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"On devient fou, on ne sait pas ce que devient notre famille"
Publie le vendredi 6 octobre 2006 par Open-PublishingBala Keita et Synna Diadie, deux sans-papiers qui vivaient dans le squat de Cachan, ont été expulsés au Mali :
« On devient fou, on ne sait pas ce que devient notre famille »
Par Mélanie MERMOZ
Libé : Mardi 3 octobre 2006 - 06:00
Bamako (Mali) correspondance
Assis à la table d’un snack du centre de Bamako, Bala Keita (37 ans), et Synna Diadie (34 ans), deux des huit ex-squatteurs de Cachan expulsés vers le Mali, ne mangent et ne boivent rien, jeûne du ramadan oblige. Les deux hommes redisent inlassablement leur incompréhension. Renvoyés tous deux du territoire français mi-septembre, jamais ils n’auraient imaginé être séparés des leurs alors qu’ils étaient mariés et pères d’enfants nés en France. « On devient fou, on ne sait pas ce que deviennent nos femmes et nos familles », s’exclament-ils. Les coups de téléphone n’apaisent pas. « Il y a deux jours, Jean-Claude [Amara, de Droits devant ! !, ndlr] m’a appelé, il m’a passé ma femme. Depuis, je n’ai pas de nouvelles », raconte Synna. Même si les associations font tout pour maintenir le lien et donner des nouvelles, l’angoisse demeure. D’autant plus forte pour Synna que sa femme va accoucher de leur deuxième enfant en octobre, sans lui.
Bala Keita et Synna Diadie n’oublieront jamais le 17 août. « Ce jour-là, ma femme m’a appelé sur mon portable pour me dire que le bâtiment était encerclé par la police. J’ai immédiatement quitté le chantier sur lequel je travaillais pour la rejoindre », se souvient Synna. « Je suis monté la chercher et je l’ai aidée à descendre avec notre fille âgée de 18 mois. J’ai pris des affaires. Elle pleurait, la petite aussi. En bas, les policiers nous ont séparés, elle ne voulait pas me lâcher, cinq policiers l’ont tirée en arrière et elle est tombée. Elle était enceinte de sept mois », explique-t-il, la gorge serrée. « A partir de là, je ne les ai plus revues. » Synna est envoyé en centre de rétention, où il est resté un mois avant d’être expulsé.
Si leur coeur est resté en France, il faut bien commencer à organiser la vie au Mali. « Depuis que je suis arrivé, je n’ai rien fait. Je vais de à droite à gauche », dit Bala Keita. Malgré l’accueil que leur a réservé l’Association des Maliens expulsés (AME), c’est difficile de retrouver un pays quitté six ans plus tôt. Nombre de leurs connaissances sont parties. Un ancien collègue de Bala l’héberge, mais il ne sait pas combien de temps cela pourra durer. Il espère trouver la petite somme qui lui permettra de rendre visite à sa mère, qui vit à la campagne, près de Koulikoro (à une centaine de kilomètres de Bamako). Synna aussi aimerait aller à Banda, la petite ville dont il est originaire, près de Kayes. « Pas plus de deux ou trois jours, le temps d’embrasser ma mère, car il n’y a rien pour moi là-bas. » Il a, en effet, vendu la petite boutique qu’il y tenait pour payer son voyage en France en 2000.
Au Mali, pour l’un comme pour l’autre, il ne s’agit que de survie à court terme. Leur but est de retrouver les leurs en France. Ils compulsent leurs documents, en renvoient aux associations de soutien aux immigrés avec lesquels ils sont en contact et dont ils attendent tant. Tous deux ne rêvent que d’un visa pour la France et surtout des papiers qui leur permettront d’y mener une vie normale. Travailler légalement et vivre avec leur famille.