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Opininion publiée dans le quotidien d’oran

Publie le mercredi 21 avril 2004 par Open-Publishing

Par Brahim Senouci

Maître De Conférences

Université De Cergy-Pontoise

C’est sans doute du jamais vu dans les relations internationales. Le peuple
palestinien est occupé, martyrisé, affamé, victime d’un déni de justice
vieux de plus d’un demi-siècle ; son président élu est reclus dans un
bâtiment en ruines et tenu en permanence dans la ligne de mire des snipers.
De plus, la puissance qui l’occupe, Israël, dispose non seulement de la
puissance militaire mais aussi d’un magistère moral auto-proclamé qui lui
confère l’impunité absolue. Ses dirigeants assassinent, violent le droit
international, les conventions de Genève. L’« arbitre » du conflit, l’ami
américain, lui donne régulièrement l’imprimatur pour conduire son oeuvre de
mort.

Mieux, il négocie avec lui l’issue du conflit sans prendre la peine de faire
semblant d’écouter la partie palestinienne. Même du temps des indiens d’
Amérique, Sitting Bull était convié à la table des généraux américains pour
discuter du sort des siens.

En Algérie, naguère, la France, puissance coloniale arrogante, n’a jamais
songé à débattre du sort de ses trois départements algériens avec les seuls
pieds-noirs. Jamais dans l’Histoire, un peuple n’a été, à ce point, tenu à l
’écart de son propre destin. Et tout cela se fait dans le silence
assourdissant des nations « démocratiques » et du monde arabo-musulman.

Il est vrai que ce dernier n’en est pas à sa première couleuvre. Il a avalé
les deux guerres contre l’Irak, la mainmise américaine sur ses richesses
pétrolières, la profanation des sièges les plus sacrés de la mémoire arabe.
Ses dirigeants se préparent en tremblant à l’instauration officielle du
« Grand Moyen-Orient démocratique », autre nom d’un monde arabe domestiqué,
rompant définitivement avec ses rêves de grandeur et de développement. Une
illustration caricaturale de cette régression a été donnée par Moubarak,
Président d’une Egypte qui a longtemps incarné les rêves arabes de
renaissance.

Accueilli par Bush, son protecteur (son tuteur ?), il avait sans doute l’
illusion qu’il pouvait l’influencer dans sa vision du conflit
israélo-palestinien. Il l’a sans doute définitivement perdue après le
passage de Sharon chez ce même Bush et la constatation de la totale identité
de vues entre les deux hommes. On pouvait croire que Bush, lesté du bourbier
irakien, donnerait quelques gages aux Palestiniens. C’est méconnaître les
ressorts de son action. Bush est le client d’une extrême droite américaine
nourrie de christianisme traditionnaliste.

Alors que le sionisme s’estompe en Israël même, il connaît une vigueur
nouvelle dans ces milieux qui cultivent la croyance en l’avènement du Messie
quand Israël régnera sur l’ensemble de la Palestine. Il faut savoir que ces
milieux sont les principaux pourvoyeurs d’aide aux créations et au
développement des colonies dans les territoires occupés, loin devant les
juifs américains. Il ne faut pas pour autant croire qu’ils sont
philosémites. Bien au contraire, ils sont violemment judéophobes. En
témoigne le dernier film de Mel Gibson, la « Passion du Christ », qui est une
charge violente contre le « peuple déicide ». En témoignent également leurs
textes dans lesquels ils promettent, une fois la Palestine « débarrassée » de
ses arabes, les pires supplices aux juifs qui refuseraient alors d’abjurer
leur foi. Il s’agit donc d’une alliance tactique contre l’ennemi commun de l
’heure, l’arabe et le musulman, dans une lutte à mort.

Il n’y a donc aucune volonté de régler ce conflit par une approche
rationnelle. La meilleure preuve en est l’échec de toutes les propositions
de solutions pacifiques. Ainsi, l’offre de paix saoudienne, entérinée par
tous les pays arabes, et qui proposait, non seulement la paix mais aussi la
normalisation totale des relations avec Israël en échange des territoires
occupés, a été balayée d’un revers de main par Sharon. Oslo, Taba, la
feuille de route ont connu le même sort. Ces propositions avaient le tort,
aux yeux d’Israël, de mettre fin à un conflit qui revêt pour lui un
caractère existentiel et d’interdire de fait le rêve du Grand Israël et, aux
yeux de ses supporters intégristes américains, de reporter indéfiniment la
venue du Messie. Le caractère inextricable du conflit vient, non pas de la
difficulté à négocier (il suffit pour cela d’appliquer les résolutions
internationales), mais du refus de négocier et du choix délibéré de la
guerre totale.

Les opinions occidentales, inconsciemment, l’ont compris, en condamnant
Israël (perçu comme la principale menace contre la paix dans le monde, selon
un sondage commandé par l’Union européenne), et en condamnant massivement l’
invasion de l’Irak, démontrant ainsi qu’elles n’étaient pas dupes des
discours sur la liberté et la démocratisation de ce pays. Il faut aller plus
loin que la condamnation.

L’Europe, en particulier, a partiellement compris que sa pérennité ne sera
garantie que par la paix et le codéveloppement avec ses voisins du Sud. Ce
continent, au contraire des Etats-Unis, a connu les guerres et leur cortège
de dévastations et de massacres de masse. Les opinions européennes ont
rompu, depuis longtemps, avec une vision millénariste et sacrificielle du
monde. Elles ne sont pas disposées à remettre leur avenir aux mains d’
apprentis sorciers qui leur promettent un « chaos libérateur ». Elles doivent
peser sur leurs gouvernements pour que soit mis en branle, un processus
alternatif au processus israélo-américain, processus qui conduirait à une
redéfinition générale de l’ordre du monde et qui redonnerait l’espoir du
développement aux peuples du Sud. Ce serait l’unique gage d’une paix
pérenne, fondée sur l’échange et le vivre-ensemble, par opposition à la paix
des cimetières promise par le vrai Axe du Mal, l’axe américano-sioniste.