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RTT à l’hôpital : le véritable casse-tête

par Christine Roth-Puyo

Publie le mercredi 11 janvier 2012 par Christine Roth-Puyo - Open-Publishing
3 commentaires

Syndicats et ministère de la Santé continuent de négocier sur le traitement des 2,1 millions de journées de RTT stockées par les praticiens hospitaliers. Une décision pourrait être rendue, aujourd’hui.

L’hôpital public français est-il au bord de la crise de nerf ? Dix ans après la mise en place des comptes épargne temps nés de la loi sur les 35 heures, tous les voyants sont au rouge. Dans une dernière ligne droite avant la date butoir du 2 janvier 2012, les syndicats représentant les praticiens hospitaliers cherchent à obtenir les meilleures conditions de préservation de leurs journées RTT, actuellement stockées en compte épargne-temps (CET) faute d’avoir eu le temps de les prendre en congés.

La loi de 2002 prévoit en effet que les personnels médicaux aient soldé leurs RTT avant 2012, pour ceux les ayant stockées il y a dix ans. Une première échéance partielle avait été réglée en 2008 pour 168M€. Mais à ce jour, le solde de tout compte représenterait, selon la Coordination médicale hospitalière, six mois par praticien soit 2,1 millions de journées accumulées. Plus ou moins 600M€.

Malgré un premier échec des négociations entre les syndicats et la Direction générale de l’offre de soins du ministère de la Santé, le 24 novembre dernier et une réunion repoussée ce lundi à aujourd’hui, plusieurs options sont à l’étude : la suppression de la date butoir de 10 ans ; la monétisation des CET ; leur conversion en points retraite permettant de partir avant l’âge prévu (67 ans depuis la réforme de 2010) ; enfin, la possibilité de les utiliser en congés rémunérés.

D’ores et déjà, ces pistes posent question. 36 % des hôpitaux, déjà en déficit, sont loin d’avoir provisionné le montant des CET et, parmi les 64 % en équilibre ou excédent, tous n’ont pas priorisé leurs CET. Qui va payer ?

Quant aux retraites anticipées et aux prises de congés supplémentaires évoquées, elles induisent des remplacements déjà problématiques dans les plus petits établissements.

Sauf à avoir anticipé l’échéance, clairement posée depuis 10 ans (lire par ailleurs), l’affaire des comptes épargne-temps met l’hôpital public sous très haute tension. D’autant que le dossier des RTT accumulées met en évidence la question des moyens. Le ministère de la Santé a promis de répondre aujourd’hui.
Des conditions de travail qui s’aggravent

Le dossier est vieux de 10 ans. Il vaut aussi pour le reste du personnel hospitalier, les agents, les administratifs, les infirmières, les aide-soignants... C’est tout l’hôpital qui est en surplus de RTT, même si le rapport chiffré est moindre. Selon les syndicats de la fonction hospitalière, les plus de 400 000 personnes concernées auraient accumulé plus ou moins deux millions de RTT. Comme les médecins, les agents ont dix ans, à partir de l’année où ils ont cumulé 20 RTT sur leur CET, pour les prendre.

Mais chez les agents, ce n’est pas tant la question des récupérations qui se pose que celle des conditions de travail. Les 56400 agents non-médicaux qui se sont exprimés dans l’étude publiée par CFDT-santé-sociaux dénoncent leurs conditions de travail préoccupantes et disent faire tourner les établissements dans des conditions de travail inacceptables.

60 à 77% des personnels interrogés considèrent que les conditions de travail se sont aggravées - 19 à 37% qu’elles se sont maintenues - 2 à 4% qu’elles se sont améliorées. 71% des personnes affirment que « le travail a un effet négatif sur leur santé » - pour 41% des personnes, on constate des douleurs musculaires et 20% ont des difficultés de sommeil. 59% des personnes affirment que les médecins maintiennent les prises en charge des patients sans tenir compte des effectifs !

Formation : le numerus clausus relevé

Bloqué depuis trois ans, le numerus clausus va être relevé, afin de remédier à la pénurie de médecins dans certains territoires, ont annoncé hier les ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez. Huit mille étudiants seront ainsi admis l’été prochain en deuxième année de médecine. Le nombre d’étudiants acceptés en médecine à l’issue de la première année commune aux études de santé (PACES) passera de 7 400 à 7 500 et le nombre d’étudiants venant d’autres filières (ingénieurs, grandes écoles) et autorisés à débuter médecine en deuxième année sera porté de 300 à 500.

Une hausse qui ne réglera pas toutes les questions de démographie médicale, mais qui est « un élément clé d’une stratégie globale », selon Xavier Bertrand. « Il est absurde d’être aussi rigoureux et sélectif avec nos étudiants et de faire venir ensuite des étudiants de Roumanie, d’Algérie ou du Maroc », a pour sa part estimé Laurent Wauquiez.

