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Nouveaux défis pour la gauche radicale. Emancipation et individualité

Publie le jeudi 23 décembre 2004 par Open-Publishing
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de Antoine ARTOUS, Olivier BESANCENOT, Philippe CORCUFF

Les auteurs : ANTOINE ARTOUS est professeur de Sciences politiques. OLIVIER BESANCENOT a été candidat LCR lors de l’élection présidentielle de 2002. Il est aujourd’hui porte-parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire et toujours facteur à La Poste. PHILIPPE CORCUFF est maître de conférences en sciences politiques à l’IEP de Lyon.
Tous les trois sont membres de la LCR mais incarnent trois générations différentes : Artous est né en 1946, Corcuff en 1960 et Besancenot en 1974.

Le Livre : La réflexion sur une hypothétique « social-démocratie libertaire » est l’objet de ce livre. Le Parti socialiste aurait-il le monopole de la pensée « sociale-démocrate »,de sa tradition politique ? Les trois auteurs font la démonstration inverse.

La question serait donc celle-ci : « Tous fils de Jaurès ? » ou « Quels fils de Jaurès sommes-nous devenus ? »
Un livre qui met à jour les débats politiques de fond qui nourrissent la vie de l’extrême gauche : faut-il participer au gouvernement en s’alliant au Parti socialiste ? Voilà une des questions implicites que ce livre propose.

Philippe CORCUFF pose les termes du débats ainsi : « Une nouvelle politique d’émancipation qui puise dans les traditions républicaine et socialiste, mais innove aussi face à des défis renouvelés (comme la question individualiste, la question écologiste et la question féministe), et donc une politique post-républicaine et post-socialiste, dont les convergences entre l’ancien mouvement ouvrier et la galaxie altermondialiste pourraient être un creuset. »

Au moment où la social-démocratie européenne s’est largement transformée en social-libéralisme sous le choc des contre-réformes libérales des années 1980, il apparaît important de revaloriser les thèmes du service public et de l’Etat-providence souvent associés à cette social-démocratie.
Provocation, diront certains pour qui « social-démocratie = trahison ». Il faut parfois quitter les rivages rassurants de la rhétorique gauchiste pour aborder les enjeux du temps présent avec moins de préjugés. Le mot « social-démocratie », comme les mots « socialisme » ou « communisme », ont eu des histoires compliquées et des usages divers. La social-démocratie de référence - avec les figures du socialisme républicain de Jean Jaurès, le socialisme démocratique et révolutionnaire de Rosa Luxemburg ou l’austro-marxisme d’Otto Bauer - n’a pas nécessairement la couleur de « la trahison ». Mais elle a le sens des chausse-trappes que nous réserve la confrontation avec la réalité et avec l’histoire. Loin de la pureté des identités « révolutionnaires » qui ne mettent jamais les mains dans le cambouis de la complexité du monde, de peur des éclaboussures, elle a l’intuition des difficultés et des contradictions de la transformation sociale, voire de ses possibilités tragiques. C’est pourquoi elle a le sens du compromis, tout en s’efforçant d’éviter les compromissions.

Antoine ARTOUS met en cause les facilités rhétoriques, marxiennes et marxistes, sur « le dépérissement de l’Etat » dans la société communiste, entendu comme « la fin de tout pouvoir politique ». Contre cette illusion d’une société débarrassée de ses principales contradictions et qui n’aurait plus besoin d’institutions de réglage des conflits, ni de supports institutionnels à l’autonomie individuelle (à travers des dispositifs juridiques garantissant la citoyenneté et des institutions garantissant une sécurité sociale), il considère que « la question à poser est celle de l’articulation - possible ou non - de pratiques de démocratie directe avec un système représentatif ».

