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Pourquoi de telles violences policières perdurent-elles ?

Publie le lundi 22 février 2010 par Open-Publishing
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Coups, insultes, brimades… Le 12 février dernier, cinq amis du quartier de la Goutte-d’Or, à Paris, ont fait l’objet d’une violence incompréhensible de la part de policiers. Ils aimeraient que leur expérience aide à ouvrir le débat sur ces pratiques.

« Voilà deux ans que j’habite ici et je n’avais jamais été agressé, ni aucune des personnes présentes dans cet appartement », raconte Ronan. Seulement voilà : depuis une dizaine de jours, cet enseignant de trente ans et quatre de ses amis, avec qui il partage une colocation à la Goutte-d’Or, quartier réputé chaud du 18e arrondissement de Paris, ont fait la connaissance, brutale, des policiers du commissariat voisin.

Énervés et violents

L’affaire remonte au 12 février dernier. Ce soir-là, Ronan et ses amis ont organisé une petite fête chez eux. Á 3 heures du matin, ils voient quatre policiers en bas de l’immeuble. « Laetitia, une des colocataires, a ouvert la fenêtre pour savoir ce qu’il se passait et ils lui ont hurlé “de se bouger le cul” pour leur ouvrir, raconte Renée, vingt-sept ans, comédienne. Ils étaient tellement agressifs qu’elle a eu peur de descendre. Trois d’entre nous y sont allés. » Entrés dans l’immeuble, « complètement énervés », les policiers expliquent qu’ils ont été appelés pour un « cambriolage ». Et montent directement au premier étage ou les convives, interloqués, ont coupé la musique.

« On ne comprenait rien, poursuit Renée. Une fois qu’ils sont arrivés sur le palier, ils ont hurlé : “Les cartes d’identité des locataires !” On a dit qu’on allait aller les chercher, mais qu’il fallait se calmer et qu’on aimerait savoir ce qui se passe. On continuait à les vouvoyer. Sans prévenir, un policier a voulu entrer dans l’appartement et Ronan s’est aussitôt interposé. Il a alors été saisi brutalement par le bras. » Le jeune homme se retrouve menotté, puis projeté à terre et frappé à coups de pied. « Les gens criaient, les policiers criaient, certains ont commencé à filmer la scène », raconte Renée. Stéphane, le frère de Ronan, tente d’intervenir. Il subira le même sort : menotté, frappé. « J’étais à terre, la bouche en sang, et un policier continuait à m’écraser la tête avec le pied », explique-t-il.

Les locataires ferment alors la porte pour éviter que la situation ne s’envenime encore, tandis que les deux frères sont « traînés dans les escaliers » et emmenés au poste.

Le cauchemar ne s’arrête pas là. Sonnés, colocataires et convives s’interrogent : que faire ? Sept d’entre eux décident alors de se rendre au commissariat de la Goutte-d’Or ou sont retenus Ronan et Stéphane. Dans la petite délégation, il y a leur frère aîné, particulièrement ému. « Il était très inquiet de l’état de santé de ses frères et ne contrôlait pas le niveau de sa voix, raconte à son tour Bertrand, trente-trois ans, tailleur de pierre. Cela énervait les policiers et on a décidé de le sortir du commissariat. Nous y sommes finalement restés à quatre pour les questionner sur les raisons de la garde à vue et sur leur état de santé. » Ils finissent par apprendre que leurs amis sont en cellule de dégrisement.

« Les jambes qui tremblent »

Dans les locaux du commissariat, l’ambiance est délétère. Les quatre amis se font traiter de « charognards » par des policiers agacés par leur insistance. Et lorsque l’un des colocataires, ingénieur roumain, intervient à son tour, il se fait rembarrer par les policiers qui lui lâchent : « On ne parle pas marocain ! » Trois des quatre amis de Ronan et Stéphane sont finalement expulsés du commissariat sous les coups. « J’étais assommé, écrasé face contre le bitume, assure Bertrand. Les policiers sont ressortis à trois avec les lacrymogènes et en ont pulvérisé tout près de mon visage, avant de nous laisser là sur le trottoir. »
Ronan et son frère ont bénéficié de cinq jours d’incapacité totale de travail. « Á l’intérieur du commissariat, l’ambiance a changé avec l’équipe suivante de policiers, précise encore Stéphane. Ils ont dû se rendre compte qu’il y avait eu une grosse bavure et se sont comportés normalement et humainement avec nous. La procédure a été accélérée pour que nous puissions sortir à 15 heures le samedi. » Et bizarrement, les deux hommes n’écopent que d’un simple rappel à la loi. « C’est étonnant vu les outrages qu’on nous reproche », souligne Ronan. Une semaine après les événements, aucune des cinq victimes ne s’est remise vraiment du traumatisme. « J’ai les jambes qui tremblent en voyant des policiers », explique Renée. Il leur aura fallu un peu de temps avant de se décider à porter plainte auprès de l’inspection générale des services (IGS, police des polices). Mais désormais, tous sont décidés à aller jusqu’au bout.

« Il faut que notre expérience serve à ouvrir une réflexion sur les pratiques policières, explique Stéphane. Nous, nous sommes dans une situation confortable : on a la nationalité française, un job… Mais ce n’est pas le cas de toutes les autres personnes de la soirée et encore moins des habitants de ce quartier dont beaucoup, confrontées à cette situation, n’oseraient pas porter plainte. » Pour le jeune homme, c’est clair : vu leur agressivité et leurs méthodes, ces policiers n’en étaient pas à leur première fois. Bertrand acquiesce : « Nous sommes tombés sur des policiers mal formés pour faire face à des comportements qui sortent des cases. Devant notre refus et nos questions, ils n’ont pas su s’adapter et dialoguer. Leur seul moyen d’expression c’est la violence. »

Anne Roy

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