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Renoncer au nucléaire ?

Publie le vendredi 7 mars 2008 par Open-Publishing
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José Ignacio Pérez Arriaga professeur de l’Institut d’investigations technologiques (IIT) de l’université Comillas de Madrid.

Nous voilà arrivés à un carrefour dans le domaine de l’énergie (lire « L’Espagne enfouit l’avenir du nucléaire », Libération, 25 janvier) : les menaces sur le ravitaillement en pétrole et en gaz, la forte croissance de la demande. À quoi bon prendre des positions fondamentalistes - qu’il s’agisse de l’opposition radicale à l’énergie nucléaire ou d’un appui inconditionnel - si on n’offre pas de solution de rechange et si on n’analyse pas les implications de l’une ou l’autre position ?

Comment couvrir la demande énergétique en se passant de l’énergie nucléaire ? De quel volume d’investissement et de quels risques parlons-nous, quand on choisit le nucléaire, et en échange de quels avantages ? Il faut peser le pour et le contre à l’heure du choix, évaluer les alternatives et les variantes.

Comme nous le verrons, et c’est le message essentiel de ces lignes, la réponse est essentiellement politique et elle doit s’appuyer sur un civisme bien informé, qui puisse déterminer les risques et les efforts qu’elle veut assumer pour disposer de ses propres ressources énergétiques.

En réalité, il y a plusieurs directions : comment allons-nous couvrir la demande d’énergie en Espagne et dans le monde dans dix, vingt-cinq ou cinquante ans ? Comment allons-nous, en Espagne, couvrir la nôtre tout en tenant nos engagements internationaux de réduction des émissions de CO2 ? Jusqu’où sommes-nous disposés à accroître - ou à réduire - notre demande d’énergie au vu des risques et des efforts que cela entraîne ?

En Espagne, ces dix dernières années, la demande d’énergie globale a augmenté de 48 % et celle d’électricité de 67 %, la dépendance énergétique dépassant même les 80 %. Actuellement, 85 % de la demande énergétique mondiale vient des combustibles fossiles, la part du pétrole étant de 40 %. La plupart des experts reconnaissent que la production de pétrole - et celle de gaz par la suite - ne pourra se maintenir à ce rythme ;

par ailleurs, même en couvrant dès maintenant toute la croissance de la demande en recourant aux technologies qui n’émettent pas de CO2, on ne pourra pas empêcher la température moyenne globale terrestre de dépasser de 2 degrés Celsius celle de l’époque préindustrielle, objectif pourtant fixé par l’Union européenne comme un principe élémentaire de précaution face à la menace de changement climatique.

Le modèle énergétique des pays développés, que les autres pays essaient de suivre, n’est tout simplement pas soutenable. Et les choix pour le remettre sur une voie tolérable, avec les technologies disponibles actuellement ou à moyen terme, sont très peu nombreux : améliorer radicalement l’efficacité et les économies de la production, de la distribution et - surtout - de la consommation d’énergie ; accroître de façon drastique la part des énergies renouvelables ; capturer les émissions des grosses installations de combustion de ressources fossiles ; utiliser résolument la technologie nucléaire.

Il est évident qu’on ne peut être contre tout et ne rien proposer. Et que pencher pour la première des différentes alternatives ci-dessus exposées implique d’importantes économies énergétiques et sans doute aussi financières. Mais pour pouvoir mesurer les conséquences de chacune de ces voies, les Espagnols devraient connaître, par exemple, le nombre de nouvelles centrales nucléaires qui seraient nécessaires pour, au moins, tenir les engagements prévisibles de réduction des émissions de CO2 pour notre pays et ramener la dépendance énergétique de combustibles fossiles à un niveau plus raisonnable.

Nous avons déjà vu ce qu’une « option nucléaire radicale » supposerait à l’échelle mondiale. Quelques calculs très élémentaires - que les institutions adéquates devraient étudier et expliciter - montrent que pour couvrir avec des centrales nucléaires la moitié de la croissance prévue de la demande en électricité en Espagne jusqu’en 2030 (en se basant sur le taux de croissance le plus bas invoqué par le récent plan du secteur de l’électricité), on aurait besoin de 14 nouvelles centrales nucléaires de 1 GW (comme les grands sites actuels de Cofrentes, Trillo ou Almaraz).

Pour se faire une idée de l’impact de ces nouvelles centrales nucléaires sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut considérer que, actuellement, les émissions de CO2 du secteur électrique représentent 23 % du total en Espagne. Ces 14 centrales couvriraient la moitié de la croissance prévue d’un secteur qui représente 23 % des émissions du pays.

La probabilité d’un accident nucléaire grave sur une seule centrale est très faible, mais elle existe - voyez Tchernobyl en 1986. Une étude de l’université de Princeton estime que l’installation de 700 à 1 400 centrales nucléaires nouvelles représente environ le septième de l’effort qu’il faudrait déployer pour envisager raisonnablement de ne pas dépasser les 2 °C d’augmentation de la température terrestre ; et qu’il faudrait des moyens impressionnants pour empêcher que cette énorme quantité d’installations nucléaires - nécessaires si on voulait vraiment freiner le changement climatique - ne soient victimes d’accidents graves, d’attentats terroristes, ou ne dissimulent des visées belliqueuses.

La gestion et le stockage ou la destruction des résidus nucléaires hautement radioactifs - qui doivent être isolés de la biosphère pendant des centaines de milliers d’années - est un des problèmes les plus insolubles auquel ait été confrontée l’industrie nucléaire. Près de cinquante ans après le premier réacteur commercial, aucun pays n’a encore réussi à implanter un système efficace pour gérer ses résidus. Il faut tenir compte du fait que l’opinion publique, au moins en Europe, est massivement opposée à la technologie nucléaire, en particulier en Espagne.

Selon l’Eurobaromètre de la Commission européenne (2005) seule 4 % de la population espagnole (pour une moyenne de 12 % dans l’Union européenne) est favorable à l’emploi de l’énergie nucléaire actuellement. Enfin, le système international de contrôle actuellement en vigueur me semble inadapté, il ne peut répondre à une problématique de prolifération, et je ne vois pas de solution dans le contexte géopolitique actuel.

Serait-il possible d’assurer la croissance prévue de la demande avec les technologies renouvelables ? Quel serait le coût financier direct ? De quelle superficie de territoire aurait-on besoin pour les implantations ? On ne peut que s’étonner de l’absence presque totale d’études un peu sérieuses pour répondre à ces simples questions, sans lesquelles il n’est pas possible de prendre position.

Quelqu’un pourrait-il décrire le niveau de pénurie énergétique - par exemple en termes d’utilisation du transport privé, du surcoût de l’« excès » dans la consommation d’électricité ou de gaz, des exigences dans la climatisation des habitations ou du prix de l’énergie - entraînée par l’éviction de l’énergie nucléaire ? Il faut absolument qu’on fasse les comptes et qu’on nous informe. Pour qu’on puisse donner notre opinion aux politiques.

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