Accueil > Régression sociale programmée
La " poursuite des réformes " prévue par le gouvernement après les élections
accentue le virage libéral de la société et promet de développer l’insécurité sociale.
Tour d’horizon des mauvais coups en neuf points. Depuis plusieurs semaines, Jean-Pierre
Raffarin a pris la tête de la campagne de l’UMP. Et méthodiquement, à chacune
de ses sorties, à chaque meeting, il s’applique à dépolitiser le scrutin des
21 et 28 mars. Le véritable enjeu de ces élections serait " plus institutionnel
que partisan ", aime-t-il à répéter. Pourtant, l’engagement croissant du premier
ministre dans la campagne montre bien que même lui ne croit guère en sa stratégie
de contenir les élections au niveau de leurs enjeux régionaux. D’autant que les
différents mouvements sociaux dans la recherche, la santé et l’école ont nationalisé les
enjeux de la campagne, en mettant le curseur sur la critique de la politique économique
et sociale du gouvernement. Reste que l’abstention s’annonce élevée, que le FN
entend profiter du mécontentement, et que l’UDF rêve d’être la surprise de ces élections.
Autant d’options qui pourraient permettre à la droite, qui sera unie au second
tour, de rafler la mise, et à Raffarin de poursuivre tranquillement sa politique
de casse systématique. À moins que les électeurs s’en mêlent...
Et c’est bien
cela qui pose problème au premier ministre. Selon les résultats des élections
régionales, Jean-Pierre Raffarin, quoi qu’il en dise, aura les mains plus ou
moins libres pour mener sa politique au cours de la seconde partie de la législature,
qu’il avait placée sous le signe de " la poursuite des réformes ". Le MEDEF appuie
sans réserve la stratégie Raffarin, en estimant qu’" il convient de conserver à ces
scrutins le sens initial qui est le leur, sans vouloir leur donner à toute force
une signification de portée plus générale ". Un aveu pour tenter de minimiser
toute éventuelle défaite de la droite qui compromettrait le rythme et l’ampleur
des réformes annoncées par le premier ministre en septembre 2003. Il dévoilait
alors les grands axes de son " agenda 2006 ". " Une dizaine de grands chantiers, à travers
près de soixante-dix réformes concrètes pour les trois ans à venir ", affirmait-il. À la
fin févier encore, Jean-Pierre Raffarin promettait à ses troupes un " nouvel élan " à l’action
gouvernementale après les élections des 21 et 28 mars, avec à la clé un remaniement
ministériel censé donner corps à ce fameux élan. Il a d’ailleurs annoncé qu’il
allait prononcer son discours annuel de politique générale avant les élections
européennes de juin, autre scrutin déterminant.
Dossier réalisé par Lucy Bateman, Marie Noëlle Bertrand, Sébastien Ganet, Yves
Housson, Paule Masson, Laurent Mouloud, Stéphane Sahuc, Anne-Sophie Stamane.
L’hôpital public mis au pas
Le plan Hôpital 2007, sur les rails depuis fin 2002, va encore monter en puissance
après les élections. En précisant d’emblée qu’il ne s’agit pas du " grand soir " pour
l’hôpital public, Jean-François Mattei met en éuvre une réforme ni négociée,
ni discutée devant le Parlement mais dissociée de celle de l’assurance maladie,
alors que l’hôpital représente la moitié des dépenses de la branche maladie de
la Sécurité sociale. Pourtant les mesures qui entrent en vigueur impliquent des
changements majeurs. Appliquée depuis janvier sur 10 % du budget des hôpitaux
et sur trois disciplines (médecine, chirurgie, obstétrique), la tarification à l’activité,
qui conditionne les ressources des hôpitaux au nombre et à la nature des actes
réalisés, privilégie la rentabilité des actes techniques plutôt que la sécurité,
l’aspect social des maladies ou les spécialités plus humaines et moins quantifiables
comme la psychiatrie ou la gériatrie. Elle met l’hôpital public en danger : désormais
en concurrence directe avec le secteur privé, qui pourra choisir les malades
les moins coûteux, l’hôpital public héritera des cas les plus lourds et les prendra
en charge a minima. Autre pilier de la réforme, la réorganisation interne des
hôpitaux qui entre dans ce schéma d’une rentabilité accrue au détriment de la
qualité des soins, en instaurant des pôles chargés de contractualiser avec la
direction de l’hôpital et intéressés aux résultats de l’hôpital..
