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PS : le rêve italien et le spectre allemand

Publie le vendredi 8 février 2008 par Open-Publishing

Au-delà du duel éventuel entre Ségolène Royal et Bertrand Delanoë pour prendre la direction d’un Parti socialiste toujours en peine de rénovation, la gauche française pourrait connaître, à la fin de cette année, un moment de vérité. Trois rendez-vous cruciaux - les congrès du PS et du Parti communiste et la création du nouveau parti "anticapitaliste" d’Olivier Besancenot - vont reconfigurer un camp "progressiste" qui, avec 36,44 % des suffrages (extrême gauche comprise) à la dernière élection présidentielle, a atteint son niveau électoral le plus faible depuis quarante ans.

En Italie, sur fond de crise politique, Walter Veltroni tente d’incarner, à la tête du Parti démocratique (PD), une alliance entre héritiers du communisme et de la Démocratie chrétienne. En Allemagne, la concurrence de Die Linke (La Gauche) oblige le SPD à faire le grand écart en participant à un gouvernement de grande coalition avec la CDU d’Angela Merkel tout en gauchisant son discours. En France, le PS, qui rêve, comme le PD italien, de rassembler à lui seul 35 % des électeurs, va devoir se choisir des alliés. A gauche ? Au centre ? A gauche ET au centre ? Les élections municipales lui servent de travaux pratiques avec dans certaines villes, comme Dijon, Roubaix ou Grenoble, des alliances allant du MoDem de François Bayrou au Parti communiste. A Paris, le MoDem va probablement rallier M. Delanoë au second tour.

Au risque de réveiller le spectre allemand - une aile gauche faisant scission pour former un nouveau parti comme Die Linke -, Ségolène Royal, qui était encore à Florence, le 27 janvier, à un meeting de M. Veltroni, trois jours après la chute du gouvernement de Romano Prodi, entretient le rêve italien, celui d’une grande alliance allant du centre à la gauche altermondialiste. Un projet qui rejoint celui que définissait le premier secrétaire du PS, François Hollande, le 13 mai 2007, avec "un grand Parti socialiste qui couvre tout l’espace qui va de la gauche, sans aller jusqu’à l’extrême gauche, jusqu’au centre gauche ou au centre". L’ancienne candidate socialiste à la présidentielle n’a jamais regretté sa main tendue à François Bayrou, avant le deuxième tour, expliquant même dans son livre (Ma plus belle histoire c’est vous, Grasset, 2007) que "cette démarche était politique et ne s’inscrivait pas dans une récupération aventureuse de dernière minute". Il s’agissait pour Mme Royal d’une "alliance en bonne et due forme" avec le centre, comme celle que François Rebsamen, son ancien directeur de campagne, met ouvertement en musique à Dijon en espérant ainsi être réélu maire dès le premier tour.

Quand la présidente de la région Poitou-Charentes veut que le PS redevienne "une force centrale qui s’assume en tant que force centrale à gauche", attirant vers lui les altermondialistes, voire l’extrême gauche, comme les forces de centre et de centre gauche, elle pense à l’exemple de l’Italie. Elle se réfère moins à l’Union - cette alliance de neuf partis qui, sous la houlette de M. Prodi, a emporté les élections de 2006 -, qui s’est révélée incapable de gouverner, qu’au Parti démocratique de M. Veltroni. Non seulement le maire de Rome, ancien communiste, a réussi son pari en fusionnant les démocrates de gauche (ex-communistes) et la Marguerite (centristes) - quitte à ouvrir la voie à une dissidence à gauche qui rêve d’une "Linke" à l’italienne -, mais il a reçu une onction populaire. Le 28 octobre 2007, lors d’une primaire à laquelle ont participé 3,5 millions d’électeurs, et face à quatre autres candidats, M. Veltroni a été élu chef du PD avec 75,82 % des suffrages.

Beaucoup de socialistes rêvent aujourd’hui de telles primaires - dont M. Prodi était venu vanter les mérites au congrès du PS au Mans, le 19 novembre 2005, se faisant ovationner - si elles permettent d’éviter, pour la présidentielle de 2012, la multiplication des candidatures de gauche au premier tour. Mais avec quels partenaires pourra-t-il les organiser ? Sur sa gauche, le brouillard et le vide dominent. Le PCF va de nouveau tester, avec les élections municipales et cantonales, ses capacités de survie. Les Verts peinent à cohabiter dans une maison commune. Le parti "anticapitaliste" de M. Besancenot est hypothétique. Et même Lutte ouvrière d’Arlette Laguiller a des problèmes d’identité, en venant à "suspendre" une fraction hostile aux accords locaux qu’elle a conclus avec... le PS, pour les municipales !

UN "ENSEMBLE GÉLATINEUX"

A sa droite, le PS se retrouve face à un MoDem qui a bien du mal à exister. Sa stratégie municipale à géométrie variable - tantôt avec l’UMP, tantôt avec le PS, tantôt autonome, souvent éclaté - ne facilite pas la clarification nécessaire pour que la question d’une alliance avec le centre, à laquelle une majorité de responsables socialistes, au-delà des amis de Laurent Fabius, semblent actuellement opposés, soit posée au prochain congrès. Au niveau européen, le Parti socialiste européen (PSE), qui rassemble 32 partis, encourage pourtant de telles alliances, en se déclarant ouvert aux "socialistes, sociaux-démocrates, travaillistes et démocrates progressistes". Mais même la Marguerite se refuse toujours à rejoindre le PSE.

Si, à son prochain congrès, le PS se convertissait au rêve italien d’une alliance au centre, le spectre allemand d’une scission ne manquerait pas de resurgir. En Allemagne, Die Linke est née, le 16 juin 2007, d’une fusion entre l’aile gauche du SPD, dirigée par Oskar Lafontaine qui avait quitté le parti qu’il avait présidé suite à son désaccord avec l’orientation "sociale-libérale" de Gerhard Schröder, et les anciens communistes de l’Est du PDS. Sénateur socialiste de l’Essonne et ancien ministre, Jean-Luc Mélenchon anime déjà un club, Pour la République sociale (PRS), qui recrute au-delà du PS. Dans son livre En quête de gauche (Balland, 2007), il dresse un réquisitoire contre "le naufrage social-démocrate" et voit dans le modèle italien - cet "ensemble gélatineux" - "l’alliance sur le moins-disant centriste au nom du rassemblement le plus large".

Partisan d’un "nouveau Front populaire", une union à gauche, voire à l’extrême gauche prête à gouverner, "incompatible avec l’alliance au centre", M. Mélenchon, un des animateurs du camp des "nonistes" de gauche au référendum européen de 2005, suivra-t-il le chemin de M. Lafontaine ? S’il refuse tout "modèle prêt-à-porter" que "l’on n’aurait plus qu’à recopier", il voit dans l’exemple allemand la "preuve qu’il est possible de rompre le cercle vicieux du chantage social-démocrate sur le reste de la gauche et donc de redonner la victoire à la gauche". Et il prête à Mme Royal l’objectif de "démolir le Parti socialiste tel qu’il est". Les élections municipales, les prochaines élections générales en Italie, le positionnement futur du MoDem pèseront lourd dans la recomposition de la gauche qui s’esquisse.

Courriel : noblecourt ftc lemonde.fr.

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