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Que se passe-t-il vraiment à Cannes ? Petit manuel pour ne pas se faire arnaquer par l’information

Publie le vendredi 20 mai 2005 par Open-Publishing

Lecteur, fais attention à ce que tu vois et à ce que tu lis...

de Ro. Ro. traduit de l’italien par karl&rosa

Cannes, de notre envoyée

Il y a ceux qui crient au scandale, qui à la dénonciation sociale, qui à la gifle à l’Amérique, qui à l’extrême provocation. La presse et la télévision officielle de Cannes sont en train de transmettre au reste du monde, celui qui est resté à la maison, un message fort. Interdites, nous observons le phénomène, en nous demandant qui, de nous ou d’eux, est en train de voir le vrai festival (si jamais vérité et virtualité peuvent se permettre une quelconque parenté). Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, ce festival des auteurs nous semble immergé dans un vide pneumatique et la seule question que nous voudrions poser aux auteurs est la suivante : n’avez-vous pas l’impression d’avoir beaucoup de chance de n’avoir rien à dire et de trouver de l’argent pour (ne pas) le dire ?

Mais souvent, ici à Cannes, notre catégorie sociale (savez-vous qu’ici on est divisé en castes ? Nous appartenons à la caste moyenne, celle qui porte au cou un badge rose sans petit cercle - la "pastille" jaune - qui permet aux bodyguards de ce monde fantastique de nous pousser de côté aux conférences de presse : tu n’entres pas, comme les chiens qui restent hors des magasins) n’arrive même pas à les approcher, les "auteurs".

Comme tout est question d’opinion, y compris nos discutables impressions, essayons alors pour une fois de faire le travail des reporters et de vous laisser, à vous, la possibilité de juger un réalisateur, un acteur, un film même si vous ne l’avez pas encore vus. Hier a donc été la journée du grand et bandant Jim Jarmush que Cannes attendait comme le dieu buraliste de l’Amérique very very cool descendu sur terre pour remercier par son art les misérables mortels. Qui s’efforcent, à la fin de la projection (intense comme une pomme de terre bouillie ... qui est bonne, mais pas intense) de trouver la clé d’autant de génie, celle qu’ils vont ensuite communiquer au monde. Ils lui demandent, à propos de son Broken Flowers : un film évident sur la paternité, pas vrai ? Réponse de notre dieu, littérale : "I really don’t know, I haven’t a good answer on it...". Ce que l’on pourrait traduire : "Hum, je ne sais pas, je n’ai pas de bonne réponse à ce propos...". Savez vous quelle interprétation de cette phrase vous pourriez trouver demain (aujourd’hui pour le lecteur) ? Nous parions : "Le silence minimaliste de Jarmush illumine les écrans de Cannes" ! Ou encore : "L’Amérique en quête d’une paternité sans réponses", ou encore : "Le silence d’une époque dans le cinéma de Jarmusch". Et si, au contraire, nous écrivons que Jarmush n’a pas un traître mot à dire, quelle est votre impression ? Que nous sommes folles ?

Peut être, vraiment, cela peut être. Faisons une autre tentative. En conférence de presse, le pauvre Bill Murray, interprète du même Jarmush, à la question concernant la signification de sa récitation minimaliste, qui n’est faite que d’allusions et, pour le reste, de long silences, répond : "Je crois que mon minimalisme vient d’une incapacité grandissante à communiquer quelque chose qui ait un sens". Savez-vous quoi ? Les journalistes rient ! Et si nous, au contraire, nous nous sentons tristes pour lui et aussi pour nous qui l’avons vu là pendant deux heures, muet, à ne dire absolument rien, qu’en pensez-vous, que nous sommes en train de voir un autre film ?

L’autre jour, Cronenberg a essayé désespérément de dire une phrase qui ait un sens accompli, du genre : "Mon film n’est pas un film sur l’Amérique. Il raconte une histoire américaine, bien sûr, mais son message voudrait être universel". Et quels sont les titres des journaux ? "La violence explose dans le film de Cronenberg !" Mais vraiment ? Mais n’avait il pas dit qu’au fond l’Amérique n’y avait rien à voir ? Von Trier, au contraire, l’a vraiment dit que Bush est un couillon. Il a également dit que l’Amérique est assise sur le monde et que lui a la tête pleine de pensées américaines et que ce n’est pas son choix. Mais, plutôt que des raisonnements, elles nous ont semblé être des phrases dépoussiérées pour l’occasion, comme de vieilles gloires, qui font du bruit parce qu’elles sont dites à la tribune de Cannes, elles ne susciteraient plus aucun tapage dans n’importe quel autre contexte.

Des murmures, pas beaucoup plus que des murmures. Et des visages absents quand ils ne sont pas explicitement ennuyés. Les leurs, les nôtres. Ceux des "auteurs" appelés à nous servir le plat de résistance du cinéma : deux carottes sur un plateau en or. Le nôtre et celui de nos collègues qui t’appellent, des amis qui te disent bienheureux... Bienheureux, vous qui êtes là à regarder le centre du monde de si près ! A parler avec des stars magnifiques, à boire un café avec des réalisateurs fantastiques, à discuter des grands systèmes en sirotant des cocktails et en mangeant des tartines. Voulez-vous savoir la vérité ? Ici personne ne parle avec personne et quand les films non plus n’ont rien à te dire, alors c’est vraiment triste.

Donc, lecteur, fais attention à ce que tu vois et lis. Si l’on peut ainsi te rouler dans la farine à propos du festival de Cannes, imaginons ce que l’on peut te raconter des guerres, des accords internationaux, de l’Europe, de chez nous. Prends les images et les paroles (y compris les nôtres) avec des pincettes. Et ne cesse jamais de penser avec ta propre tête. Te voilà averti.

http://www.liberazione.it/giornale/050518/archdef.asp