Tout privatiser
La liste des entreprises " à privatiser " donne le vertige. Symbole de ce mouvement,
EDF et GDF dont le changement de statut se discute en Conseil d’État le 8 avril
prochain. Mais, les 4 milliards de cessions d’actifs enregistrés dans le projet
de loi de finances 2004, concerne aussi le motoriste la SNECMA, dans laquelle
l’État détient encore 97 % du capital et dont Francis mer, le ministre de l’Économie,
vient de lancer la privatisation. Autre projet en cours : le désengagement de
l’État de descendre en-dessous de 50 % du capital de France Télécom. Aéroport
de Paris attend la transformant de son statut en " société anonyme ", avant une
privatisation prévue en 2005. L’État envisage aussi de descendre de 54,4 % à 20
% du capital d’Air France. La société AREVA (public à 89 %) serait l’une des
prochaines entreprises sur la liste des " privatisables ". On évoque aussi la
Française des Jeux dont l’État détient 72 %. Un certain nombre d’entreprises
dans lesquelles l’État conserve encore de parts minoritaires pourraient être
concernées, comme Renault (17 %), Bull (16 %), EADS (15 %), Thomson (21 %). Les
très juteuses Autoroutes du Sud de la France (ASF), dont l’État détient 50,5
%, sont aussi dans la ligne de mire etc. Ce mouvement s’apparente bel et bien à une
nouvelle étape de privatisations, peut-être la dernière..
Moins de profs, de cours, d’options
Vu hier dans les rues de Paris : les étudiants en STAPS, filière sportive universitaire,
se révoltent contre l’extinction de leur discipline. En cause : un projet de
décret cédant au ministère des Sports l’absolu monopole en matière d’homologation
des diplômes du secteur sportif. Couplée à la baisse du nombre de postes de profs
ouverts aux concours de recrutement 2004, la mesure fait craindre aux athlètes
universitaires que l’enseignement du sport à l’école ne périclite. L’EPS perd
42 % des places qui lui étaient ouvertes en 2003. Et elle n’est pas la seule
matière à subir une telle amputation. Philosophie, langues, musique, mathématiques
: au total, le nombre de postes ouverts aux concours chute de 5 500. Phénomène
d’évaporation oblige, les syndicats redoutent un déficit frisant les 6 000 postes
pour la rentrée 2005. Et s’alarment déjà pour celle de 2004 : moins 1 500 postes
de professeurs. Cumulés à ceux supprimés chez les stagiaires et au retranchement
des 2 000 emplois créés l’an dernier hors budget, ce sont près de 4 500 équivalents
temps plein qui manqueront en septembre prochain. Soit des milliers d’heures
de cours. De nombreuses matières optionnelles, des dédoublements de cours et
autres aides individuelles seront supprimés, notamment dans les ZEP. Les enseignements
obligatoires, tels les maths, pourraient eux-mêmes être rognés.
Prime au " droit boursier "
La loi de mobilisation pour l’emploi, annoncée par Jacques Chirac en janvier
dernier, est un des trois chantiers prioritaires après les élections régionales.
Censée s’appuyer sur le résultat de la négociation en cours sur le " traitement
social des restructurations ", elle sera présentée au printemps aux députés.