Olivier BESANCENOT vient au final évoquer la question du débouché politique de cette « social-démocratie libertaire » dans un vaste entretien. Un entretien magnifique qui exprime, d’une certaine façon, la part d’engagement de la génération des trentenaires. Un discours, simple, accessible qui dévoile que la question de « l’individu » n’est pas l’exclusivité de la pensée conservatrice.
« Je fais partie d’une génération du crédible et du possible, justement. On n’est pas de la génération "Faites !". On est de la génération "On fait ensemble ou on ne fait pas". Soit on arrive à faire ensemble, soit on fait autre chose. Car si on n’y arrive pas, c’est que ça ne fonctionne pas. »
Un livre tout public qui pose la question du débouché politique de l’extrême-gauche et, plus généralement, des divers mouvements altermondialistes.

Un livre qui apporte un regard neuf sur la question de « l’individu ».

Un livre d’une totale actualité, essentiel pour comprendre les futures relations à gauche entre la LCR, le Parti Socialiste, le Parti communiste et les Verts.

Leurs dernières publications :
Antoine Artous a publié Travail et émancipation sociale, syllepse, 2003, _ Marx, l’Etat et la politique, syllepse, 1999.
Olivier Besancenot a publié Tout est à nous ! Denoël, 2002 et Révolution, cent mots pour tout changer, Flammarion, 2003.
Philippe Corcuff a publié, entre autres, La Société de verre, Armand colin, Bourdieu autrement, Textuel, 2003, La Question individualiste, le Bord De L’eau, 2003 et Prises de tête pour une gauche de gauche, textuel, 2004.

Extraits
Olivier BESANCENOT

Je réclame en tant qu’individu, qu’on me fasse confiance quand je refuse de faire quelque chose. Ce n’est pas facile. Ça peut provoquer des tensions. Il peut y avoir une part d’incompréhension. Je pense par exemple à des militants de la Ligue qui demandent depuis longtemps un meeting avec moi, et qui disent : « Putain, mais Olivier, il serait pas en train de jouer sa star ? On le voit sur les plateaux télé, on le voit là... ». Mais, au fur et à mesure, ils vont comprendre. Il y a ma vie privée, il y a ma vie professionnelle et il y a ma vie politique. Ce n’est pas un tiers chacun, ça ne se passe pas comme ça. C’est forcément source de tensions, je ne bluffe personne. Je pense que c’est le lot de tous ceux qui commencent à militer aujourd’hui. Si on arrive à faire ça, on n’effraiera personne, et surtout on prouvera que c’est possible. Or je fais partie d’une génération du crédible et du possible, justement. On n’est pas de la génération « Faites ! ». On est de la génération « On fait ensemble ou on ne fait pas ». Soit on arrive à faire ensemble, soit on fait autre chose. Car si on n’y arrive pas, c’est que ça ne fonctionne pas.

Tu sais, nous sommes assez pragmatiques. Nous avons le souci d’efficacité. On a toujours vécu comme ça.
Mais il y existe un autre problème politique, qui constitue une nouveauté du côté militant. D’une part, il ne peut pas y avoir de dissociation entre le je et le nous dans l’engagement politique. D’autre part, est-ce qu’il n’y a pas une séparation entre ta vie privée, vraiment privée, à toi, et ton engagement politique ? Moi je crois qu’il y en a bien une qu’il s’agit de préserver, même si la politique rentre dans ta vie privée, c’est évident. Mais tu as quelque chose comme un droit à la protection. Dans ma génération, ça fait aussi partie des questions qu’on se pose. On demande à pouvoir vivre tranquillement sa vie sans que le parti se permette de la juger, dans un sens comme dans un autre d’ailleurs. Ce qui ne veut pas dire que, politiquement, tu n’as pas le droit de discuter ensemble et de décider ensemble des cadres collectifs de vie, y compris dans des domaines de la vie privée, sur les questions de la violence faite aux femmes, sur les questions de sexualité, etc. Mais, au bout d’un moment, tu as une part purement intime. Et ça, je pense que c’est quelque chose d’essentiel. O.B

