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Pasolini l’irréductible

Publie le mercredi 2 novembre 2005 par Open-Publishing

de Marie-José Sirach

Pier Paolo Pasolini est mort il y a trente ans, sur une plage d’Ostie, dans la nuit, battu à mort. Cinéaste, poète, dramaturge, marxiste et mystique, "en tant que marxiste, je vois le monde sous un angle sacré", Pasolini considère son activité artistique comme un combat, à commencer par son écriture elle-même mais aussi sa conception du théâtre. Il ne se contente pas de l’apport de Brecht, de Grotowski ou d’Artaud.

Il violente ses aînés pour mieux les transcender, pour que le théâtre ne reste pas un art du confinement et du renoncement, mais un art du questionnement, un art subversif. Au théâtre naturaliste et bourgeois, au théâtre « du geste et du cri », il prône résolument un "théâtre de parole", et il pense que c’est le théâtre lui-même qui doit être remis en question.

Visionnaire, le poète Pasolini est de ces artistes qui ne dissocient pas théorie et pratique et dont l’engagement est total dans le sens où chaque aspect forme une seule et même ligne de conduite. Féroce dans ses écrits, ses réflexions et ses analyses sur la société italienne trouvent un écho dans l’Italie berlusconienne d’aujourd’hui.

Il est de ces intellectuels qui anticipent le mouvement du monde à l’aune de sa propre expérience poétique comme sexuelle dans une Italie gangrenée par un capitalisme consumériste. Quelques semaines avant sa mort, il écrira à J. Dufflot : « Cela fait vingt ans que la presse italienne, et en premier lieu la presse écrite, a contribué à faire de ma personne un contre-exemple moral, un proscrit.

Il n’y a pas de doute que mon homophilie a contribué à cette mise au banc de la part de l’opinion publique, l’homophilie qui m’a été imputée toute ma vie comme une marque d’infamie particulièrement emblématique dans le cas que je représente : le sceau d’une abomination humaine dont je serais marqué, et qui, condamnerait tout ce que je suis, ma sensibilité, mon travail, la totalité de mes émotions, de mes sentiments et de mes actions à n’être rien d’autre qu’un camouflage de ce péché fondamental, d’un péché et d’une damnation. » Après sa mort, l’Italie connaîtra comme une accélération de l’histoire avec ses compromissions, ses renoncements, ses assassinats.

Pasolini savait tout ça. Il écrivait dans un article publié en octobre 1974 dans le Corriere della Serra : « Je n’ai pas de preuves. Ni même d’indices. Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain qui s’efforce de suivre tout ce qui se passe, de connaître tout ce que l’on écrit à ce propos, d’imaginer tout ce que l’on ne sait pas ou que l’on tait (...). Tout cela fait partie de mon métier et de l’instinct de mon métier (...). Je crois, d’autre part, que de nombreux intellectuels et romanciers savent ce que je sais en ma qualité d’intellectuel et de romancier, parce que la reconstitution de la vérité sur ce qui s’est passé en Italie après 1968 n’est après tout pas si difficile à effectuer... »

http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-10-31/2005-10-31-817072