Instauré en 1971/1972 à 8 588 étudiants, le numerus clausus a diminué régulièrement pour atteindre un point bas de 3 500 en 1992/1993 avant de remonter très lentement quand des problèmes de pénurie de praticiens sont apparus. Il n’était encore que de 4 100 en 2000/2001.
Au CHU Toulousain : pas si simple

Dans les couloirs de l’hôpital de Purpan de Toulouse, les allées et venues du personnel reflètent l’activité intense qui règne en ces lieux. A Rangueil, à Paule de Viguier où les travées longues et larges feutrent un peu la ruche bourdonnante, « l’essentiel de l’activité est mis au service du patient ». Mais à quel prix ?

Ici officient 3 500 personnels médicaux et 11 000 personnels hospitaliers dont 3 182 infirmières et 2 600 aides-soignants. Sans doute pas si simple, la gestion des 35 heures. Pourtant, peu d’ombres se dessinent au tableau affirme-t-on côté direction. Sur les 3 500 personnels médicaux, 500 praticiens hospitaliers sont concernés par la question des comptes épargne-temps.

En 2002, comme dans tous les établissements publics, ils ont eu l’opportunité d’ajouter 20 jours de RTT à leurs 25 jours de congés annuels. Comme partout, ils ont été peu nombreux à les consommer. « La plupart ne souhaitaient pas moins travailler et voyaient le CET plutôt comme une possibilité de partir plus tôt en retraite », explique Marc Reynier, directeur des affaires médicales du CHU.

Partir plus tôt ? De nombreux médecins y restent attachés et c’est tout l’enjeu de la négociation qui se tient à Paris, même si le ministère est plutôt opposé à cette solution qui sous-entend une pénurie soudaine de praticiens. Au CHU la direction affirme avoir provisionné 100 % des RTT stockées tout en rappelant qu’elles devront être lissées « celles de 2002 en 2012, celles de 2003 en 2013, etc. » 15450 journées sont stockées à ce jour à raison, « en moyenne », de 35 jours par médecins.
"Le travail plus dur qu’avant"

Du côté des 11 000 agents du CHU, l’équation est différente. « Très peu de CET ont été constitués », détaille Olivier Bastioul, directeur des ressources humaines. 1 600 pour 11 000 agents. Notre difficulté a été plus technique car il a fallu gérer le différentiel créé par les 35 heures par une augmentation de la productivité de l’ordre de 3 %. »

Cette productivité qui engendre le malaise social, qui raccourcit les temps de chevauchement entre les deux équipes et ajoute à « l’impression que les patients restent plus longtemps, que les conditions de travail changent », témoigne une infirmière sous couvert de l’anonymat.

Des conditions de travail, il en est question, régulièrement au CHU, comme en juillet dernier, quand le personnel des urgences psychiatriques de Purpan et Rangueil se mettait en grève pour dénoncer le manque de personnel et le manque de moyens en psychiatrie. Ou en février de cette même année lorsque, à l’appel de la CGT, le personnel dénonçait « les cadences, la mauvaise ambiance, le stress, l’absentéisme… »

« Des conditions qui n’ont pas forcément évolué », note une autre infirmière. « Mais il faut bien avancer… » Une étude sur les difficultés des personnels va être lancée, poste par poste, service par service en début d’année. Preuve que tout n’est pas si simple...

Ch.R.-P.
Dans le Tarn
A l’hôpital d’Albi l’inquiétude est grande

À Albi, les RTT inquiètent. Concerné comme les autres établissements de France, l’hôpital local, qui emploie 85 médecins est dans l’impasse.

Des mesures vont être prises par l’Etat, mais pour l’instant c’est le stand-by. « Nous nous tenons informés de ce qui va se passer du côté du ministère de la Santé. Nos médecins sont concernés à titres divers et variés ; il faut bien entendu qu’ils puissent bénéficier de leurs RTT. ça va être difficilement gérable » explique Alain Guinamant, directeur du centre hospitalier d’Albi qui était dans l’impossibilité d’évaluer l’impact financier et les conséquences de ce phénomène sur le CH de la ville tarnaise.

Fabrice Rezungle, radiologue et ex-président de la commission médicale de l’hôpital parle « d’une catastrophe annoncée ». « Tout le monde a fait l’autruche pendant 10 ans. Aujourd’hui, on risque d’avoir des temps morts qui vont durer trois à quatre mois, à moins d’embaucher des remplaçants à prix d’or. Je ne sais pas quelles vont être les solutions ». Des solutions, Jacques Saint-Martory, l’actuel président n’en a pas pour l’instant. Il évalue pour l’établissement tarnais à 4500 journées de RTT e t congés annuel inscrits au CET. S’y ajoutent 500 jours qui ne sont pas pris en compte par le CET, donc reportés d’une année sur l’autre. Une situation alarmante. « Trois solutions sont à l’étude : le paiement des RTT, l’attribution de points de retraite permettant de partir avant l’âge prévu » (67 ans depuis la réforme de 2010) « et les congés. Si cette dernière option est envisagée par la plupart des médecins, on ne pourra plus tourner » exprime le docteur Saint-Martory qui suit de près l’évolution des négociations du ministère de la Santé. Déjà annoncée il y a une semaine, la date couperet pour l’utilisation de ces RTT devrait être supprimée.