Si les syndicats rechignent sérieusement à avaliser les injonctions patronales à pouvoir
licencier sans entrave, le MEDEF apporte son total appui à l’idée centrale de
la loi en préparation : rendre le " droit boursier " maître du jeu. La première étape
de la politique de l’emploi de la droite fut axée sur les " baisses de prélèvements
obligatoires ", cadeaux fiscaux aux entreprises poursuivis avec le projet de
dégrèvement de la taxe professionnelle et les incitations fiscales à la création
d’entreprises. Avec la loi en préparation, la deuxième étape sera celle de la " libération
des énergies " ... Patronales. " Les mesures d’incitation à la reprise d’un emploi ",
annoncées par le ministre du Travail, ne sont autres que l’obligation pour les
chômeurs d’accepter un contrat sous peine de sanctions financières, de radiation
des listes de l’ANPE. Le volet " simplification du Code du travail " se chargera,
entre autres, de battre en brèche le principe même du droit salarial : protéger
le salarié de l’arbitraire patronal..
Service minimum sur les rails
La mesure figurait au programme électoral de Jacques Chirac. Depuis une véritable
armada de ministres et de députés de droite sont venus au secours de cet " engagement " d’instaurer
un service minimum garanti dans les transports en cas de grève. En bon provocateur,
le gouvernement veut commencer par la SNCF, entreprise dans laquelle les syndicats
ont la force de " bloquer la machine ". En ravivant sans cesse la polémique,
le gouvernement se préoccupe moins des usagers que de parvenir à restreindre
le droit de grève, d’abord dans les transports puis dans l’ensemble du secteur
public. Alors que tous les syndicats se montrent prêts à négocier de nouvelles
règles de dialogue social à la SNCF, notamment l’anticipation des conflits, le
gouvernement ne cache pas son intention de légiférer. Mais après les élections.
Les élections, certes, mais surtout celles qui vont avoir lieu au conseil d’administration
de la SNCF le 25 mars prochain. La CGT, déjà première organisation avec 44 %
des voix, a été renforcée par l’arrivée de militants et d’élus ex-CFDT, ce qui
pourrait sérieusement changer le scénario gouvernemental..
Fonctionnaires au mérite
C’est un fourre-tout que prépare le gouvernement, pour sa loi de modernisation
de la fonction publique, qui devrait être présentée au Parlement en juin. Le
gros morceau concernera la fonction publique territoriale (FPT), avec des dispositions
qui visent à accompagner " l’acte II de la décentralisation ". Les collectivités
territoriales doivent en effet accueillir en 2005 plus de 100 000 fonctionnaires
de l’État dans le cadre des transferts de compétence. Il s’agit notamment pour
le ministre de la Fonction publique Jean-Paul Delevoye d’assouplir la formation,
la mobilité et le recrutement, mais aussi de " reconnaître le mérite ", avec
un gros risque d’individualisation des salaires. La réforme s’intéresse aussi
au sort des contractuels. Le droit de l’Union européenne interdit les CDD à répétition
: il sera donc question d’allonger les CDD à 18 mois au moins, renouvelables
une fois, mais aussi de créer un nouveau type de CDI, hors statut. Autres thèmes
: l’ouverture de la Fonction publique aux ressortissantseuropéens, ou la modification
des règles de déontologie destinée à faciliter la mobilité des cadres entre les
secteurs public et privé. Bref, une mosaïque complexe qui mélange toilettage
de questions consensuelles et attaques de fond contre l’emploi public. Le tout
dans le contexte brûlant des restrictions budgétaires et de la réforme de l’État, à travers
laquelle le gouvernement envisage la mise en place de la rémunération au mérite,
en contradiction avec les principes qui régissent le statut..