http://www.editionsbdl.com/corcuff%20emancipation.html

Messages

  • C’est tout à fait intéressant qu’à la LCR, on se penche sur cette question de la subjectivation politique. C’est intéressant qu’on le fasse du côté même de l’organisation politique, car cela participe d’un renversement de perspective, d’une sortie de l’extériorité du parti (ce que j’avais noté dans le texte de Bertinoti pour le PRC), et peut-être d’une modification du rapport militant, de la relation politique. Un changement paradigmatique, autrement dit, par rapport à la conception traditionnelle du parti "de la classe ouvrière", qui a fait faillite. Et au-delà, mais les auteurs ne l’entendent peut-être pas ainsi : l’émancipation ne peut plus être seulement l’affaire d’un parti, mais celle de tous et partout, dans la construction d’une hégémonie sociétale des idées anticapitalistes sociales, écologiques, féministes, qui se déterminent réciproquement.

    En tout cas, cela recoupe mes cogitations dans CARREFOUR DES ÉMANCIPATIONS, et la nécessité de tisser stratégiquement tous les combats émancipateurs, individuels et collectifs. Voir plus précisément 3) POLITIQUE DU SUJET

    Patlotch@free.fr

    • Enfin des commentaires constructifs sur internet. Merci à l’ami Patlotch ! Il y a si souvent de simples jugements de goûts non argumentés, lancés de manière lapidaire ("c’est génial !", "c’est nul !", etc.), avec une priorité pour le démolissage ("c’est un traître !", "c’est un salaud !"...). Là sont mises en parallèle les pistes lancées par le livre présenté par Bellaciao et les réflexions propres de Patlotch, avec un lien pour se rendre compte dans le détail. Pourvu qu’il y ait d’autres contributions de ce type...et que les Adorateurs et autres Procureurs délaissent un peu le clavier et aillent s’occuper de leur ego ailleurs que dans l’exposition publique de leurs rêves de grandeur par "grands personnages" interposés, de leurs frustrations et de leurs ressentiments ! Que les idées et les arguments envahissent la planète internet plutôt que l’anti-intellectualisme ambiant qui tente de se faire passer pour "intelligent" par de pauvres effets rhétoriques.

      Un rationaliste inquiet, mais pas complètement pessimiste

  • Antoine ARTOUS, Philippe CORCUFF

    Nouveaux défis pour la gauche radicale - Émancipation et individualité

    « Individus », « individualisme », « épanouissement personnel », « créativité personnelle », « intimité », etc. : ce sont des expressions particulièrement présentes dans le vocabulaire contemporain. Renvoient-elles seulement à des « illusions » fabriquées par la société marchande ? À une « manipulation » par le système capitaliste ? Pas tout à fait, pas seulement, répondent les auteurs de ce livre de dialogue. Certes, le capitalisme a alimenté historiquement et alimente encore l’individualisation de nos sociétés (sous la forme d’un « nouvel esprit du capitalisme », encourageant la mobilité, l’autonomie et la flexibilité, pour répondre à ses difficultés et trouver de nouveaux chemins de profit). Mais d’autres logiques sociales, en interaction avec la dynamique du capitalisme, ont nourri l’individualisme contemporain : consolidation d’une intériorité personnelle, figure de la citoyenneté propre à l’individualisme démocratique, transformations des rapports entre espace public et sphère privée, processus relatif d’émancipation féminine, émergence des droits des enfants, bouleversements des structures familiales et des rapports à la sexualité, notamment.

    Nous avons affaire à des individus de plus en plus individualisés, notait le sociologue Norbert Elias. Or le propre de l’anticapitalisme, depuis Marx, n’était-il pas, à la différence des rêveries utopiques, de partir des « individus réels » et non d’« individus imaginaires » tels qu’on voudrait qu’ils soient ?

    Mais la gauche en général et la gauche radicale en particulier ont pris du retard dans le traitement de ces problèmes. Le mouvement ouvrier a ainsi longtemps été dominé par un discours « collectiviste » ne se préoccupant guère de l’individualité. Aujourd’hui encore, le syndicalisme, les nouveaux mouvements sociaux et la galaxie altermondialiste, dans leur combat contre les logiques individualisantes portées par les contre-réformes néolibérales (privatisation des services publics, démantèlement de la protection sociale, flexibilité du travail, individualisation des salaires, etc.), prennent fréquemment la défense prioritaire du collectif en oubliant l’individuel. Mais doit-on laisser l’individualité au néolibéralisme et au capitalisme ? Les auteurs du livre répondent par la négative. Or, une critique radicale (qui prend les choses « à la racine », selon l’expression de Marx) du capitalisme dispose, dans ses traditions souvent méconnues, de ressources pour traiter « la question individualiste ».