Guillaume Courveille
expert
"A l’échelon local ça marche mieux"

Jean de Kervasdoué est économiste de la santé. Il répond à nos questions.

Comment en est -on arrivé à cette situation, somme toute prévisible ?

J’éprouve un sentiment partagé car je suis toujours persuadé que les 35 heures se sont négociées en dépit du bon sens avec, en plus de cela, l’attribution à des médecins qui ne les demandaient pas. Cela, sans compter l’application des normes européennes sur l’interdiction de deux gardes de nuit d’affilée qui ont ajouté une couche de plus. A l’image de l’affaire de la dette qui assombrit notre avenir, preuve est faite encore une fois, qu’à force de stigmatiser les problèmes et de s’acharner à ne pas vouloir les résoudre, ça vous pète à la figure.

Dans l’hypothèse où la négociation entre État et médecins aboutirait comment éviter qu’une telle crise se répète ?

Je pense beaucoup de mal de la loi Bachelot. La ministre a fait de la santé un système trop centralisé. La conséquence est que l’hôpital a disparu, s’est fondu dans l’État alors qu’il fallait au contraire lui rendre sa totale autonomie. Au lieu de divaguer avec lui sur les 35 heures, il faut lui répondre débrouillez-vous. Quand on reste à l’échelon local, ça fonctionne mieux. Il ne faut pas confondre service du public et service public, voire défense du statut public. Regardez les cliniques privées : la législation du travail y est appliquée plus drastiquement, les personnels travaillent en coupures. Et ça fonctionne.

Vous évoquez souvent l’incontinence bureaucratique. Qu’entendez-vous par là ?

De nos jours, on a tellement peu confiance en notre prochain que nous n’arrivons plus à fonctionner. Du fait de cette centralisation poussée à l’extrême, l’hôpital, est devenu un lieu où les rythmes et les modes de travail restent un sujet tabou, à tout le moins exclu d’une réflexion concertée. Je reste d’ailleurs très étonné de ce que la droite française soit aussi soviétique et aussi peu libérale dans sa conception de la gestion de l’hôpital public.

Ch.R.-P.

A lire chez Que sais-je, « L’hôpital » de J. de Kervasdoué

http://www.ladepeche.fr/article/2011/12/09/1235799-rtt-a-l-hopital-le-veritable-casse-tete.html

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Messages

  • "Casse-tête" ??? Pourquoi ???

    Elles sont dues. Un point c’est TOUT.

    Il FAUT les payer.

    l’Etat file des milliards aux banques et à tous les affameurs et marchands de bombes du coin, alors je ne vois pas où est le problème bordel. Y’a RIEN à négocier, me semble.

    LL

  • Je pense beaucoup de mal de la loi Bachelot

    Et plus loin :

    Regardez les cliniques privées : la législation du travail y est appliquée plus drastiquement, les personnels travaillent en coupures. Et ça fonctionne.

    Quelle crapule ce Kervasdoué. Sa solution est simple appauvrir le service public. Donner les morceaux rentables au privé (privatiser les bénefs) et laisser une médecine de deuxième zone à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer le luxe de cracher aux bassinet des actionnaires du privé.

    Son calcul est simple. Un ouvrier malade ça se jette et ça se remplace. Par contre une Bettencourt, un Arnaut, un Pinaut, Un Michelin, Un Wendel, une Parisot... ça se bichonne !

    Economiste le Kervasdoué ? Moi j’ai un autre mot pour ce genre de fumiste !

    Carland

    • ahhhh !!!
      De Kervasdoue... pour ceux qui connaissent pas (ceux qui ont plus de 25 de militance dans le secteur de la santé s’en souviennent) : nommé Directeur de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins en ... 1983 ! Par ? François Mitterrand !!!

      Initiateur de ce qu’on appelait le "budget global", alors nouveau mode de financement des établissements publics de santé, qui a introduit les premiers budgets de rigueur (vous savez, le tournant vers l’austérité de la gauche au pouvoir en 1982) pour les hostos (tout cela avec un ministre communiste, Jacques Ralite), et accessoirement responsable à la même époque de la mise en place du ... forfait journalier à la charge des patients (déjà pour combler le soi disant trou de la sécu), etc.

      Rien de nouveau sous le soleil chez cet homme et chez la fausse gauche (du PS au FDG).
      circulez, il n’y a rien à voir ...