Accueil > On a volé le métier des conseillers ANPE
Près d’un tiers des agents étaient en grève hier contre le suivi mensualisé, vécu comme un flicage des chômeurs.
de Sonya FAURE
Une centaine de manifestants pour un pique-nique dans la rue de Grenelle, devant le ministère de l’Emploi et de la Cohésion sociale. Et 29 % de grévistes dans les agences ANPE, selon les syndicats. Six d’entre eux (Snap-CFTC, CFDT, CGT, FO, SNU et SUD) avaient appelé hier à la grève pour protester contre la mise en place, depuis janvier, du suivi mensualisé et du contrôle des chômeurs. Associations de chômeurs, syndicats des missions locales pour l’insertion des jeunes ou agents de l’ANPE, ils expliquent pourquoi le contrôle des chômeurs rend plus pénible le travail des conseillers, sans améliorer le sort des demandeurs d’emploi.
Philippe Sabater
Elu SNU ANPE FSU
« Les chômeurs non indemnisés vont se décourager »
« Nous sommes devenus le bras armé d’un Villepin qui a un genou à terre... et compte sur la baisse des chiffres du chômage pour regagner l’opinion. Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir dire aux demandeurs d’emploi, en les rencontrant chaque mois, tant qu’on n’aura pas de travail à leur proposer, faute de croissance économique ? Proposer une formation ? Leur nombre a baissé, elles sont de moins en moins longues et qualifiantes, car ça coûte trop cher à l’Etat... Si les chiffres du chômage baissent avec ce "suivi" mensualisé, c’est parce qu’il va décourager les chômeurs de "pointer". Aujourd’hui, seuls 48 % des inscrits à l’ANPE sont indemnisés. Les autres risquent de ne pas supporter qu’on les fasse venir tous les mois pour rien. Ils ne se présenteront plus et se feront automatiquement radier pour absence au contrôle. Les conseillers ont l’impression qu’on leur a volé leur métier ; avant, on construisait un parcours professionnel avec un chômeur. Ça devient du contrôle. Cette mesure va créer des tensions des deux côtés du guichet, entre conseillers surchargés et chômeurs "fliqués". »
Vincent Strobel
Elu CGT ANPE
« Comme si l’on pouvait caser facilement tout le monde »
« Le suivi mensuel rejoint le discours gouvernemental qui sous-entend que les statistiques de l’ANPE seraient remplies de "faux" chômeurs qui ne cherchent pas vraiment à travailler. Comme si l’on pouvait facilement "caser" tout le monde. Certains vivent dans des départements sinistrés, d’autres ne sont pas mobiles, ou trop spécialisés dans un domaine qui ne recrute pas. Il y a une pression pour placer les chômeurs dans les fameux secteurs en pénurie de main-d’oeuvre (restauration, BTP, etc.). Les formations que l’ANPE propose sont, par exemple, de plus en plus ciblées sur ces métiers. Alors que si ces secteurs n’arrivent pas à recruter, c’est aussi parce que les conditions de travail y sont pénibles et les salaires trop bas... »
Marc Moreau
Membre du collectif AC ! (Agir contre le chômage !)
« Suspendu deux semaines pour un rendez-vous raté »
« Parmi les chômeurs, on sent la peur qui s’installe... Notre association accompagne de plus en plus de gens "sanctionnés" par l’ANPE. La dernière fois, c’était une jeune intérimaire : elle avait oublié trois fois de déclarer ses périodes de travail, mais avait très vite régularisé sa situation. Malgré cela, elle a été suspendue deux mois et accusée de fraude. Un autre a été suspendu deux semaines parce que son réveil n’avait pas sonné et qu’il ne s’était pas rendu à son rendez-vous à l’ANPE. On dit que les chômeurs ne veulent pas retrouver d’emploi. Ils refusent juste le travail que personne ne veut faire. »
Jean-Philippe Revel
Collectif CGT des missions locales
« On galvaude notre mission »
« Dans les missions locales où nous aidons l’insertion des jeunes, nous commençons aussi à sentir ce discours : "Faites du chiffre." Il faut faire "rentrer" le plus grand nombre de jeunes possible. Il faut en placer un maximum dans les métiers qui peinent à recruter. On galvaude notre mission. C’est devenu : "On vous accompagne, mais où on vous dira d’aller." »
Marie
Au chômage depuis trois ans
« Il nous a répété que nous pouvions être contrôlés »
« En décembre dernier, le directeur de mon agence ANPE nous a réunis à une douzaine de chômeurs et nous a prévenus : dès le mois de janvier, nous serions convoqués tous les mois. Mon deuxième rendez-vous n’a eu lieu que six mois plus tard. Ils nous ont distribué une feuille où nous avons dû inscrire toutes nos activités de recherche d’emploi depuis le début de l’année. Pendant que nous la remplissions consciencieusement, on nous a répété que nous pouvions être contrôlés par l’ANPE ou par les Assedic pour vérifier que l’on cherche "activement" du travail. Il nous a dit de noter le numéro des offres d’emploi auxquelles on postulait, et de garder les réponses des employeurs comme preuves. Et je viens de recevoir une fiche-bilan de ce prétendu entretien qui résume ce que j’avais inscrit sur ma fiche. Comme si j’avais participé à un entretien individuel... »