas de faire l’apologie de la propriété privée, elle institutionnalise cette dernière. Afin de contourner la lutte des classes, elle pense par contrat ente individus en entre individus et l’État. De quoi faire saliver le MEDEF. Un travailleur sera toujours enclin à rechercher une protection sociale et économique, c’est source évidente de conflits, par contre un consommateur sera plus enclin à préférer la concurrence. Sans pour autant instaurer le laisser faire, l’État produira un cadre juridique. Malgré le discours des libéraux sur la limitation de l’intervention de l’État, il s’agit de l’étatisation de l’économie. On comprend aisément que cela ne peut se faire sous le contrôle de citoyens ignorants et angoissés pour reprendre l’admirable formule de Jacques Chirac le 14 avril sur TF1 : place aux experts indépendants et instruits.
L’économie sociale de marché sacralise la propriété privée en s’appuyant sur un ordre monétaire et financier géré par la Banque centrale européenne et sur un ordre de la concurrence codifié par la partie III du TCE. Cela implique un certain ordre social nécessitant la collaboration des syndicats, cela aussi est clairement indiqué dans le TCE. Comme on peut rapidement s’en rendre compte l’économie sociale de marché n’a rien de social comme peut le comprendre la classe ouvrière, il s’agit simplement de maintenir l’ordre social. Voilà la grande victoire obtenue par les sociaux-démocrates européens qui appellent à voter Oui.
Voilà une des explications entre autres qui justifient la pérennité de la cohabitation entre Chirac d’un côté et Jospin et Hollande de l’autre. Sans exagération aucune, c’est la conclusion qui s’impose de l’éclairante intervention de Jospin sur France 2 le 28 avril quand il a démontré la compatibilité entre le Oui de droite et le Oui de gauche. On connaît les effets négatifs de la cohabitation gouvernementale de 1997 à 2002, ceux qui l’ont sanctionné s’apprêtent à le refaire le 29 mai, mais cette fois dans l’unité. Le rejet de cette politique a conduit à l’accroissement du taux d’abstention et au vote pour le FN, aujourd’hui nous vivons un processus de prise de conscience et de politisation qui s’exprimera massivement dans le vote Non.
La bataille pour le vote Non est une bataille sociale avec un réel contenu de classe. C’est une synthèse des luttes contre l’enracinement du chômage, de la perte du pouvoir d’achat, de la précarité, de la paupérisation au moment où les actionnaires des entreprises du CAC40 et les PDG de ces mêmes entreprises affichent des revenus scandaleusement exorbitants. C’est une synthèse des luttes contre les délocalisations, les licenciements de masse, contre les privatisations, la destruction de notre système de protection sociale (retraites, assurance maladie), et contre l’adaptation cynique de l’école au capitalisme. La bataille pour le Non est une bataille politique qui synthétise le rejet des politiques menées par les gérants du capitalisme qu’ils soient de droite ou de gauche libérale, qu’ils siègent à Paris ou à Bruxelles.
Deux logiques nettement distinctes s’affrontent. Pour paraphraser Raffarin, il s’agit de la logique de la France d’en bas qui s’engage dans une contestation sociale généralisée de la logique de la France d’en haut. L’approche respective de l’Europe est également diamétralement opposée entre ces deux France. D’un côté nous avons toutes les fractions politiques aspirant à assumer la fonction de gérant du capitalisme, le patronat, les experts, les actionnaires, quasiment tous les médias et même les Églises [8]. De l’autre côté nous trouvons les salariés du privé et du public, les chômeurs, tous les laissés pour compte, la jeunesse sans oublier la fraction des exploités et des opprimés privés de tout droit de citoyenneté plus couramment appelés « immigrés ». La bataille pour le Non dessine peu à peu une ligne de partage de classe.
Cette bataille présente un fait nouveau politiquement capital et incontournable. Sur le lieu d’exploitation, sur le lieu d’habitation se retrouvent au coude à coude dans la lutte pour faire triompher le Non le 29 mai les communistes, les dissidents socialistes, les dissidents des Verts, les trotskystes [9], les syndicalistes qui refusent le syndicalisme d’accompagnement, les altermondialistes.
La campagne électorale actuelle regroupe des énergies différentes dont l’unité est porteuse d’une réelle alternative anticapitaliste en France et en Europe. Une victoire du Non sera une cuisante défaite pour tous les gérants et les agents de la dictature des actionnaires. Une victoire du Non impliquera l’abrogation de tous les traités antérieurs de Rome à Nice en passant par Maastricht et Amsterdam. C’est désormais au niveau européen que se situe l’enjeu de l’alliance des exploités et des opprimés en ouvrant la perspective d’une Union de Républiques socialistes en Europe. Une victoire du Non posera ouvertement la question de chasser Chirac, son gouvernement et sa majorité parlementaire pour les remplacer par un gouvernement et une majorité parlementaire tout aussi au service de la classe ouvrière qu’eux le sont du patronat. Même si le Président a annoncé son intention de s’enfermer à l’Élysée, soyons réalistes aucune classe sociale ne pourra attendre tranquillement les échéances de 2007, la sourde lutte qui se manifeste dans les allées du pouvoir l’atteste.
Décidément, tout milite pour que la campagne électorale pour la victoire du Non au TCE et à Chirac ne reste pas sans suite. Demain sera ce que tous ceux et toutes celles qui se battent aujourd’hui ensemble seront capables de continuer. Toutes les forces politiques du mouvement ouvrier sont placées devant leurs responsabilités.
Emile Fabrol
de Prométhée, revue communiste (numéro 61, 2e trimestre 2005)
http://perso.wanadoo.fr/gauchecomm
1.- Le Monde du 14 avril 2005.
2.- Voir les numéros 59 et 60 de Prométhée. Envoi contre 6 €.
3.- Marx et Engels, Le Manifeste du parti communiste.
4.- Le Monde du 23 avril 2005.
5.- Marx et Engels, Le Manifeste du parti communiste.
6.- Le Monde du 12 avril 2005.
7.- Gérard Schneilin, L’Economie sociale de marché, facteur d’intégration ? Éditions du Temps, 2000.
8.- Le Conseil des Églises chrétiennes qui réunit catholiques, protestants et orthodoxes déclare : « Nous nous félicitons de la reconnaissance par le traité de l’identité particulière des Églises et de leur contribution spécifique au débat public. » (Le Monde du 31 mars 2005.)
9.- Nous ne pouvons que regretter que les camarades de Lutte ouvrière se limitent à un engagement minimum et que le Parti des travailleurs ainsi que certains courants du PCF fassent cavalier seul sur un thème différent de la campagne commune (défense de la république une et indivisible)