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Pourquoi j’approuve le canular de la TV belge

Publie le vendredi 15 décembre 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

de Michel Collon

Hier soir, la RTBF a présenté « en direct » la scission de la Belgique après la déclaration unilatérale de sécession du Parlement flamand.

Manifs au palais, le Roi en fuite, Wallonie rattachée à la France, bouleversements dans la vie quotidienne avec les nouvelles « frontières »... Tout en direct. Sauf que c’était une fiction. Du bluff. Comme la célèbre émission radio La guerre des mondes d’Orson Welles.
Avalanche de coups de fil alarmés et grosse émotion en Belgique. Chefs politiques scandalisés. La RTBF avait-elle le droit de piéger le public par une « politique-fiction » ?
Personnellement, je trouve ça positif, même si je comprends l’émotion. Pourquoi ?

1. En tant qu’analyste des médiamensonges, je me réjouis de cette démonstration très réussie : oui, il est possible de faire avaler à un public très large quelque chose qui n’existe pas. Et j’aimerais qu’un véritable observatoire des médias fasse l’inventaire des bobards qui nous ont été servis sur les conflits des vingt dernières années : Timisoara, Panama, Nicaragua, Irak, Yougoslavie, Afghanistan, Liban, Venezuela et bien d’autres. Chiche, la RTBF ?

2. Cette émotion peut être salutaire. Jusqu’à présent, le débat sur l’avenir de la Belgique a été confiné à des politiciens très intéressés : six gouvernements (enfin, je crois) dans un pays de dix millions d’habitants ! Il est temps que les simples gens interviennent : veulent-ils ces querelles artificielles ou veulent-ils au contraire qu’on s’attaque à leurs problèmes réels : emploi, niveau de vie, avenir des jeunes ?

3. Bien sûr, les séparatistes flamands prétendent que la scission permettrait justement de mieux s’occuper de ces problèmes. Supercherie ! Leur vrai but ? Détruire la Sécurité sociale pour précariser les jeunes et offrir au patronat une main d’oeuvre corvéable à merci. Etre plus « compétitifs » dans la jungle de la mondialisation. En Italie, et ailleurs, on importe des esclaves polonais. Chez nous, on les fabriquera « made in Vlaanderen ».

4. Le séparatisme aura pour conséquence, en Flandre mais aussi en Wallonie, des politiques encore plus antisociales. L’argent économisé servira pour de nouveaux cadeaux aux multinationales. Comme VW qui a reçu des milliards pour gonfler ses bénéfices et nous laisser la casse.

5. VW, parlons-en. Avec ce bazar institutionnel, les travailleurs en lutte ont eu affaire à... trois ou quatre gouvernements différents selon la région d’où ils proviennent. Pratique !

6. Mes amis français me demandent souvent : « Et alors, les Belges, c’est vrai que vous allez finir comme la Yougoslavie ? » Je leur réponds que la grande majorité des gens est totalement contre cette excitation artificielle et ces divisions. L’émission de la RTBF ne l’a pas assez montré ; elle aurait dû donner la parole à de simples Flamands.

7. Résumons. La Flandre a profité des transferts financiers entre régions pendant cent ans où elle était moins développée. A présent que la crise économique et les délocalisations frappent davantage le Sud, elle veut y mettre fin aux transferts. Mais soyons plus précis : ce sont les partis traditionnels flamands qui intoxiquent l’opinion par des discours racistes sur « les fainéants du Sud ». D’abord, ils font tout simplement jeu des fascistes du Vlaams Belang en copiant son discours sous une forme « respectable ». Mais surtout, ensuite, ils déclencheront la chasse aux « fainéants du Nord », ceux qui ne voudront pas devenir des esclaves salariés. Et on sera tous perdants.

http://www.michelcollon.info/articl...