    On peut ainsi lire chez Marx une mise en cause du capitalisme au nom des potentialités créatrices de l’individualité écrasées par la division du travail et par la marchandisation de la vie. On trouvera aussi nombre d’auteurs libertaires (comme Proudhon) attentifs à l’émancipation individuelle dans un cadre collectif. Pour une nouvelle gauche radicale en voie de constitution, le traitement de l’individualité apparaît alors comme un des défis décisifs.

    Ce livre est un livre de débats ; débats qui ont pris comme point de départ un précédent ouvrage de Philippe Corcuff déjà publié aux Éditions Le Bord de l’Eau en 2003 : La question individualiste ­ Stirner, Marx, Durkheim, Proudhon. Les deux textes respectifs d’Antoine Artous (chapitres 1 et 3) et de Philippe Corcuff (chapitres 2 et 4) partent de là, comme d’ailleurs l’entretien avec Olivier Besancenot qui clôt le livre. Des versions initiales, modifiées pour cette édition, des chapitres 1 et 2 ont été publiées par la revue Critique communiste (revue théorique de la Ligue Communiste Révolutionnaire) dans ses numéros 171 (hiver 2004) et 172 (printemps 2004). L’entretien avec Olivier Besancenot est d’abord paru dans la revue ContreTemps (n°11, septembre 2004, Éditions Textuel), revue animée par Daniel Bensaïd ; Olivier Besancenot a ajouté un post-scriptum inédit pour cette édition.

    Antoine Artous, Philippe Corcuff et Olivier Besancenot représentent trois générations distinctes de militants de la LCR. Antoine Artous est né en 1946, il est membre des comités de rédaction de Critique communiste et de ContreTemps. Il se définit comme un « marxiste critique ». Philippe Corcuff est né en 1960. Il est passé, avant la LCR, par le Parti Socialiste et les Verts. Il a été marqué par la sociologie de Pierre Bourdieu et est en quête d’un projet de « social-démocratie libertaire ». Il est membre du comité de rédaction de ContreTemps et du Conseil Scientifique de l’association altermondialiste ATTAC. Olivier Besancenot est né en 1974. Il a été candidat de la LCR à l’élection présidentielle de 2002. Il en est aujourd’hui un des trois porte-parole nationaux. Se qualifiant de « révolutionnaire », il est à la recherche de dialogues avec le mouvement libertaire. Tous trois, avec leurs convergences et leurs divergences, ont conscience que la gauche est à réinventer en ce début de XXIe siècle. « Réinventer », c’est tout à la fois puiser dans les racines de traditions héritées et redéfinir.

    La question de l’individualité leur apparaît comme un axe important de cette redéfinition. Tous trois donnent une figure bigarrée à la LCR et à la nouvelle gauche radicale dont elle pourrait devenir un des creusets. Ce livre intéressera tous ceux qui se soucient encore de l’avenir intellectuel et politique de la gauche ; une gauche qui demeurerait fidèle à la belle perspective d’émancipation individuelle et collective initiée par les Proudhon, Marx, Jaurès, Rosa Luxemburg, Trotski et bien d’autres, dont beaucoup sont restés anonymes.

    * Introduction de Nouveaux défis pour la gauche radicale - Émancipation et individualité d’Antoine Artous et Philippe Corcuff, suivi d’un entretien avec Olivier Besancenot (« Ma génération et l’individualisme »), Éditions Le Bord de l’Eau, 160 pages, décembre 2004, ISBN : 2-915651-01-9, 16 euros

    Antoine Artous a publié Marx, l’État et la politique (Syllepse, 1999) et Travail et émancipation sociale ­ Marx et le travail (Syllepse, 2003).