Légitimation des patrons voyous
Pire que le rapport de Virville, les 44 propositions présentées mercredi par
le MEDEF. Quand le DRH du groupe Renault préconise un " toilettage " déjà radical
des droits des salariés, le MEDEF pourfend un Code du travail " devenu un handicap
pour la compétitivité des entreprises et aussi pour la France ". Partie intégrante
du projet de loi pour l’emploi en préparation, le gouvernement s’apprête à supprimer
la plupart des garanties liées au salariat. La polémique née autour du " contrat
de mission ", super CDD de 3 à 5 ans, qui achèverait d’instaurer le contrat précaire
comme norme du travail, en est une illustration. De même que la possibilité pour
les employeurs de proposer à leurs salariés d’être embauchés comme " travailleurs
indépendants ", via un contrat totalement individualisé, hors les conventions
collectives. Dans la même veine, le MEDEF exige de " simplifier la procédure " des
licenciements, d’en raccourcir les délais pour empêcher l’élaboration d’alternatives
par les salariés, d’augmenter le nombre autorisé de licenciements individuels
sans plan social de neuf à vingt, tandis que les droits des représentants syndicaux
sont revus à la baisse. Pire encore, il réclame au gouvernement la suppression
des dispositions relatives au harcèlement moral dans le Code du travail, qui
avaient été introduite par la loi de modernisation sociale par le gouvernement
de la gauche plurielle.
Sécu, privatisation en vue
Le gouvernement ne dévoilera ses orientations pour la réforme de l’assurance
maladie qu’à la mi-avril, mais, vient de faire savoir le ministère de la Santé,
il travaille déjà à une campagne de communication. Traduction, sans grand risque
d’erreur : il a arrêté ses choix sur ce sujet déterminant pour l’avenir de la
protection sociale, mais les citoyens assurés sociaux ne doivent rien en savoir
avant d’aller voter dimanche. Quels choix ? Au fil des discours de M. Raffarin,
de ses ministres Fillon et Mattei, et des prises de position du patronat, auquel,
on le sait, ce gouvernement ne sait rien refuser, un projet en deux volets apparaît
de plus en plus nettement. D’un côté, la privatisation de larges pans de l’assurance
maladie qui ne seraient plus couverts par le régime solidaire de la Sécu mais,
au nom de la " responsabilité individuelle ", seraient offerts au marché des
assurances privées : l’égalité d’accès aux soins serait gravement mise en cause.
De l’autre, l’étatisation du système : la gestion de l’assurance maladie serait
retirée aux représentants des assurés sociaux et transférée directement entre
les mains de l’État. Redoutant l’implication et la mobilisation des citoyens
sur ce chantier, le gouvernement entend faire passer son projet au céur de l’été prochain
et circonscrire au maximum les possibilités de débat : Raffarin envisage ainsi
de légiférer par ordonnances, privant ainsi le Parlement de ses prérogatives..
Fuite en avant sécuritaire
Portée par l’activisme débridé du ministre de l’Intérieur, la sécurité a été l’un
des thèmes prioritaires du gouvernement depuis deux ans. Votées en 2002 et 2003,
les lois Sarkozy (I et II) ont considérablement renforcé les pouvoirs de police,
pointant du doigt une série de populations jugées à risque (jeunes, mendiants,
prostituées, gens du voyage, etc.). Principalement axée sur la répression, cette
politique ultra-sécuritaire a eu pour effet, entre autres, de faire exploser
la surpopulation carcérale. Celle-ci atteignant, au 1er mars, un nouveau record
avec 61 032 détenus pour environ 40 000 places. Cette fuite en avant û quasi
revendiquée û devrait s’accentuer dans les années à venir. Avec, tout d’abord,
les premiers effets de la loi Perben II, votée en février, et qui favorise une
justice expéditive (instauration d’un plaider-coupable à la française). Devrait
venir, ensuite, la loi " sur la récidive ". Préparé par Nicolas Sarkozy, ce texte
souhaite créer des " peines plancher ", obligeant les juges à prononcer d’office
la sanction maximale (prison ferme en cas de simple vol) à partir de la troisième
récidive. Enfin, la place Beauvau prépare toujours son projet de loi sur la " prévention
de la délinquance ". Outre la généralisation de la vidéosurveillance, une des
mesures phares serait d’obliger les travailleurs sociaux à " signaler " au maire
toute personne demandant de l’aide...
L’Humanite
21.03.2004
Collectif Bellaciao