Accueil > Rafah et le mythe du peuple invisible
Dans ce nouveau siècle de déshumanisation, les destructions de maisons et le massacre à Rafah se pratiquent avec le feu vert de la cour suprême de justice israélienne. Au Ministère de la Défense, on établit des cartes et on annonce la décision de raser les centaines de maisons qui ont été "sélectionnées". Puis une armée entière se met à exécuter ces crimes, comme si les maisons des Palestiniens étaient du carton, ou comme si les Palestiniens de Rafah étaient les membres d’un peuple toujours invisible.
Le fait qu’une telle déshumanisation soit possible n’est pas seulement une conséquence de la politique d’Ariel Sharon ou de son gouvernement, comme s’il suffisait de remplacer les hommes pour revenir à un monde exempt de crimes. La preuve en est la faible indignation au sein de la société israélienne, indignation principalement limitée aux manifestations de colère de plusieurs centaines de pacifistes israéliens, qui sont dans ce pays les seules forces réellement démocratiques et porteuses d’espoir.
La déshumanisation en cours trouve son explication au cœur du système politique israélien fondé sur une vision qui a guidé les pionniers des premières vagues de colonisation précédant la création de l’Etat d’Israël. Cette vision a consisté, et consiste toujours, à affirmer qu’il existe, quelque part sur la planète, une "terre sans peuple", qu’il existe, quelque part sur la planète, un peuple invisible et voué à l’inexistence. Ce peuple invisible, inventé comme un reste d’équation dont la finalité est un certain "confort" de l’Histoire, continue à être le peuple palestinien, non seulement aux yeux de cette idéologie, mais aussi aux yeux d’un monde "libre" complexé et complice.
Voilà pourquoi, au sein même d’Israël, ni les 160 000 manifestants pour la "paix" de Tel Aviv, ni leurs représentants politiques – ceux qui s’attribuent le titre glorieux de "soldats de la paix" – n’ont trouvé nécessaire ni de condamner ni de manifester contre la barbarie en cours. N’ont-il pas d’ailleurs déclaré que leur rassemblement était celui de la majorité et non de l’opposition ? N’y a-t-il pas eu de voix pour dire : "Fonce Ariel Sharon, nous sommes avec toi" ? Hélas, ce n’est pas d’une majorité pour la paix dont il s’agit, mais d’une majorité de silence face au massacre, une majorité complice pour un plan de domination et d’écrasement du Palestinien.
Ecrasement. A Gaza, où les populations sont entassées dans la misère et la famine, isolées du monde, et complètement livrées au feu et poids de l’armée. En Cisjordanie où les murs annexent les territoires et les colonies avec la bénédiction de Georges Bush. En Israël même, dans ses "frontières" d’avant 1967, où la discrimination entre Arabes et Juifs est l’_expression d’un racisme politique fondateur, un racisme qui se pratique au nom de la démocratie, un racisme d’Etat qui ne choque plus personne et ne semble pas perturber l’image de soi civilisé du monde "libre".
Ce racisme que l’on cherche aujourd’hui à normaliser et inscrire dans le quotidien non critiquable des citoyens de la planète, ce racisme qui sollicite notre silence, notre consentement et notre déchéance politique et culturelle, ce racisme qui prolifère à l’ombre de la désinformation et de la domestication mondialisée de milliards d’humains enfermées entre les murs d’une sphère médiatique d’un monde virtuel fondé sur la consommation et le culte des images coupés de la réalité, ce racisme que l’on veut réinsérer au cœur même du concept de l’Etat-Nation, ce racisme du grand jour est le socle d’un fascisme impérial qui entreprend de dominer la planète, avançant dans les méandres des super-puissances derrière des marionnettes faites de petits tyrans et de pseudo penseurs qui parlent le langage le plus simpliste et témoignent de la défaite de l’intelligence à l’échelle politique.
Il s’agit ni plus ni moins d’une nouvelle faillite de la démocratie qui appelle en urgence une redéfinition et un élargissement de ses critères classiques. Comment peut-on prétendre être démocrate et pratiquer la ségrégation raciale, l’occupation, la suppression et l’invisibilité de l’autre, la destruction de la terre et de l’homme, et pour finir l’emprisonnement de tout un peuple derrière des murs de ghettoïsation qui nous parviennent tout droit d’un Moyen Age mondialisé ?
Désormais, la démocratie nécessite un autre langage, car elle ne peut plus se résumer à l’observation d’un ensemble de règles électorales ou d’_expression établies dans le cadre intérieur d’une société fermée sur elle-même et sur ses propres mythes. Elle doit être aussi fondée sur des critères de relations internationales, du respect de la culture de l’autre et de son identité, et elle doit être sondé par un comportement civilisé dans la société mondiale.
Ces règles s’appliquent aussi à Israël qui doit se confronter à la réalité d’une régression de la pensée politique accompagnant ses mythes fondateurs, et évoluer vers une vraie démocratie où Juifs, Arabes et citoyens de toute culture auront en son sein une égalité TOTALE de droit. Il en va de même pour le futur Etat palestinien avec ses citoyens Arabes et ses citoyens Juifs.
Ces principes élémentaires et incontestables qui animent le concept de la démocratie sont pourtant bafoués au Proche-Orient, on été absents et ignorés du processus d’Oslo et de la feuille de route, sont enfin remis en cause par les initiatives de Genève qui se sont transformées en vitrine européenne de normalisation alors que le plan unilatéral de Sharon, bientôt secouru par Shimon Peres, impose une autre réalité sur le terrain.
Pour qu’il n’y ait plus de silence devant le massacre de Rafah, c’est tout un monde qu’il faut changer.