    Philippe Corcuff a publié, entre autres, La société de verre ­ Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, 2002), Bourdieu autrement (Textuel, 2003), La question individualiste ­ Stirner, Marx, Durkheim, Proudhon (La Bord de l’Eau, 2003) et Prises de tête pour un autre monde ­ Chroniques (Textuel, 2004).


    * SOMMAIRE du livre

    Introduction

    Interrogations marxistes sur « la question individualiste »
    Par Antoine Artous

    . Le procès moderne d’individualisation

    .« Libre association des individus » et appropriation collective

    .« Sortir de l’opposition entre individus et société »

    . Retour sur les débats des années 1970

    . Les relations sociales sont premières

    . Ce qu’est l’individualisme marchand

    . Sur l’apport de la tradition libertaire

    . La citoyenneté moderne comme rupture avec le « holisme »

    . Formes politiques et formes d’individuation

    . Propriété, salariat, individualisme

    . Un retour à Proudhon ?

    Marx déplacé par Bourdieu et par Proudhon
    Par Philippe Corcuff

    . Marx, a-marxisme, post-marxisme

    . La sociologie de Bourdieu à l’assaut des notions de « totalité » et de « système »

    . De certains apports de la tradition libertaire en général et de Proudhon en particulier

    . De la social-démocratie libertaire comme exploration

    L’individu moderne, de Marx à Freud
    Par Antoine Artous

    . Dieu est mort, pas le capitalisme comme système

    . À propos des rapports de production

    . Bourdieu, Marx et la représentation

    . Des formes nouvelles d’individuation

    . La figure du « travailleur libre »

    . L’émergence du « travailleur collectif »

    . Une dynamique contradictoire

    . L’apport de Pierre Naville

    . Les tentations « holistes-collectivistes »

    . Retour sur la citoyenneté et le salariat

    . Sur l’appropriation sociale

    . À propos de Proudhon

    . De Proudhon à Deleuze ?

    . Les courants « anarcho-désirants »

    . Détour par la psychanalyse

    . L’universalité de la condition humaine

    Les enjeux intellectuels et politiques de la pluralité humaine
    Par Philippe Corcuff

    . La critique sociale au défi de la pluralité

    . Les théories sociales comme constructions analogiques (Jean-Claude Passeron)

    . Quand les expériences totalitaires sont révélatrices de certaines inadéquations du marxisme

    . L’émancipation au défi de la pluralité : « la génération Besancenot »

    . La subjectivité moderne en questions : de Freud à Negri

    . Une bonne dose de pragmatisme dans l’anticapitalisme !

    Ma génération et l’individualisme
    Par Olivier Besancenot
    Entretien avec Philippe Corcuff

    Post-scriptum inédit à l’entretien
    Par Olivier Besancenot (octobre 2004)

    * Pour tout contact : Éditions Le Bord de l’Eau - B.P. 61 ­ 33360 Latresne (près Bordeaux) ; courriel : borddeleau@wanadoo.fr ; site internet : www.editionsbdl.com . On peut notamment commander le livre sans frais de port à la librairie de la LCR : La Brèche (27 rue Taine - 75012 Paris) : http://www.la-breche.com/

  • "Quels fils de Jaurès sommes-nous devenus ?"...

    Au-delà du verbiage assez pénible des trois protagonistes, le simple fait de poser la question "faut-il s’allier avec le PS ?" ne donne-t-il pas des réponses peu ambigues sur les fils de Jaurès qu’ils vont devenir...?

    Le PS n’a jamais été aussi obscène.
    Sa direction met tout son poids dans la bagarre pour que le oui l’emporte, alors qu’ils savent pertinemment quelles conséquences cela aura pour les services publics en France, dont se soucieraient nos communistes révolutionnaires, si l’on croit important de considérer qu’ils disent la vérité...

    Nos trois compères ne préparent-ils pas le voyage que firent avant eux à la LCR les Dray, Filoche, Weber, à l’OCI les Jospin et autres Cambadélis ?