Messages

  • j’espère que grosse cervelle a bien digéré ce texte lire et relire

    petite cervelle se réjouie

    oeil de bison

  • Moi je me demande seulement ce qu’il y a derrière ce canular. La Rtbf, en montrant aussi clairement aux gens qu’on peut manipuler l’information, voire la fabriquer, se sabote en quelque sorte. Elle risque de perdre de son crédit. Et je ne vois pas pourquoi elle se saboterait. Je ne crois pas trop non plus à la volonté de provoquer un débat, j’imagine mal ce média désireux d’aider les gens pour qu’ils prennent conscience de problèmes sociaux. C’est lui prêter de l’altruisme alors que les grands médias sont quand même à la solde des gouvernants, même la Rtbf. Alors, pourquoi ?
    Et je crois aussi que cette émission pourrait développer des sentiments racistes en montrant tous les scénarios catastrophe en cas de scission, parce que les gens auraient peur et pourraient prendre les Flamands en grippe alors que selon moi les flamingants ne sont qu’une minorité et le reste est manipulé par les partis.
    Sinon, c’est vrai que les hommes politiques intervenant dans les montages de l’émission laissaient une image de dégoût et un sentiment d’absurdité.
    Mais je ne comprends quand même pas la véritable motivation d’une telle émission, c’est ça qui me gêne.
    Pascale

  • Les politiciens sont toujours fâchés lorsque l’on bouscule leur train-train. Il en est ainsi à propos de ce merveilleux canular. Il m’en rappelle un autre, lorsque la télévision italienne avait diffusé les fausses révélations d’un faux juge à la Cour de Cassation confessant avoir trahi son roi (Humbert II) et les électeurs italiens en ajoutant des voix aux partisans de l’instauration d’une république. Pendant quelques heures, les Italiens y ont cru. Il fallait refaire un plébiscite pour choisir entre la royauté et la république. La plupart des hommes politiques se déclarèrent ensuite scandalisés du canular. Or il avait démontré ce que vous dites, à savoir qu’on peut faire croire n’importe quoi à la télévision si c’est bien présenté. Il est donc important que le public soit éduqué à ne pas tout croire ce qu’il voit et qu’on lui montre.

    Mais le canular belge est plus fort que le canular italien, car il parle d’un vrai problème que les hommes politiques n’aiment pas aborder réellement. Ils abordent toujours la question belge sur le mode conjuratoire : comment faire pour éviter la partition. Alors que la réalité est de poser la question : la partition est-elle possible, et si oui, est-elle souhaitable ou non.

    Vous répondez qu’elle n’est pas souhaitable et vous êtes mieux placé que moi pour cela. En effet je suis Français et j’ai émigré en Egypte où je vis depuis plus de huit ans.

    Pour vous dire la vérité, quand j’étais en France, j’étais plutôt favorable à ce qu’on appelle en Wallonie le rattachisme, c’est-à-dire que j’aurais bien vu la France s’agrandir d’une partie de la Belgique en cas de sécession flamande. J’ai d’ailleurs autrefois collaboré à la revue bruxelloise de langue française 4 Millions 4 où j’exprimais des opinions qui laissaient entendre ce souhait.

    Votre raisonnement social, que je comprends très bien, n’enlève rien à l’importance du fait national.

    La Belgique est elle une nation ou plusieurs nations fédérées ? Le problème est que le choix de la langue pour définir la nation n’est pas totalement exact. C’est un peu une philosophie pangermanique appliquée à d’autres parties du monde. Après tout, la France était bien la France avant qu’on y parle la langue française partout. Et en Belgique, les anciennes provinces ne correspondent pas aux actuelles frontières linguistiques. Et avant l’existence de la Belgique comme état, il y avait dans les Flandres un parti des Lys favorable au roi de France. D’ailleurs la capitale historique des Flandres est en France, à Lille (Rysel).

    Maintenant que je vis au Proche-Orient, je me rends compte d’avantage du danger qu’il y a à exacerber les différences ethniques, linguistique, et aussi religieuses. Les Etats-Unis d’Amérique prônent chez nous une prétendue démocratie qui n’est en fait que l’accession de minorités ethniques, linguistiques et religieuses à la personnalité politique. Or tout cela n’aboutit pas à plus de démocratie, mais à des guerres civiles.

    Finalement, je me demande s’il a été vraiment pertinent en Belgique d’indentifier à ce point les personnalités linguistiques. Je n’ai pas de réponse. Elle appartient aux habitants de la Belgique. Mais il me semble que cette division porte en germes une future séparation et beaucoup de malentendus.

    Ismaïl de Coursac