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Rafah aux yeux du monde

Publie le jeudi 20 mai 2004 par Open-Publishing

Oui, ce qui se passe à Rafah découle directement d’une idéologie qui a annoncé un jour qu’il existe, quelque part, une terre sans peuple. Oui, ce qui se passe à Rafah découle de cette affirmation qu’il existe, quelque part, un peuple invisible, invisible, avec ses hommes et ses femmes, ses liens sociaux et politiques, ses maisons, ses champs et son droit à l’existence et à l’interaction.

Aujourd’hui encore, le peuple palestinien continue aux yeux du monde à être le peuple invisible. Car c’est seulement à l’égard d’un peuple invisible qu’on peut raser des maisons comme si c’était du carton, qu’on peut mettre sans abris des milliers de gens, sans que cela mérite ni la condamnation la plus ferme, ni des mesures dissuasives à l’encontre de l’Etat qui pratique cette barbarie, et, curieusement, sans même que des manifestations d’indignation ne remplissent la rue, sans que les partis politiques représentant les tranches d’opinion la plus large ne se sentent concernés.

Il faut s’arrêter devant cet instant tragique, figer ce moment où bulldozers, chars et avions continuent à raser et démolir devant tout un monde impuissant et silencieux. Figer ce moment et constater la perte substantielle du fondement de nos civilisations.

Et quoi encore de plus choquant lorsque la démolition des maisons à Rafah a obtenu en Israël le feu vert de la Cour suprême de justice ? 88 habitations sont rasés depuis quelques jours et plus de 1 000 Palestiniens se sont déjà retrouvés à la rue. Mais cela ne date pas seulement d’hier : depuis septembre 2000, Israël a détruit ou endommagé 2 000 maisons de Rafah, faisant 11 000 sans abris ! Dimanche dernier, Le chef d’état-major, le général Moshé Yaalon, a indiqué lors du conseil des ministre que "plusieurs centaines de maisons" destinées à être démolies ont d’ores et déjà été "sélectionnées" ! Des cartons abritant des hommes invisibles destinées à aller ailleurs, toujours ailleurs, et des généraux qui se croient encore capables de façonner la terre et les populations au bon grès de plans bourrés de murs et de barrières de "sécurité"…

Mais tout cela n’est nullement expliquable par la politique de tel ou tel gouvernement israélien, ni par l’enchevêtrement des événements de l’actualité. Cet arrêt sur image à Rafah souligne l’_expression continue de quelque chose de plus profond qui n’est rien d’autre que le triomphe d’une idéologie fondée sur la négation de l’autre. Comment le monde moderne peut-il aujourd’hui normaliser une telle idéologie et continuer à espérer un zeste d’humanité dans le concept d’une démocratie qui a perdu son essence ?

Le conflit qu’on appelle israélo/palestinien interpelle les bases des démocraties occidentales et bloque l’avancement de cette même démocratie dans l’ensemble du Moyen-Orient. Il nous conduit jour après jour dans le gouffre d’un choc de civilisation démuni de tout sens.

Combien de temps nous faut-il encore pour réaliser que la Palestine ne peut être qu’une terre de mélange, de dignité humaine et de respect de l’autre ? On ne peut en faire une terre de haine, d’occupation et de mépris sans la détruire, et avec elle les valeurs de justice universelles, en premier lieu ici même en Europe.