    • Contrairement à ce que le texte mis sur Bellaciao (écrit par l’éditeur et pas par les auteurs ?) indique, il n’y a rien dans le livre concerné sur une éventuelle discussion avec le PS. Il s’agit, comme l’exprime mieux le sommaire ci-dessus, d’une discussion théorique et non une prise de position conjoncturelle dans le jeu des forces politiques. A l’inverse des Dray, Mélenchon, Weber, Jospin, etc., Corcuff a fait le voyage inverse (16 ans au PS, puis une évolution vers "l’extrême-gauche"). Il a radicalement rompu avec le PS, comme le montre, par exemple, le texte ci-dessous publié dans "Le Monde".

      Un PSophobe

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      L’ADIEU AU PS

      Philippe Corcuff

      J’ai été militant du Parti socialiste de 1977 à 1992. Le congrès de Dijon a clos une période : celle de la possibilité de faire du PS un parti de changement social. Certes, les socialistes français, comme la plupart de leurs homologues européens, ont quitté depuis longtemps les rivages sociaux-démocrates pour s’installer dans le port du social-libéralisme. Mais, aujourd’hui, les espoirs internes d’un nouvel Epinay apparaissent clairement vains. Le marketing (quelques femmes-jeunes-associatifs issus de l’immigration) a remplacé la rénovation des pratiques politiques. Une rhétorique tautologique (“ Nous sommes de gauche puisque nous sommes la gauche ”) a remplacé le projet de société. Le vide politique et intellectuel d’un François Hollande a remplacé la réflexion sur les défis du XXIe siècle.

      Deux forces critiques s’étaient pourtant manifestées après le désastreux 21 avril 2002. Le Nouveau Parti Socialiste d’Arnaud Montebourg pointait la nécessité d’une transformation démocratique tant du fonctionnement du parti que de son projet. Le Nouveau Monde d’Henri Emmanuelli s’opposait à la dérive libérale en mettant l’accent sur la question sociale. Malgré leurs limites, ces courants contestataires exprimaient la fragile possibilité d’un sursaut intérieur. Ils se sont heurtés à une organisation verrouillée par un appareil et rongée par le clientélisme des grands et petits notables. Maintenant que l’échec est là, les voilà au pied du mur : accepteront-ils de devenir les énièmes cautions du principal obstacle à l’émergence d’une autre politique ? Je crains que la très grande majorité ne réponde oui en pratique, du fait du poids conjugué du patriotisme de parti, des auto-illusions générées par le combat interne et des logiques de carrière. Et si la gauche a maintenant à faire ses adieux au PS, c’est à l’immense gauche de l’extérieur de s’y atteler.

      Cette gauche de l’extérieur, ce sont les forces réactivées du mouvement syndical et des nouveaux mouvements sociaux, qui trouvent de nouvelles perspectives internationales avec la protestation alter-mondialiste. Si les services publics sont apparus à la pointe du combat contre l’insécurité sociale, c’est aussi, comme en 1995, en solidarité avec le secteur privé et les précaires encore davantage menacés par le rouleau compresseur lancé contre les garanties collectives de l’autonomie individuelle. Et puis, il y a tous ceux pour qui le vote a perdu son sens, sous le double effet des déceptions politiques successives et des progrès de l’individualisme.

      Bien sûr, le PS garde encore des militants et des électeurs. Si certains continuent ainsi à adhérer, c’est souvent moins au contenu d’une politique qu’à une posture identitaire. Sur la pente individualiste, qui conduit beaucoup d’autres à se désintéresser totalement des jeux politiques, des personnes peuvent puiser dans cette adhésion des coordonnées identitaires principalement pour elles-mêmes (du type “ Je suis de gauche, donc différent des corrompus de droite ”).

