Accueil > Notes d’Interférences Urbaines

Notes d’Interférences Urbaines

Publie le vendredi 26 janvier 2007 par Open-Publishing

de Fabrizio Violante traduit de l’italien par Karl&Rosa

Les villes sont un immense laboratoire expérimental,
théâtre des échecs et des succès de la construction et de l’architecture
. Jane Jacobs

J’avoue en avoir raté l’inauguration en juin dernier, mais je me suis rattrapé par la suite : le nouveau musée de Paris, je l’ai diligemment visité par une grise journée de novembre, sans plus les longues queues à l’entrée. Certes, les 40 000 mètres carrés du Musée du quai de Branly, célébré sans trop y penser par une grande partie des médias français comme l’emblème du dialogue entre les cultures, étourdissent.

Le dernier grand monument de la capitale française, gloire du président Chirac, est sûrement, grâce au projet de Jean Nouvel, un geste architectural radical, hybride, coloré, théâtral, audacieux bien que sans la rhétorique d’autres grandes architectures parisiennes, comme la Grande Arche de la Défense.

Toutefois, échappé à la pénombre du parcours suggestif à plusieurs niveaux parmi les myriades étourdissantes et fatalement hétérogènes d’objet exotiques exposés (pour la plupart butin des années pas si lointaines du colonialisme), je ne suis pas arrivé à me cacher un grand défaut de ce musée, son autoréférentialité. L’édifice s’enferme à l’intérieur de son enceinte en s’entourant d’un parc très vert – dessiné par le paysagiste Gilles Clément, qui a déjà réalisé dans cette même ville le Parc Citroën – défendu par un haut mur de verre, renonçant ainsi à participer à la ville.

Je pense que – à mille milles de là – quelque chose de semblable s’est passé dans l’aire ex Fiat de Novoli [un quartier périphérique de Florence, NdT] (nous en avons parlé dans ces pages d’innombrables fois), où l’on a fait un concentré de fonctions en renonçant à la réalisation d’un véritable projet urbain, pouvant servir la ville existante et interagir avec elle. Le quartier qui en est résulté, dans un style pittoresque néo XIX siècle, avec son rappel absurde du langage architectural du Florence historique, dans la périphérie où il a été parachuté n’est qu’un triste, grotesque martien.

Il est vrai que l’architecture ne peut pas, à elle seule, redéfinir des méthodes d’enquête et des stratégies de gouvernement de la ville contemporaine, mais il est évident qu’aujourd’hui plus que jamais elle doit considérer sa responsabilité sociale et récupérer son rôle politique dans la vie de la ville même sans se perdre dans d’inutiles soliloques.

Le monde s’urbanise inexorablement sans aucun respect pour les lieux et les personnes, la croissance des villes se traduit trop souvent en spéculation, et les architectes ne peuvent pas rester indifférents face aux phénomènes d’exclusion, d’exploitation, de violence qui en découlent inévitablement. La peur de la pauvreté, de l’immigration ne peut pas se traduire en des politiques urbaines de réduction de l’espace public, de même que l’urgence ne peut pas imposer ses non règles : c’est au nom de l’urgence qu’en France on a bâti les grands ensembles avec les conséquences qui sont désormais connues de tous. Ainsi les architectes doivent revenir à s’interroger sur le grand thème de la résidence, sans se laisser vaincre par les logiques du marché qui ne font qu’accroître les exclusions sociales et spatiales – comme c’est le cas, par exemple, de l’intervention de Milan Santa Giulia projetée par Foster, en évidence à la Biennale de Venise, dont notre dépliant s’est déjà occupé.

Justement à la Biennale, consacrée au thème urbain, ce qui a le plus frappé les visiteurs dans la quantité d’informations offertes par la réalisation des Corderie, ont été les gigantographies des villes vues d’en haut, parce qu’à nous, les architectes, habitués à lire des cartographies, des planimétries, des plans, ces vues donnaient l’illusion de lire une véritable graphie de la ville, son écriture de pierres, de pleins et de vides, d’ombres et de lumières, en oubliant que, au contraire, la ville est en réalité en bas, où on ne peut que s’immerger dans ses conflits et en repérer les nœuds problématiques. Très simplement je veux dire que les architectes ne devraient pas la voir à distance la ville et c’est là la faute la plus évidente qui a été commise aussi à la Biennale, qui n’a présenté que de simples lectures des phénomènes urbains contemporains, en finissant par ne pas réussir à problématiser à fond la question urbaine, qui aujourd’hui nous entraîne inévitablement tous.

Nous devons faire les comptes avec l’organisme réel de la ville, dévoiler son fonctionnement concret, parce que, comme c’est naturel, la ville est l’indice le plus évident de notre société, le lieu de la coagulation de ses expressions les plus importantes et de ses problématiques cruciales.

Il y a longtemps déjà, Henri Lefebvre affirmait que pour construire une société nouvelle il faut construire une ville nouvelle…