Pauvre démocratie française

Petit Point de Vue de Nos Amis de Namur sur 2007 :

Repris sur :
– http://www.newropeans-magazine.org/...

Written by Willy Maskeert
Tuesday, 31 October 2006

Sarkozy-ministre de l’Intérieur, garant de l’impartialité d’une élection avec Sarkozy-candidat
EDITO - Quand on regarde la France ces temps-ci depuis l’Outre-Quiévrain, on se dit que si les Français rient des blagues sur les Belges, c’est qu’ils n’ont pas vraiment de quoi trouver amusant leurs propres côtés ridicules.

Et on les comprend en répondant à trois questions simples qui décrivent l’aberrante situation politique et administrative de l’élection présidentielle 2007 :
• Question 1 : à qui revient en France la responsabilité d’organiser et de contrôler le bon déroulement de cette élection ?
Réponse 1 : au ministère de l’Intérieur.
• Question 2 : qui dirige le ministère français de l’Intérieur depuis cinq ans pratiquement sans interruption ?
Réponse 2 : Nicolas Sarkozy.
• Question 3 : qui est l’un des favoris pour cette élection présidentielle ?
Réponse 3 : ce même Nicolas Sarkozy.

Si cela se passait en Belgique, on en rirait.

Si cela se passait dans l’un des nouveaux états membres, l’UE froncerait immédiatement les sourcils et interviendrait pour que le candidat démissionne de sa fonction ministérielle.

Si cela se passait en Afrique, la France serait la première à rappeler l’importance de la séparation des fonctions dans une démocratie saine et l’impossibilité de cumuler deux rôles aussi sensibles que ceux d’organisateur d’élections et de candidat dans ces mêmes élections. Mais on est en France, alors l’UE se tait (tout en jasant en douce sur l’effondrement de la qualité du débat politique français) ; et les élites françaises (ou plutôt les caricatures d’élites françaises qui ne sont plus désormais que parisiennes, c’est-à-dire provinciales) se taisent car depuis leur échec au référendum sur la Constitution européenne elles n’ont plus confiance dans leur peuple.

A Washington, là où siègent des gens (Bush, Cheney, Rumsfeld) pour lesquels Nicolas Sarkozy avoue son admiration, on doit être particulièrement ravi de cette situation puisque depuis 2000 et la Floride, en passant par 2004 et l’Ohio, on a fortement œuvré à améliorer la démocratie électorale pour en corriger les détestables surprises.

Alors, comme toujours dans cette relation « amour-haine » si caractéristique des relations France-USA, va-t-on voir ce « modèle » électoral américain s’imposer en France ? Peut-être assiste-t-on déjà à des transferts de « savoir-faire », de « know-how » ?

Le point central en la matière est d’anesthésier suffisamment les médias, les autres politiques et l’opinion pour faire oublier que certaines pratiques ne sont pas acceptables en démocratie ; et que d’autres au contraire sont fortement recommandées.

Dans la catégorie « inacceptable en démocratie », on trouve le fait d’être « maître d’œuvre » d’une élection, et candidat à cette même élection.

Dans la catégorie « fortement recommandé en démocratie », on trouve le fait qu’un citoyen responsable doit toujours mettre en doute les processus électoraux, s’assurer qu’ils ne sont pas truqués, manipulés ou influencés illégalement. Pourquoi une telle nécessité ? Parce que l’Histoire nous a appris que le pouvoir corrompt et que plus le pouvoir est en mesure de s’auto-alimenter (par la manipulation ou le trucage), plus il est tenté de le faire.

Nos femmes et hommes politiques ne sont justement que des femmes ou des hommes. Elles et ils sont donc faillibles. Eux-mêmes, ou leurs entourages, peuvent être tentés d’abuser du pouvoir qu’ils détiennent aujourd’hui afin de l’accroître demain. L’Histoire est pleine de ce type de situations, surtout lorsque plusieurs candidats risquent de se retrouver dans un mouchoir de poche comme cela sera probablement le cas au premier tour de cette Présidentielle 2007 (Sarkozy, le candidat PS, Le Pen, Bayrou, De Villiers, ... risquent tous d’être dans une fourchette proche de 15%).

Seuls les naïfs et les idiots peuvent croire le contraire. L’Histoire n’est pas écrite par des « enfants de chœur ». Alors, les Français, naïfs ou idiots en 2007 ? Ou bien peut-être seulement anesthésiés, par des politiciens incapables de se souvenir que « faire de la politique, c’est d’abord se battre contre » ; et par des médias qui sont désormais massivement contrôlés par des puissances auxquelles les élections ont toujours déplu.

L’intégrité de Nicolas Sarkozy n’est pas ici en cause. Que ce soit lui ou n’importe qui d’autre, il n’est pas sain pour la démocratie en France qu’un ministre de l’Intérieur soit candidat alors qu’il est en charge d’organiser l’élection elle-même. S’il veut rester au gouvernement, soit, c’est une habitude française. Mais qu’il change de ministère pour ne pas se trouver dans cette situation de conflit d’intérêt.

Je me répète peut-être lourdement, mais comme je suis Belge, je n’ai pas la « finesse et le brillant » de mes amis français qui, malgré toutes leurs grandes qualités intellectuelles, ne semblent pourtant pas voir la poutre qu’ils ont dans l’œil.

En tout cas, si l’élection présidentielle française de 2007 voit gagner le ministre de l’intérieur qui l’a organisé (au sens qu’il n’aurait pas quitter cette fonction avant, disons, Janvier 2007 ), cela indiquera un effondrement de la conscience citoyenne dans ce pays et des lendemains inquiétants pour la démocratie partout en Europe. Car il n’y a pas de démocratie durable sans le respect de certains principes fondamentaux sur les modes d’élection. Les oublier c’est se rendre vulnérables aux « joueurs de flûte » et se laisser entraîner vers des catastrophes, comme l’ont illustré parfaitement les Américains ces dernières années.

Willy Maskeert, Namur