      Par contre, du côté des politiques menées, on demeure dans l’orbite du “ pas très différent ” de la droite. En dehors de la matraque sécuritaire, qui entretient dangereusement une ethnicisation des rapports sociaux, la politique économique et sociale de Raffarin ressemble moins à l’ultra-libéralisme de Thatcher et Reagan qu’au social-libéralisme de Mitterrand, Jospin et Blair. La stratégie de coucou du PS dans les mobilisations sur les retraites (planquer ses œufs politiciens dans le nid de la contestation sociale) ne doit pas nous faire oublier qu’il avait dans ses cartons des projets similaires. D’ailleurs, tant dans les grèves des services publics que dans le mouvement alter-mondialiste, ses tentatives électoralistes de récupération n’ont guère été audibles.

      Et pourtant nous sommes face à des enjeux politiques et intellectuels de taille. Pierre Rosanvallon a raison sur le diagnostic : “ Tout le projet d’émancipation est à refonder ” (Le Monde du 16 mai). Mais les tenants de l’ex-Fondation Saint-Simon ont le culot d’utiliser le beau mot d’“ émancipation ” pour donner une couleur attrayante à l’éternisation de “ la démocratie de marché ”. Or, si l’émancipation républicaine comme l’émancipation socialiste connaissent aujourd’hui un épuisement relatif, ce n’est pas avec un en deçà (l’abandon de fait de l’émancipation pour se noyer dans le bouillon marchand) qu’on pourra inventer un nouveau projet de civilisation. On aura besoin de ressources républicaines et socialistes, même si elles ne seront pas suffisantes.

      En nommant fallacieusement “ réformisme ” la démission sociale-libérale, Rosanvallon abandonne ce qui constituait l’aiguillon utopique de la tradition socialiste : l’horizon d’une société post-capitaliste. Chez Jaurès, la dynamique des réformes se nourrissait de la possibilité d’une autre société. Sans cet horizon, on risque de ne plus vraiment réformer.

      L’anticapitalisme apparaît donc toujours comme un point de passage obligé d’une nouvelle politique d’émancipation, car le capitalisme est toujours là, injuste et oppresseur. Mais l’anticapitalisme ne peut plus être le cœur exclusif d’une démarche émancipatrice. Ni la question individualiste, ni la question écologiste, ni la question féministe ne trouveront un traitement pertinent dans le seul cadre anticapitaliste. Il s’agit, plus radicalement, d’inventer une politique de la pluralité qui associe, dans un esprit post-capitaliste, les aspirations de l’individualité et les protections de la solidarité collective, l’humeur anti-institutionnelle des nouvelles générations contestataires et leur défense de la sécurité sociale. Une social-démocratie libertaire en quelque sorte.

      Ce renouveau de l’émancipation apparaît déjà en germe dans les luttes actuelles. Mais il doit aussi pouvoir trouver des cristallisations dans l’espace politique, tout en garantissant scrupuleusement l’indépendance et la critique réciproque des mouvements sociaux et des partis. La politique partisane n’est certes pas le principal, mais le 21 avril 2002 a montré qu’on aurait tort de négliger cette composante. La campagne présidentielle d’Olivier Besancenot a commencé à travailler dans le sens de l’émergence d’une nouvelle gauche radicale et plurielle. Par contre, les appels prématurés à la constitution de réseaux anti-libéraux allant du PS à l’extrême-gauche, malgré les bonnes intentions unitaires et rénovatrices de leurs initiateurs, risquent simplement de servir à rabattre les électeurs et les militants critiques vers un PS hégémonique, en tuant dans l’œuf la gauche radicale naissante, comme cela a déjà été fait pour les Verts. Envisager des alliances politiques larges incluant d’une façon ou d’une autre les socialistes, avec d’éventuelles dimensions électorales, n’aura pas de sens tant que la nouvelle gauche radicale ne stabilisera pas un fort écho dans les luttes sociales et une audience électorale suffisante pour peser significativement sur les choix politiques.

      A court et moyen terme, l’adieu au PS et la priorité donnée à la construction de la gauche radicale constituent les deux faces stratégiques d’un même projet politique de sortie de l’impasse.

      Paru dans Le Monde

      Vendredi 4 juillet 2003

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