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Pouvoir dire sa soufrance

Publie le vendredi 20 juillet 2007 par Open-Publishing

Suzanne BERNARD est décédée le 17 juillet, je vous propose une note de lecture de son dernier livre écrite en juin 2007.
Lisez là comme un hommage à l’écrivaine et un plaidoyer pour les soins palliatifs.


Pouvoir dire sa souffrance

Presque par hasard un jour de 2006, Suzanne BERNARD, après avoir pris connaissance du caractère inéluctable de l’évolution de son cancer, se retrouve à la Maison Jeanne Garnier : un institut pionnier en France, entièrement dédié aux soins palliatifs (Où sont les structures de soins palliatifs prévues par la loi du 09/06/1999 ?).
Le Passage, est le récit de cette expérience singulière dans ce lieu où elle sera « sauvée de la mort ».
A.CAMUS disait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Et Suzanne BERNARD, sait choisir les mots justes pour nous dire son combat mené, contre la toute puissance médicale (le Réparateur-de-Boulons), et pour sa dignité de femme. Dire aussi, cette souffrance physique et surtout morale qu’il faut affronter dans l’ignorance…

L’auteur de ce récit vient du Moyen-Âge, du Rêve chinois et des Révolutions du XX° siècle, elle en a rapporté les éléments de sa spiritualité qui lui permettent d’affronter le Mystère, si terrifiant, que recèle la Vie et la Mort. La puissance du mal est inimaginable. C’est donc avec ses références issues du christianisme ou, du bouddhisme, et sa « foi » accompagnée de son Frère invisible qu’elle contrarie la marche de la mort.
Ce témoignage nous interpelle et doit nous aider à clarifier les termes : « aider le mourir » pas « aider à mourir ». Il s’agit bien là, de soulager les douleurs, d’apaiser l’angoisse, d’apporter une aide psychologique ou spirituelle dans un environnement paisible et affectueux ne luttant pas contre la mort. Ici, la Compassion, prend tout son sens, comme dans la tradition du bouddhisme et du taoïsme.
Nous voyons ainsi, qu’accompagner c’est « laisser la personne venir à se vérité », par une attitude d’écoute et d’ouverture. C’est aussi le récit de la rencontre humaine entre le soignant et le soigné, ou la parole du sujet souffrant est prise en compte, son autonomie et sa dignité respectée. On peut lire ici l’éthique humaniste des soins palliatifs*.
Suzanne BERNARD, est une femme de lettre, une écrivaine, même si depuis le fond de sa souffrance elle se déclare en guerre contre la littérature. Avec la force de ses mots et ses belles phrases, elle nous fait savoir que désormais la conspiration du silence qui entoure la fin de vie et la mort est terminée. La vie « réelle » ne peut étouffer « la vie intérieure » et, en bien des circonstances celle-ci est plus forte… Les besoins spirituels des personnes, qu’ils soient d’ordre religieux ou autres, sont à prendre en compte, ils sont un élément indiscutable du soutien des malades en fin de vie.

La mort est l’horizon indépassable de notre condition, elle est ce qui borde la vie et lui donne son sens**. Cette quête de sens se fonde à partir de sa connaissance du Moyen Âge, de la Chine, et de son expérience de la vie… Le nouveau regard sur soi et sur le monde, constitue cette expérience spirituelle qui ne se discute pas mais qu’elle vit.

Michel POZO

* Voila bien un enjeu pour les soignants qui doivent être formés à la conduite de ce dialogue. D’autant que les évolutions législatives récentes sur le droit à l’information du patient (KOUCHNER/2002) et sur la fin de vie (LEONETTI/2005), créent les conditions d’une nouvelle relation médecin - patient, dépassant le vieux modèle paternaliste, pour une alliance respectueuse des personnes.

** Jacques RICOT, Philosophie et fin de vie, Editions E.N.S.P., 2003


Note de lecture Dr. Michel POZO (Médecin spécialiste en Soins de Suite et Soins Palliatifs)
Le Passage
Récit
Suzanne BERNARD

Le Temps des Cerises
2007